CAIRN.INFO : Matières à réflexion
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« Les propositions thérapeutiques doivent respecter l’évolution des patients, ce qui implique pour les soignants d’en connaître les étapes potentielles sur le plan théorique et de développer une réflexion sur les prises en charge. »
© Paul Klee, Chemin principal et chemins secondaires

1La prise en charge publique de la maladie psychiatrique de l’adulte s’organise en France entre des unités d’hospitalisation et des unités ambulatoires (centres médico-psychologiques – cmp –, hôpitaux de jour, centres d’accueil thérapeutique à temps partiel – cattp ...). Le patient est accueilli par une équipe pluridisciplinaire afin de recevoir des soins articulant traitements psychotropes et traitements par la parole : suivis, psychothérapies individuelles et dispositifs de groupe.

2L’orientation vers une unité d’hospitalisation ou une unité ambulatoire dépend de l’état psychologique et psychopathologique de la personne, c’est-à-dire du besoin de contenance requis par son degré de désorganisation et de souffrance psychique. Les unités d’hospitalisation reçoivent ainsi les patients en état de décompensation psychique, de crise. Les cmp, quant à eux, constituent les pivots des soins ambulatoires. Ils assurent la continuité des soins une fois le patient sorti d’hospitalisation mais proposent également des prises en charge à des habitants du secteur n’ayant pas connu d’hospitalisation.

3Le Pôle [1] de psychiatrie adulte de Courbevoie se compose d’une unité d’hospitalisation à temps complet, d’une unité préambulatoire, d’un cmp et d’un cattp. Les sujets hospitalisés souffrent dans leur grande majorité de schizophrénie ou de troubles bipolaires. Au cmp, les soins ambulatoires sont utilisés par des personnes présentant des problématiques ou un éventail psychopathologique plus larges. Néanmoins, les prises en charge pluridisciplinaires de pathologies chroniques concernent majoritairement les pathologies psychotiques.

4Du fait de ces aspects quantitatifs de représentation dans la file active mais également de considérations qualitatives liées à la spécificité de leur fonctionnement psychopathologique, la question de la compliance et de la continuité des soins pour les personnes psychotiques s’avère centrale dans les préoccupations et la réflexion des équipes. Comment créer un lien avec ces patients pour éviter les ruptures de suivi et, corollairement, la réactivation chez beaucoup de leur destructivité (isolement délétère, errances, passages à l’acte auto ou hétéroagressifs …) ? Comment trouver, face aux paradoxes auxquels nous confronte le sujet psychotique, la plus juste articulation entre prise en soin étayante – mais potentiellement infantilisante et aliénante – et respect de la liberté du sujet et de son altérité fondamentale – au risque du déploiement de sa destructivité ?

5Nous allons développer dans cet article les caractéristiques et les difficultés des prises en charge institutionnelles de patients souffrant de pathologie psychotique, ainsi que certaines des modalités de réponse proposées dans notre service.

Organisation institutionnelle et psychose

6La première difficulté à mener une approche institutionnelle réellement soignante réside dans le lien fondamental entre fonctionnements psychotique et institutionnel. Il est en effet de la fonction même de l’institution de fournir des contenants, des représentations et des mécanismes de défenses contre les parties irreprésentables, forcloses, folles des sujets qui la composent. De cette manière, elle assume une fonction méta-défensive (Kaës, 1987) de protection contre leurs angoisses et leurs mouvements intrapsychiques destructeurs, en échange de quoi ils assurent sa pérennité. Par ailleurs, comme tout groupe, l’institution se base également sur un type de relation fondée sur l’indifférenciation et la non-individuation, dénommée « sociabilité syncrétique » par J. Bleger (2012).

7Pour préserver ces fonctions secondaires à la tâche primaire qui fonde sa raison d’être, l’institution risque de privilégier son organisation aux dépens du soin. L’organisation se perpétue ainsi pour elle-même et la réalisation de ses objectifs premiers devient assujettie à cette perpétuation, « non seulement pour protéger la stéréotypie des niveaux d’interaction, mais fondamentalement pour sauvegarder et assurer le clivage, le dépôt et l’immobilisation de la sociabilité syncrétique (ou de la partie psychotique du groupe) [2] ».

8De plus, toute institution entre en résonance avec le fonctionnement et l’organisation de l’objet de sa tâche primaire et incline à les reproduire. Les institutions soignant des sujets souffrant de psychose chronique tendent ainsi à fonctionner sur un mode psychotique.

9L’ensemble de ces éléments peut finalement conduire l’institution psychiatrique, dans une pervertisation de son fonctionnement, à favoriser la chronicisation de ses patients, malgré ses objectifs explicites et la bonne volonté consciente des soignants.

Le patient psychotique et l’institution

10Par son organisation psychopathologique, le sujet psychotique instaure un lien au monde fondé sur la dépendance. La forclusion et le déni qui marquent son rapport à la réalité l’empêchent de mener à bien les activités concrètes pouvant assurer son autonomie. En effet, l’énergie qu’il doit engager dans la survie de sa psyché, en menace permanente d’anéantissement, l’amène à désinvestir une grande partie des fonctions de son Moi, y compris les fonctions d’autoconservation, qu’il délègue de fait à l’environnement, substitut d’objet maternel : « Le patient renonce inconsciemment à l’exercice de son moi en le laissant et même en l’imposant à l’objet maternel indéfiniment recherché et retrouvé dans le monde ambiant [3]. » Cela se traduit par un appauvrissement progressif et l’aggravation inéluctable des troubles présentés.

11Cependant, cette dépendance s’avère à la fois nécessité vitale et menace terrifiante pour lui. En effet, les relations primaires n’ayant pas permis la constitution d’un objet interne stable et bienveillant, son rapport à l’autre est marqué par une ambivalence indépassable : la présence de l’autre lui est primordiale comme gage de son existence et en même temps dangereuse car l’objet est à la fois vécu comme destructible et destructeur, potentiellement dévorateur. Les équipes sont donc confrontées à cette ambivalence et doivent aménager le cadre et les dispositifs de soins en la prenant en compte.

La prise en soins institutionnelle des patients psychotiques

12Prenant acte du jeu d’interdépendances inhérent au fonctionnement institutionnel, le mouvement de la psychothérapie institutionnelle s’est attaché à en faire un outil de soins : il s’agit de soigner par l’institution et non plus seulement dans l’institution. Le patient n’est plus simple objet de soins mais prend une part active dans sa prise en charge. L’équipe a pour fonction de proposer un jeu de supports transférentiels potentiels, une constellation transférentielle (Tosquelles, 1969) aux patients qui, du fait de leur morcellement interne et de leur impossibilité à entrer en relation avec un objet entier, vont mettre en place des transferts dissociés (Oury, 1976), multi-référentiels (Tosquelles, 1969) sur les soignants équivalents d’objets partiels. Ces transferts clivés répondent aussi à l’ambivalence qui caractérise le rapport à l’objet chez le psychotique : l’investissement d’objets transférentiels multiples se révèle moins menaçant. Le travail de pensée de l’équipe va permettre de lier et d’unifier ces transferts dissociés, unité que le patient va progressivement introjecter pour accéder à une représentation moins morcelée de lui-même.

13De façon plus générale, ces principes s’avèrent pertinents pour travailler avec les patients psychotiques en institution. P.-C. Racamier rappelle que « s’établissant sur un fond collectif, les relations pourront être diffuses, plus médiatisées et moins redoutables [4] » et que l’institution est investie en tant que telle, comme ensemble, dont l’avantage est d’être disponible en permanence. Elle offre ainsi un fond permanent et stable de présence, sur lequel se différencieront des investissements plus individualisés et spécifiques, répartis au sein du groupe de soignants et permettant une diffusion des transferts (Lebovici, 1960).

Soutenir les mouvements régressifs afin d’accéder à une certaine autonomie

14L’entrée en service de psychiatrie intervient à un moment de vulnérabilité de la personne au cours duquel les mouvements régressifs sont nécessaires, permettant un réaménagement du fonctionnement psychoaffectif. À son arrivée, le patient projette ainsi ses besoins fusionnels sur l’institution, recherchant une fonction maternelle de substitution. L’institution soignante favorise également ce processus, sa première fonction étant celle de présence (Racamier, 2010) et de contenance, renvoyant à la fonction de holding (Winnicott, 1960) reprise sous le terme de fonction phorique par P. Delion (1999). Cette fonction de présence inclut une fonction d’accueil, assurée par l’équipe, puis par le groupe entier, soignants et soignés. Fondamentale en elle-même, elle s’avère particulièrement efficiente aux moments de l’entrée et du départ des patients. Elle doit se moduler en fonction de l’évolution du patient, en particulier de son besoin de régression et de ses possibilités de séparation, afin de l’amener dans un second temps vers une certaine individuation.

15Les efforts des équipes portent, en cours d’hospitalisation, sur la consolidation du Moi du sujet. Là aussi, selon l’évolution du patient de la régression à l’autonomie, les soins peuvent se substituer momentanément au Moi ou soutenir et témoigner de l’unité partiellement retrouvée de ce dernier, sans interventionnisme. Ce travail de renforcement du Moi passe par de nécessaires frustrations, visant à limiter les bénéfices secondaires de la passivité qui viendraient renforcer la dépendance. Il s’appuie par contre sur la valorisation des actes manifestant le réinvestissement des activités du Moi par les patients et leur autonomisation. Ce réinvestissement se réalise par identification à l’ensemble de l’institution et aux membres de l’équipe en tant qu’ils investissent eux-mêmes leur activité soignante.

16Par la suite, « l’hôpital étant aux limites du Moi du patient, celui-ci devra élaborer un lourd travail de désidentification [5] » afin d’accéder à une certaine autonomie. La sortie d’unité d’hospitalisation peut ainsi réactiver des problématiques archaïques, d’autant que le patient se trouve dans la majorité des cas confronté à l’isolement. Séparé du cadre soutenant et contenant ayant fait fonction de figure maternelle substitutive, il peut être envahi par une angoisse majeure amenant une rigidification des processus défensifs. Le déni, la banalisation du trouble se renforcent, engendrant des ruptures de traitement. Le constat de la difficulté pour les patients à rester compliants une fois la période de crise psychique passée et le nombre important de réhospitalisations pour rupture thérapeutique (38 % des réhospitalisations dans le service pour l’année 2011) ont amené dans notre secteur la création en 2011 d’un dispositif thérapeutique spécifique en trois temps. Il est axé sur la continuité des soins, assurant un accueil, une présence stable et permanente de l’institution et un accompagnement de la séparation avec celle-ci «’’aux limites de son Moi’’ afin que le départ du patient […] ne dissolve pas les fondations, déjà bien trop précaires et fragiles, de sa personnalité psychotique [6] ». Cette prise en charge permet d’accompagner et de soutenir les mouvements régressifs inhérents à la situation d’hospitalisation, puis les mouvements de reconstruction, afin d’amener un renforcement des limites psychiques des sujets et une certaine sécurité intérieure. Un lien stable et non aliénant avec l’institution peut alors se mettre en place.

17L’approche choisie est groupale. L’enveloppe groupale (Anzieu, 1999) permet en effet aux phénomènes transférentiels et identificatoires de se déployer dans un cadre contenant et pare-excitant. Elle permet une diffraction du transfert entre les différents participants. Les soignants mettent leur « appareil à penser les pensées » (Bion, 1962) à disposition des patients pour leur permettre de réinvestir l’activité de penser du Moi. Les patients ne sont alors pas directement confrontés à leur propre problématique, pouvant soulever d’importantes résistances.

18Ainsi, un groupe d’information et d’accueil puis un groupe de préparation à la sortie rythment l’hospitalisation. Ils permettent d’inscrire le sujet dans la temporalité par la construction psychique d’un avant, d’un pendant et d’un après. Ils accompagnent les changements tout en maintenant la contenance hospitalière. Celle-ci est relayée par la suite au cmp par le groupe accueil : un accompagnement psychologique à la reprise de la vie quotidienne a pour but d’éviter que la sortie soit vécue comme une rupture de lien et d’assurer la continuité du transfert sur l’institution.

19Du côté des soignants, les groupes accueil amènent l’équipe à intégrer spécifiquement les personnes prises en charge en relançant la pensée sur chacun des arrivants en unité d’hospitalisation comme en ambulatoire. Le groupe de préparation à la sortie étaye la réflexion sur l’évolution de chaque patient, sur les soins apportés et sur ses possibilités d’évolution en extrahospitalier. Ces dispositifs permettent de penser le sujet en lien à sa pathologie tout en aménageant des temps de réflexion post-groupe afin de prendre de la distance quant aux prises en charge et d’éviter une position de toute-puissance pouvant pérenniser les mouvements régressifs et maintenir une dépendance institutionnelle.

Groupe d’information et d’accueil en intrahospitalier

20Pour que ses fonctions soignantes puissent se déployer, l’institution doit présenter aux patients une structure claire, cohérente, où le rôle de chaque membre de l’équipe est différencié sans être néanmoins figé avec rigidité.

21Le groupe d’information et d’accueil aux entrants est destiné aux patients hospitalisés depuis peu (entre huit et dix jours). Il est programmé toutes les deux ou trois semaines, en fonction du nombre d’entrées dans le service. La participation à ce groupe est unique. Il est animé par une équipe pluridisciplinaire, composée de deux infirmiers (un référent pour chaque unité), d’un cadre infirmier et d’un psychologue.

22Les personnes vivant une hospitalisation, surtout sous le régime de la contrainte, se trouvent dans une situation de restriction de leurs libertés d’action et de mouvement qui rend difficile leur accès à une position de sujet. Le groupe permet à ses participants de faire l’expérience d’un lieu où leur parole est prise en compte et entendue par l’équipe soignante. Il s’agit, avant même de donner un sens à leurs symptômes, d’entendre et d’accueillir leur souffrance afin de les repositionner dans leur condition d’être humain à part entière, car « il n’y a pas de travail psychothérapeutique sans accueil de l’humain [7] ».

23L’objectif explicite du groupe est de renseigner les patients sur les modalités de leur hospitalisation, le cadre de santé se chargeant de répondre aux questions qu’ils pourraient avoir sur la structure de soin. Les patients reçoivent ainsi des informations sur les règles de fonctionnement des unités. Ces règles expriment la nécessaire prise en compte du principe de réalité et de l’altérité, en ce qu’elles posent les limites de ce qui est possible et acceptable au sein de l’institution.

24Cet accueil nécessite avant tout une attitude bienveillante de l’équipe soignante. Les mots qui sont prononcés par les patients lors de ce temps de parole peuvent être durs, exprimer la colère, la souffrance, manifestant les angoisses archaïques en lien à la fois avec la pathologie et avec la situation d’hospitalisation. Il émerge alors un objectif implicite, qui est de remplir une fonction pare-excitatrice. Cette fonction est assumée par les référents, représentants de l’institution, qui deviennent des supports sur lesquels le patient va pouvoir projeter ses objets internes persécutants. En survivant aux attaques, les soignants contiennent les émergences anxieuses et occupent une fonction maternante au sens de M. Klein, qui va permettre d’amorcer un premier pas vers une position moins archaïque. Un accès à la verbalisation s’ouvre alors pour ces patients en état de dislocation psychique qui déchargeaient par l’agir ce qui était insupportable pour leur psychisme.

Groupe de préparation à la sortie

25Le groupe de préparation à la sortie accompagne depuis janvier 2012 la fin d’hospitalisation de tous les patients hospitalisés ayant un projet de sortie, et les accueille à un rythme hebdomadaire. Le groupe est coanimé par une psychologue, assurant la stabilité du cadre ainsi que la référence principale, et par un représentant de l’équipe infirmière. Son objectif manifeste est l’explication par l’équipe soignante des projets de sortie de chacun et du cadre de soin en extrahospitalier. Son objectif latent est le soutien du processus d’individuation et un travail d’élaboration sur le temps de l’hospitalisation et sur la continuité des soins.

26Les échanges portent sur la prise en charge à l’hôpital, sur les règles et les limites posées par la vie en communauté et sur les projets personnels coconstruits avec l’institution. Ils favorisent un travail d’élaboration sur la psychopathologie, associée à l’histoire individuelle, et sur les soins. Les patients s’appuient sur le concret afin de pouvoir évoquer leurs craintes, leur vécu personnel : un travail de différenciation avec l’institution se met en place. La structure ambulatoire est présentée en lien avec les problématiques abordées pour que la sortie soit moins vécue comme une rupture, une perte, ou ne confronte pas le sujet à l’angoisse de vide.

27Le psychologue adopte ici une position plus paternelle, faisant office de tiers entre le groupe et l’institution. L’identification projective permet aux participants d’évacuer dans le groupe leurs excitations, qui sont converties par le psychologue en « une forme appropriée à leur utilisation en tant qu’éléments alpha [8] », afin qu’ils puissent réintrojecter une peur tolérable. Ainsi le groupe permet-il à chacun d’anticiper un après l’hospitalisation, à un moment où les représentations mentales sont plus accessibles, et assure la continuité du transfert entre le patient et l’institution dont le sujet est de moins en moins dépendant.

28Au sein de l’équipe soignante, nous avons pu repérer des phénomènes de codépendance lorsque le statut de soignant dépend inconsciemment du besoin de soin du patient : « Le fait d’assumer l’extrême dépendance de quelqu’un renforce le fantasme d’être indispensable à sa vie [9]. » En miroir au fonctionnement psychotique, les soignants peuvent être dans le déni de l’altérité du patient : « Il ne pourra jamais s’en sortir tout seul », « s’il sort il va passer à l’acte » …, ce qui favorise la dépendance institutionnelle. Le groupe de préparation à la sortie permet ainsi d’accompagner le processus de séparation pour les deux parties.

29D’un point de vue institutionnel, les participants au groupe de préparation à la sortie acquièrent un statut particulier de « sortants » aux yeux des autres patients, suscitant chez ces derniers le désir de l’intégrer. La revalorisation narcissique amenée par ce statut favorise ainsi une reprise des activités du Moi pour l’ensemble des patients, étayant le processus d’individuation. Le lien duel soignants/patients est diffracté au profit d’identifications multiples : patients entrants, patients sortants, patients hospitalisés, équipe soignante de l’intra-hospitalier, de l’extrahospitalier, etc. La dépendance à l’institution commence ainsi à diminuer au profit d’investissements diversifiés, préparant la vie à l’extérieur dans laquelle une relation fusionnelle n’est plus viable.

Groupe accueil : accompagnement psychologique à la reprise de la vie quotidienne (cmp)

30Le groupe d’accueil et d’accompagnement psychologique à la reprise de la vie quotidienne – est proposé au cmp depuis octobre 2012. Il se donne le double objectif de signifier la continuité des soins entre intra et extrahospitalier et d’accueillir le patient au cmp. Il assure une fonction de passage entre les deux structures mais également entre un environnement institutionnel très contenant et l’environnement social ordinaire au sein duquel l’autonomie du patient est davantage sollicitée. De cette façon, il vise à favoriser le lien du patient avec l’équipe extrahospitalière, et par là à éviter une rupture de suivi.

31Un rendez-vous préliminaire au cmp est proposé au patient le jour de son départ de l’hôpital. Au-delà de présenter le dispositif thérapeutique, il vise essentiellement à ce que patient et référents fassent connaissance, afin que le patient puisse aborder le groupe avec un niveau d’angoisse abaissé. À la suite de cet entretien, le patient intègre le groupe à la séance suivante.

32La participation proposée est d’une durée de six séances, à raison d’une séance hebdomadaire. La stabilité du cadre contribue à en assurer la contenance.

33Les thématiques abordées sont le plus souvent suggérées par les participants. Néanmoins, chaque nouvelle intégration d’un participant s’accompagne de deux sujets rituels : une présentation des structures ambulatoires et l’évocation de la première action que chacun a réalisée en sortant d’hospitalisation. La mise à contribution des plus anciens du groupe pour la présentation du cmp permet de mesurer les reconstructions défensives individuelles, significatives du rapport aux soins.

34La reprise par les référents fournit des représentations et des repères aux patients, assurant ainsi une fonction contenante et de présentation de l’objet.

35Les échanges sur la première action post-hospitalisation mettent en valeur les points communs – il s’agit le plus souvent d’une activité agréable, dominée par le plaisir sensoriel ou relationnel –, favorisant l’instauration d’un lien entre participants tout en portant la marque de l’individualité de chacun.

36La présence de patients plus ou moins éloignés de leur fin d’hospitalisation permet à ceux qui viennent de sortir de profiter de l’expérience acquise par leurs pairs. Les premiers sont encore aux prises avec les angoisses liées à la sortie d’hospitalisation et aux réaménagements de vie corollaires à celle-ci, contre lesquelles ils se défendent souvent par des positions de toute-puissance et de déni : « Maintenant, tout va bien, c’est fini », « c’est un accident de parcours, je vais reprendre ma vie d’avant ». Le recours à la pensée opératoire est fréquent : « Maintenant j’ai compris, il suffit que j’aie une bonne hygiène de vie », « j’avais trop forcé sur le cannabis » … Les patients sortis depuis plus longtemps ont quant à eux le plus souvent surmonté ces angoisses et peuvent témoigner de leur évolution tout en évoquant avec souplesse les difficultés rencontrées.

37La dynamique de groupe se fonde de la sorte davantage sur les mouvements identificatoires entre participants. Des alliances s’établissent entre eux, quasi systématiquement sous forme de relations duelles, quelquefois « contre » les référents. Si la dimension régressive est donc toujours présente, il ne s’agirait plus de retrouver un lien fusionnel avec une figure maternelle substitutive mais de nouer des alliances entre pairs, équivalents de figures fraternelles, contre des figures parentales, ce qui semble exprimer un début d’accès à l’altérité et à la différenciation. Ceci se retrouve dans les élaborations post-groupe entre référents, qui se révèlent essentiellement centrées sur les échanges et les interactions entre participants et non sur le vécu propre de chacun d’entre eux.

Monsieur P. et Monsieur J. : aménagements défensifs individuels et dépendance institutionnelle

38Nous illustrerons notre propos par deux vignettes cliniques. Les deux patients que nous allons maintenant évoquer ont participé au groupe de préparation à la sortie ainsi qu’au groupe d’accompagnement à la reprise de la vie quotidienne. Le premier, monsieur P., souffre de troubles délirants évoluant apparemment depuis de longues années, mais n’ayant jamais été soignés jusqu’à une hospitalisation récente de plus de deux ans. Durant sa participation au groupe de préparation à la sortie, centrée sur un projet d’hébergement, il ne dénie pas la nécessité d’une continuité des soins mais une critique de son délire semble impossible.

39Après sa sortie, monsieur P. participe rapidement au groupe d’accompagnement à la reprise de la vie quotidienne. Au début, il présente une opposition passive : il dit ne pas savoir ce qu’il fait là et ne pas avoir besoin de parler de ses problèmes, étant donné qu’il n’en a pas. Progressivement, monsieur P. peut investir les relations avec les autres participants, mais de manière très prudente et en médiatisant les échanges par un sujet de prédilection à forte valence symbolique : les moyens de communication. À la dernière séance, monsieur P. se trouvant seul, nous en profitons pour faire avec lui un bilan de son vécu du groupe. Il critique alors longuement les autres participants, à qui il reproche leur manque d’autonomie et d’ouverture sur l’extérieur. Monsieur P. projette ainsi sur eux ce qu’il ne peut intégrer dans sa psyché, à savoir son isolement et son repli sur lui-même.

40Un clivage rigide entre l’acceptation des soins et le déni de leur cause, allié à un comportement passif, lui permet de rester compliant mais obère sa possibilité d’accéder à une position plus active dans sa prise en charge. Sa dépendance à l’institution soignante reste donc conséquente.

41Monsieur J., diagnostiqué schizophrène, a été hospitalisé durant un mois. Son hospitalisation prend fin après une séance du groupe de préparation à la sortie au cours de laquelle il exprime son anxiété au sujet de son départ et de la chronicité de ses troubles. Il peut associer son hospitalisation aux événements l’ayant précédée, avec une critique du délire et de son comportement. Il dit se sentir isolé à l’extérieur, souhaiterait retrouver un soutien social et prendre le temps de se reconstruire.

42Dans le groupe d’accompagnement à la reprise de la vie quotidienne, monsieur J. commence par chercher à s’approprier les thérapeutes, tenant peu compte des autres patients. Dysphorique, il s’exprime dans le registre de la plainte. Peu à peu, le contexte de groupe l’incite à nouer des liens avec les autres patients.

43Monsieur J. semble dans une dépendance infantile aux soins. La problématique des limites apparaît centrale chez lui, avec un investissement fusionnel des figures parentales substitutives potentielles que sont les soignants. La conscience et l’acceptation de sa pathologie viennent ici justifier et alimenter sa demande d’attention et de prise en charge maternante. Ces éléments posent la question d’une possible accession à la position dépressive.

44Le cadre du groupe l’amène peu à peu à diversifier ses objets d’investissement et à accéder ainsi à une certaine tercéité. Sa demande de soins, liée à la conscience de ses troubles, permet à monsieur J. de prendre une position active dans sa prise en charge. Il entreprendra peu après la fin du groupe une démarche personnelle de thérapie analytique en libéral.

45Les observations de ces deux patients mettent en avant une problématique et un vécu de la dépendance à l’institution très différents, pourtant tous deux compatibles avec une compliance aux soins. Pour monsieur P., c’est un clivage entre les soins et la pathologie, associé à une grande passivité, qui lui permet d’accepter (sans la percevoir) une grande dépendance à l’institution soignante. Dans le cas de monsieur J., si la dépendance semble plus forte au départ car plus régressive, une bonne conscience de la pathologie, en lien avec la question de l’accession à la position dépressive, évoque la possibilité d’une dépendance moindre, même si l’autonomie semble plus fragile, car plus douloureuse.

Conclusion

46La dépendance est une notion centrale de la prise en charge des patients psychotiques en psychiatrie. Présente du fait de la structuration même des sujets qui la composent, elle sollicite l’institution dans une fonction de soutien qui peut, de manière inconsciente, engendrer la pérennisation du lien de dépendance et le renforcement de la chronicité des troubles. Les propositions thérapeutiques doivent alors respecter l’évolution des patients, ce qui implique pour les soignants d’en connaître les étapes potentielles sur le plan théorique et de développer une réflexion sur les prises en charge.

47En effet, cette dépendance est nécessaire et exerce une fonction réparatrice pour le patient, en particulier lors de son arrivée en hospitalisation, lorsque des mouvements de régression appellent une relation symbiotique au corps soignant. Cependant, un travail important de séparation doit être mis en œuvre dans la suite de la prise en charge, afin de favoriser les processus d’individuation et d’autonomisation.

48Le dispositif d’accompagnement à la compliance au pôle de Courbevoie a pour objectif cette désintrication des liens de dépendance, du côté de l’institution et du côté des patients, afin de permettre à ces derniers d’accéder à une certaine autonomie et d’investir une vie hors institution. Les retours des patients et des équipes témoignent d’un passage d’une dépendance vécue durant l’hospitalisation sous une forme duelle patient-hôpital à une dépendance « diffractée » entre la famille, le milieu professionnel, les instances sociales et l’institution de soins représentée par les structures ambulatoires. Le temps de l’hospitalisation s’avère ainsi rétrospectivement une occasion ou une tentative pour le patient et son environnement de réaménager leurs relations de dépendance réciproque, dans la réalité externe comme dans la réalité intrapsychique.

49Actuellement, la durée de fonctionnement de ces dispositifs thérapeutiques ne nous permet pas de bénéficier d’un recul suffisant pour évaluer leurs effets sur l’investissement des soins ambulatoires par les patients. Cependant, les constats cliniques semblent de prime abord encourageants, aucun participant à ces groupes n’ayant été réhospitalisé.

Notes

  • [1]
    Le secteur de Courbevoie constituant à lui seul un pôle, nous emploierons donc indifféremment pôle ou secteur.
  • [2]
    J. Bleger, « Le groupe comme institution et le groupe dans les institutions », dans L’institution et les institutions – études psychanalytiques, Paris, Dunod, 2012, p. 57.
  • [3]
    P.-C. Racamier, « Des techniques institutionnelles », dans Le psychanalyste sans divan – la psychanalyse et les institutions de soins psychiatriques, Paris, Payot, 2010, p. 247.
  • [4]
    Ibid., p. 241.
  • [5]
    S. Ben-Aziza, P. Gacia et M. Myslinski, « Psychose et vieillissement : du symptôme à la dépendance », Neurologie, psychiatrie, gériatrie, n° 40, Paris, Elsevier Masson, 2007, p. 39-45.
  • [6]
    Ibid.
  • [7]
    P. Delion, « Thérapeutiques institutionnelles », Encyclopédie médicochirurgicale, psychiatrie, Paris, Elsevier Masson, 2001, p. 19.
  • [8]
    W.R. Bion Réflexion faite, Paris, Puf, 2001, p. 131 En ligne
  • [9]
    P. Charazac, « Réflexion sur la fonction soignante en ehpad », Neurologie, psychiatrie, gériatrie, n° 65, Paris, Elsevier Masson, 2011, p. 194-197.
Français

La prise en charge institutionnelle des psychoses implique un réaménagement constant des relations de dépendance suscitées par la psychopathologie des sujets, afin de les accompagner vers une meilleure autonomie. Cet article décrit un triptyque thérapeutique groupal visant à favoriser l’investissement des soins par le patient et pensé spécifiquement pour soutenir son processus d’autonomisation, processus qui trouve son expression institutionnelle dans le passage de l’hospitalisation vers un suivi ambulatoire.

Mots-clés

  • psychose
  • psychiatrie adulte
  • dépendance
  • institution
  • groupe thérapeutique
  • compliance

Bibliographie

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  • Tosquelles, F. 1969. « Que faut-il entendre par psychothérapie institutionnelle ? », L’information psychiatrique, n° 4, Montrouge, Édition John Libbey Eurotext.
  • Winnicott, D.W. 1989. De la pédiatrie à la psychanalyse, Paris, Payot.
Marie Constantin-Kuntz
Psychologue clinicienne, Pôle de psychiatrie adulte de Courbevoie, enseignante à l’École de psychologues praticiens (75).
Élodie Pons
Psychologue clinicienne, Pôle de psychiatrie adulte de Courbevoie (92).
Benjamin Artaud
Psychologue clinicien, Pôle de psychiatrie adulte de Courbevoie (92).
Catherine Zoute
Docteur Catherine Zoute, psychiatre honoraire, attaché de consultation, chi Clermont de l’Oise, Pôle de psychiatrie adulte de Courbevoie (92).
Jacqueline Tran
Docteur Jacqueline Tran, psychiatre, chef de Pôle, chi Clermont de l’Oise, Pôle de psychiatrie adulte de Courbevoie (92).
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Mis en ligne sur Cairn.info le 07/10/2014
https://doi.org/10.3917/clini.008.0088
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