CAIRN.INFO : Matières à réflexion

Introduction

1L’année 1998 fut une année historique pour les services de renseignement et de sécurité belges. Après presque un siècle et demi d’existence de fait, les deux services, le civil et le militaire, reçurent une reconnaissance légale. Pendant la même année, plusieurs autres lois ayant une influence directe ou indirecte sur le fonctionnement de ces services furent votées.

2Cependant, dès 1991 avait été installé le Comité de contrôle permanent des services de renseignements (Comité R), qui a publié des rapports sur les pratiques existantes, a largement contribué à faire connaître la problématique et a aidé le législateur à légiférer.

3Après avoir donné un aperçu historique, on examinera le processus de reconnaissance légale ainsi que l’évolution de l’organisation, de la doctrine, des missions, des méthodes de fonctionnement des services de renseignement. On abordera également les problèmes du respect des droits de l’homme, des relations externes et du contrôle sur les services.

4Par ailleurs, les services de renseignement ont des cibles qui évoluent dans le temps, mais, surtout pendant les dernières années, ils sont eux-mêmes devenus une cible, faisant l’objet d’un contrôle intensifié.

5On citera parmi les sources privilégiées de cette étude, outre les rapports du Comité R, les rapports des commissions d’enquête parlementaire qui se sont penchées notamment sur les rapports entre les services de police et les services de renseignement.

L’origine des services de renseignement

6La Sûreté de l’État est un service civil dont la création remonte aux périodes française et hollandaise (1794-1830). Joseph Fouché, le père de la haute police française plaida pour un système policier indépendant de l’administration civile et du système judiciaire. Napoléon Bonaparte approuva l’idée et alla plus loin en décidant que cette haute police devait fonctionner au-dessus de ces systèmes de façon à pouvoir les contrôler. Le même Fouché est à l’origine de la police secrète, un instrument aux mains du Ministère de la Police générale. Il s’agissait en réalité d’une police politique, chargée de la censure, du contrôle de la situation politique interne et de la répression des mouvements d’opposition. Plus tard, Napoléon chargea Eugène Vidocq d’organiser une autre Sûreté nationale [1] Sous le régime hollandais (1814-1830), le système policier fut consolidé et un haut fonctionnaire de la Justice hollandaise, van Maenen succéda à Fouché et à Vidocq dans les régions belges. Lorsque le Ministère de la Police fut dissous et que la police secrète intégra le ministère de la Justice, van Maenen fut aussi redouté que Fouché l’avait été. Même les Orangistes (partisans du rattachement à la Hollande) réclamèrent sa démission dans le but d’éviter la séparation entre le pays et le Royaume des Pays-Bas.

7La fondation de la Belgique fut proclamée par un gouvernement provisoire le 26 septembre 1830. Un Congrès national fut installé le 4 octobre avec la tâche de rédiger une Constitution, laquelle fut adoptée le 7 février 1831. À la conférence de Londres, les puissances européennes reconnurent l’existence de la Belgique le 4 novembre 1830 et lui imposèrent la neutralité perpétuelle dans un protocole daté du 20 janvier 1831. Le 15 octobre 1830, le gouvernement provisoire nomma cinq administrateurs généraux et l’un d’entre eux devint l’administrateur général de la Sûreté publique. La fonction fut considérée comme une charge temporaire, mais elle fut manifestement maintenue. Au début elle n’était rattachée à aucun ministère [2]. Plus tard, le gouvernement lui confia, par arrêté, des compétences étendues : la police générale, les prisons et les maisons de redressement, les passeports, la censure de la correspondance, le transport public (à l’exception de la poste), les théâtres, le contrôle des asiles [3]. Un arrêté royal du 9 janvier 1832 [4] ‘réduisit’ la compétence de l’administrateur général à la surveillance et à l’exécution des lois et dispositions de police générale, ce qui lui permettait d’avoir accès à toutes les autorités et de requérir la collaboration de tous les autres services de police dans l’exécution de sa mission, et au contrôle, de façon discrétionnaire, des étrangers séjournant en Belgique. En réalité son pouvoir se trouva plutôt renforcé.

8La Constitution ne prévoyait pas la création d’un appareil de Sûreté de l’État et en 1884, des parlementaires dénoncèrent l’arrêté royal comme illégal. Une loi était nécessaire pour définir la compétence spéciale d’un haut fonctionnaire. Mais le ministre de la Justice fit remarquer que le Parlement avait déjà approuvé à trente-cinq reprises le budget du service de Sûreté [5]. Ainsi, dès les origines, ce service a fonctionné sur base de l’ancienne législation française et d’arrêtés royaux et ministériels en dehors de tout contrôle parlementaire. Seule la législation sur les étrangers, qui variait fréquemment (devenant plus ou moins restrictive ou libérale) définissait une base légale de compétence, principalement en matière d’expulsion de personnes indésirables ou de réfugiés politiques. L’administrateur général continuait de détenir un pouvoir discrétionnaire qu’il ne partageait qu’avec son supérieur, le ministre de la Justice.

9Au cours du débat au Congrès national en janvier 1831, la question du contrôle parlementaire ne fut pas abordée, mais seulement celle du contrôle de l’administrateur général par l’un ou l’autre des ministres, un membre du pouvoir exécutif. Mais périodiquement, dès 1834 et à nouveau en 1839, des ministres ou des parlementaires réclamèrent une législation sur les services de renseignement. La réaction de l’administrateur général fut de conseiller « de ne rien faire, dans le meilleur des cas le service étant appelé à recevoir des compétences dont il disposait déjà » [6]. Cependant, durant les années qui suivirent 1830, le chef du service introduisit projet sur projet dans le but d’élargir ses compétences notamment en matière judiciaire, mais sans y parvenir [7].

10Durant cette première période, le service de Sûreté fut l’instrument d’un régime bourgeois, catholique ou conservateur-libéral, qui poursuivait comme buts la consolidation du nouvel État belge et l’assise de sa domination sur celui-ci. La Belgique avait à prouver que l’ordre pouvait être maintenu et la loi respectée à l’intérieur de ses frontières, fut-ce au détriment de l’hospitalité traditionnelle et des principes de liberté d’expression, de presse et d’association, ainsi que d’égalité devant la loi de toute personne résidant en territoire belge [8].

11Pendant longtemps, le fonctionnement de la Sûreté de l’État s’est principalement basé sur l’arrêté royal du 25 novembre 1890. En dehors des circulaires ministérielles, plusieurs arrêtés royaux ont été dénombrés qui concernent son fonctionnement et ses missions. Des lois mentionnaient implicitement son existence ou concernaient directement les activités de ce service. La première loi à mentionner explicitement son existence est la loi du 18 juillet 1991 sur le contrôle des services de police et de renseignement. D’après cette loi, le personnel ne dispose d’aucune compétence judiciaire.

12Le Service de Sûreté de l’armée a été fondé pendant la Première guerre mondiale, par un arrêté royal du 1er avril 1915. Les commissaires, inspecteurs et agents « qui exercent au sein de l’armée la compétence d’officiers de police judiciaire, auxiliaires du Procureur du Roi ». Le personnel provenait du Comité supérieur de contrôle et de la Gendarmerie. Par le décret-loi du 16 octobre 1916 il se transforma en Service de la Sûreté Militaire doté de deux sections : le Service de la Sûreté Militaire et le Service de la Sûreté de l’Armée en campagne. Ce dernier fut dissous formellement par l’arrêté royal du 21 septembre 1919, mais en réalité se maintint à l’intérieur de l’État-major de l’armée comme un organisme de renseignement militaire auprès de l’armée d’occupation en Allemagne. Par l’arrêté royal du 28 février 1920, ce service reçut les tâches de contre- espionnage sous toutes ses formes et de surveillance des groupes subversifs à l’intérieur de l’armée [9]. Dix agents civils furent recrutés. À la suite d’un scandale d’infiltration, les effectifs des services de renseignement militaires furent réduits et les agents civils renvoyés en 1929. Ils furent réintégrés par l’arrêté royal du 27 mai 1937.

13À la veille de la Seconde guerre mondiale, par l’arrêté royal du 8 mars 1940, les services de sécurité civil et militaire furent transférés à l’armée et sous l’autorité du ministre de la Guerre. Mais le 19 novembre 1940, le Conseil des ministres, réuni à Londres, transférait la direction des deux services de renseignement vers le Ministère de la Justice.

14Par l’arrêté royal du 20 janvier 1945 la direction de la Sûreté militaire fut de nouveau transférée au Ministère de la Défense nationale. L’arrêté royal du 23 février 1947 confiait à l’État-major la compétence de ce service de renseignement. En dehors d’un nombre inconnu de lettres circulaires ministérielles et gouvernementales, on ne dénombre aucune loi, mais à nouveau plusieurs arrêtés royaux. En octobre 1964 on restructure ce qui s’appelle alors le Service général des renseignement et de la sûreté (SGR). Il reste attaché à l’État-major militaire.

15Il est très important de mentionner que le SGR travaille dans le cadre de l’OTAN et que le personnel aussi bien civil que militaire n’a aucune compétence judiciaire [10].

16Un Service de sécurité nucléaire fut créé après la guerre. Il fut longtemps tout à fait indépendant des services de renseignement civil et militaire. Il exerce ses missions en se fondant sur la loi du 4 août 1955 et sur un arrêté royal du 14 mars 1956. Les compétences concernent surtout la protection des données, des installations et des matières nucléaires, la recherche et la constatation des infractions à la loi de 1955. Il recueille toute information utile dans le domaine du trafic et de la prolifération des matières nucléaires. Le service s’occupe surtout de délivrer les certificats de sécurité aux personnes travaillant dans le secteur nucléaire et d’élaborer les mesures de protection en la matière. Certaines missions s’apparentent nettement aux missions des services de renseignement et de sécurité. Mais les agents sont revêtus de la qualité d’officier de police judiciaire [11]. En 1995, le Comité R était d’avis que la Sécurité nucléaire devrait en principe être reprise par la Sûreté de l’État et la majorité des membres de ce Comité R estimaient qu’il n’était pas souhaitable que des agents de renseignement soient investis d’une qualité d’officier de police judiciaire. Il fut proposé d’intégrer ce service dans celui de la Sûreté de l’État et fin mars 1995, le Conseil des ministres se prononça pour le transfert des compétences du directeur de la Sécurité nucléaire à l’administrateur général de la Sûreté de l’État. Les arrêtés royaux du 2 décembre 1998 et du 13 mai 1999 règlent le transfert.

L’adoption tardive de la base légale des services de renseignement

17Le 5 juin 1990, à la suite du rapport de la commission d’enquête parlementaire sur la manière dont la lutte contre le crime et le terrorisme est organisée[12], qui se montrait très critique à l’égard du fonctionnement des services de renseignement, la coalition de centre-gauche au pouvoir adopta avec le ?Plan de la Pentecôte’ [13], un programme politique sur le maintien de l’ordre, la sécurité et la lutte contre la criminalité. Ce plan comprenait la réorganisation des services de renseignement avec l’intention de légiférer pour mettre un terme à la pratique de gestion de ces services par des arrêtés royaux ou ministériels ou des lettres circulaires ministérielles. La réalisation de ce programme connut plusieurs étapes. La loi du 18 juillet 1991 organique du contrôle des services de polices et de renseignement[14] mettait sur pied le Comité de contrôle permanent des services de renseignement, appelé Comité R, un organisme responsable devant le seul Parlement [15].

18Dès le début, des tensions ont surgi entre le Comité R et les services, ces derniers n’étant pas habitués à un tel système de contrôle. Depuis 1994, le Comité R effectue des enquêtes sur le fonctionnement des services, à la requête de ministres ou du Parlement ou, la plupart du temps, de sa propre initiative. Plus d’une fois ce fut à la suite de la révélation d’un journaliste, d’un scandale ou d’un échec. Plusieurs fois il fut clairement question de fuites [16].

19Après une longue période de discussion au Parlement, la loi du 1er mars 1999 [17] modifiait de façon importante celle du 18 juillet 1991. Le contrôle sur le Comité R a été renforcé et ses compétences ont été réduites. La loi augmente également les possibilités d’intervention du pouvoir exécutif.

20L’article 33 de la loi du 18 juillet 1991 impose aux services de renseignement qu’ils communiquent les documents concernant les dispositions internes ou externes qui régulent le fonctionnement de ces services. En 1995, le Comité R a procédé à leur analyse.

21Le 30 juin 1995, le Comité R dénombrait dix-sept arrêtés royaux en vigueur qui concernaient le fonctionnement et les missions de la Sûreté de l’État. En outre, il y avait six traités internationaux et deux projets de traité ; neuf textes législatifs, concernant essentiellement la législation sur les étrangers ; trente-cinq arrêtés, lettres circulaires et instructions ministériels ; dix-neuf notes et directives émanant du secrétariat général du Ministère de la Justice.

22En ce qui concerne la Sûreté militaire, l’arrêté royal du 23 février 1947 confiait à l’État-major de l’armée des compétences en cette matière. En dehors d’un nombre indéterminé de lettres circulaires ministérielles et gouvernementales, toujours en date du 30 juin 1995, le Comité R dénombrait seulement huit arrêtés royaux.

23En plus, pour la période 1946-1995, le comité dénombra les documents internes concernant ces services : vingt et un documents généraux ; 1.122 documents concernant la Sûreté de l’État ; seulement neuf documents concernant le SGR. [18]

24Entre 1946 et fin novembre 1998, neuf lois faisaient allusion à des activités des services. Une seule mentionnait explicitement leur existence : la loi du 18 juillet 1991. La seule disposition légale qui fixait une mission à la Sûreté de l’État était la loi du 28 mars 1952 sur la police des étrangers remplacée par la loi du 15 décembre 1980 sur l’accès au territoire, le séjour, l’établissement et l’éloignement des étrangers, qui chargeait les fonctionnaires de la Sûreté de rechercher les faits de pénétration ou de séjour illégaux d’étrangers dans le Royaume. Mais à ce moment il n’y avait toujours pas de cadre légal pour les services eux-mêmes [19].

25Dès sa création en 1991, le Comité R dénonça l’absence de loi définissant les missions et les méthodes des services de renseignement; il existait bien des documents au sujet des activités spécifiques de la Sûreté de l’État mais pas du SGR. Le comité dénonçait l’absence d’uniformité dans les dispositions de procédure de communication interne ainsi que des chevauchements et des contradictions. Il jugeait la réorganisation nécessaire.

26Il fallut cependant attendre la loi du 30 novembre 1998 organique des services de renseignement et de sécurité[20] pour avoir la base légale attendue. Cette loi règle d’abord l’organisation et les missions, aussi bien de la Sûreté de l’État que du Service général de renseignement et de la sécurité, le SGR. Elle traite ensuite de l’exercice des missions de renseignement et de sécurité ; des dispositions générales ; du recueil des données ; de la communication des données ; de la coopération entre les services ; de la conservation et de la destruction des données ; des dispositions particulières à l’exercice des missions de protection des personnes. Le dernier chapitre est entièrement consacré au secret.

27Si depuis 1830, l’organisation des services a été régie par des arrêtés royaux ou ministériels, des circulaires ministérielles et des règlements internes, il semble que cette situation perdurera : la nouvelle loi mentionne en effet de nombreux domaines qui seront réglés de la même façon. Le pouvoir exécutif continue à monopoliser dans une large mesure la compétence d’organisation du fonctionnement quotidien des services. Tout au long de l’histoire, le Parlement n’a été que très peu impliqué et il se peut que cette situation n’ait pas réellement changé. En effet, les services de renseignement ont fonctionné et fonctionnent encore selon des normes ne dépendant pas directement d’une loi. Les directives internes ont toujours été et restent une base de fonctionnement de grande importance. La suite de cette étude laissera une grande place aux commentaires de cette loi.

Une organisation toujours changeante

28La structure des services de renseignement depuis le début de leur existence jusqu’à la fin des années 1980 reste très méconnue. Quand des parlementaires demandaient des informations, la plupart du temps les ministres refusaient de répondre, se référant au secret d’État et à la sécurité. En fait ce n’est que depuis la fin des années 1980 et le début des années 1990 que quelques informations ont été divulguées à propos de l’organisation, du nombre d’agents travaillant pour les services, du budget. Auparavant, tout cela constituait un tabou [21].

De multiples réorganisations

29Tout au début, le service de renseignement civil comptait cinq bureaux et un secrétariat pour organiser le travail. La section la plus importante était celle qui contrôlait les étrangers résidant sur le territoire belge [22]. Ce contrôle demeurera toujours une importante activité du service.

30En 1929, la Sûreté de l’État devint la première direction de la troisième direction générale du Ministère de la Justice. La raison en était la reprise de la compétence de répression de l’espionnage, abandonnée par le service de renseignement militaire, qui avait été impliqué dans un scandale d’infiltration [23]. On connaît aussi les autres tâches de la première direction : inspection, surveillance des frontières, inspection des forces de la police des frontières. On sait aussi qu’en 1940 toutes les questions de renseignement et de sécurité passèrent sous l’autorité du Ministère de la Guerre.

31En 1945, le service de renseignement unique était organisé en six directions : contrôle de l’exécution des lois et règlements de la police générale ; police judiciaire, assistance à l’auditeur général militaire ; renseignement et documentation ; surveillance des frontières ; contre-espionnage ; renseignement et action.

32En février 1947, le Service général de renseignement et d’action (SDRA), c’est-à-dire le service de renseignement et de sécurité militaire, fut à nouveau séparé de la Sûreté de l’État, le service civil [24]. En ce qui concerne le service de renseignement militaire, l’arrêté royal du 23 février 1947 confiait à l’État-major les compétences suivantes : les renseignement militaires ; le contre-espionnage militaire ; l’exploitation des rapports des attachés et officiers militaires belges à l’étranger. L’arrêté royal du 8 octobre restructurait le SGR et le rattachait à l’État-major. Le SGR se composait dès lors du SDRA (Sûreté), du SDRI (Renseignement) du SDRC (Finances) et du CDH (Histoire).

33À la fin de la Seconde guerre mondiale, quelques dizaines d’agents seulement étaient occupés. En 1944 et 1945, plus de 2.000 nouveaux agents furent recrutés pour rechercher les individus qui avaient collaboré avec l’occupant allemand. Entre 1945 et 1948 leur nombre a été réduit à quelque 50 agents. Mais après la signature du traité de l’Atlantique Nord, près de 250 nouveaux agents furent recrutés.

34Durant les années 1960, la Sûreté de l’État était composée de directions centrales et de services externes. La première direction s’occupait de contre-espionnage, avec un service d’études et un service d’orientation. La deuxième direction était en charge de l’étude et du traitement des dossiers individuels. La troisième direction s’occupait du renseignement général et de l’étude et du traitement des organisations et des groupes [25].

35Au milieu des années 1970, alors que la collaboration avec les américains diminuait, le nombre d’agents de la Sûreté de l’État stagna [26]. En 1977, on comptait 353 agents, dont 176 occupés par la direction des matières relatives aux étrangers et seulement 166 au service administratif de la direction. Le nombre de personnes travaillant dans les brigades externes n’est pas connu.

Une taille toujours assez réduite

36En 1989 et en 1991, la structure de la Sûreté de l’État a été réorganisée de façon importante. Comme le montre le schéma de l’organisation (cf. annexe 2), l’administrateur général lui-même a dû prendre en charge l’application des accords européens Trevi sur la lutte contre le terrorisme et le banditisme et les relations avec les forces de police et les autorités judiciaires, ainsi que les relations avec les services de renseignement étrangers. Il est assisté par quatre bureaux : affaires extérieures ; liaison ; relations ; études. Les services administratifs et externes fonctionnent sous sa responsabilité. Les services administratifs comprennent quatre directions :

  • les affaires générales : personnel, bâtiments, équipement, conseils de sécurités aux services et bâtiments publics ;
  • la première direction : contre-espionnage et prolifération (prévention de l’espionnage, l’exportation illégale de haute technologie, le trafic d’armes, la prolifération de matériel nucléaire) ;
  • la deuxième direction : service juridique et enquête sur les habilitations ;
  • la troisième direction : subversion (suivi et surveillance des personnes et des organisations qui représentent un risque (potentiel) pour la sécurité de l’État). Le suivi et la surveillance des personnes et des groupes ont été placés dans la même direction, parce qu’il est apparu au cours de l’affaire des attentats des Cellules communistes combattantes (CCC) que les deux directions ne collaboraient pas ni n’échangeaient d’information. La troisième direction est devenue la direction la plus importante du service.

37Les agents des services externes travaillent au niveau du terrain. Ils sont répartis en sept brigades B1 à B7, totalement séparées et isolées les unes des autres. Avant la réorganisation de 1989, la B1 était compétente pour les quatre provinces flamandes, la B2 pour la province de Brabant, la B3 pour les quatre provinces wallonnes, la B4 pour le contre-espionnage européen, la B5 pour le contre-espionnage mondial, la B6 pour la filature, la B7 pour la protection rapprochée. Les brigades provinciales disposent d’antennes dans les villes principales. En 1989, la B1 est devenue Al et est en charge de la surveillance de tous genres de mouvements extrémistes et subversifs en Flandre et en Brabant flamand ; B2 est devenue A2 et couvre Bruxelles ; B3 devenue A3 est compétente pour la Wallonie ; B4 est devenue B1 en charge du contre-espionnage dans les pays d’Europe hors Union européenne, particulièrement ceux du Pacte de Varsovie, avec trois sections : une pour les pays de l’ex-URSS, une pour les anciens pays satellites et une pour les autres pays. B5, devenue B2, se concentre sur le reste du monde, avec une section pour les pays arabes, une pour la Lybie, une pour l’Extrême-Orient et l’Amérique latine. En 1989, B6 est devenue D13, en charge de la filature et D1 s’occupe de logistique : installation de micros, ouverture de portes, prise de photographies, etc. Cette D1 est sous l’autorité directe de l’administrateur général, l’objectif est de prévenir les abus. La réforme de 1989 prévoit plus de collaboration à propos de l’espionnage et du terrorisme entre les brigades provinciales et les brigades internationales [27].

38Depuis lors, d’autres restructurations ont eu lieu. Ainsi le contre-espionnage dirigé contre les pays de l’ex-Pacte de Varsovie a été remplacé par une collaboration avec les agences de sécurité publiques et privées de ces pays [28].

39D’autres restructurations sont annoncées. Mais au cours des débats sur la nouvelle loi organique, aucun député n’a évoqué la structure organisationnelle des services. La loi organique du 30 novembre 1998 attribue au ministre de la Justice l’organisation et l’administration générale de la Sûreté de l’État. Toujours selon cette loi, les matières relatives à l’organisation et à l’administration sont réglées par arrêté royal (art. 5 § 3 et 6 § 4). À l’examen du budget de 1989, des parlementaires ont pu estimer le nombre des agents travaillant à la Sûreté de l’État entre 250 et 300 [29]. En 1993, en réponse à une question parlementaire, le ministre précisa les chiffres : 276, en 1994, 270 (316 fournis) et 116 travaillant au service administratif. Ainsi, un total d’environ 400 personnes travaillaient à la Sûreté de l’État.

40Le 17 juillet 1998, le service demanda au ministre de la Justice de recruter 334 nouveaux agents au cours d’une période de cinq ans (33 en 1999), dont 208 pour les brigades externes. La motivation n’était pas claire et on ignore combien d’agents seront admis à la retraite durant ces mêmes cinq années.

41Quant à la structure récente du SGR, nous avons déjà mentionné que depuis la réorganisation de 1964, ce service était composé de quatre sections : la sécurité (SDRA) ; l’information (SDRI, sécurité militaire et industrielle) ; les finances (SDRC) ; l’histoire (CDH) [30]. En novembre 1974, un arrêté ministériel a encore réorganisé le SGR. Il est depuis lors est un des cinq services de l’État-major général de l’armée. Dans l’arrêté royal du 19 décembre 1989, on retrouve toujours grosso modo la même structure. Certaines tâches ont été redéfinies et placées dans le contexte de l’OTAN.

42Le schéma (cf. annexe 2) montre que le chef du SGR est lui-même en charge des relations avec les services de sécurité militaires étrangers et du suivi des traités militaires internationaux dont l’OTAN. Son organisation compte quatre services principaux. Le premier, le ‘Renseignement’, dispose de trois sections : exploitation du renseignement ; recherche du renseignement par des moyens humains (HUMINT) ; recherche du renseignement par des moyens techniques (COMINT). Le deuxième service est appelé ‘Sécurité’ et comprend cinq sections : sécurité militaire (SGR/SMI) (conseils de sécurité et surveillance des installations militaires, conseil et contrôle des industries travaillant pour l’armée) ; habilitation et documentation (SGR/HD) ; détachement de la gendarmerie (investigations de sécurité) ; contre-ingérence (recherche et identification de toute menace pour la sécurité militaire par le sabotage, l’espionnage, la subversion et le terrorisme) ; technique (protection notamment électronique des communications, systèmes informatiques, codage et décodage). Le troisième service est un centre de documentation historique (les archives). Le quatrième est celui de la gestion (l’administration du personnel, les transmissions, la logistique et le budget [31]).

43La loi organique du 30 novembre 1998 stipule que le ministre de la Défense nationale est chargé de l’organisation et de l’administration (art. 5 § 3). Pendant la discussion parlementaire, le ministre a annoncé une réorganisation, mais de nouveau aucun député n’a demandé d’informations supplémentaires. Cependant, un journal avait fait état de la mise sur pied, en 1996, de réseaux d’information provinciaux avec la coopération d’officiers de réserve de l’armée [32]. On reviendra ci-après sur cette question.

44Concernant le nombre d’agents travaillant au SGR, il n’a pas été possible de recueillir de l’information. On sait seulement qu’ils sont dans la proportion d’un civil pour 4 militaires. S’il est vrai que 50 civils sont occupés, le nombre de militaires doit être de 200 unités. Le Comité R a réalisé une analyse détaillée du statut administratif, pécuniaire et disciplinaire des fonctionnaires travaillant dans les deux services. Le Comité a constaté une situation anomique et chaotique. Ce problème mérite une attention particulière, au même titre que l’obligation de garder le secret et la confidentialité [33].

Un budget jamais publié

45Les données relatives au budget n’ont jamais été disponibles. Les ministres ont systématiquement refusé de fournir des informations à ce sujet. Le budget de la Sûreté de l’État était inclus dans celui du Ministère de la Justice ou de l’Intérieur. Avant la Première guerre mondiale, il n’aurait jamais été supérieur à un demi pour cent du budget de la Justice [34]. Celui du service de renseignement militaire a toujours fait partie du budget du Ministère de la Guerre et ensuite de la Défense nationale.

46Depuis 1831, la Cour des comptes refuse de contrôler les dépenses, car cela la conduirait à demander des détails aux services, ce qui serait en contradiction avec la règle du secret.

47Même dans les années 1990 très peu d’informations ont été publiées. En 1991, le budget global de la direction générale des affaires relatives aux étrangers et de la Sûreté de l’État était de 516,5 millions de francs, dont 361 pour la Sûreté de l’État à elle seule. Il semble certain qu’à différentes occasions, les services ont reçu des fonds de services étrangers, comme la CIA, d’autres pays, ainsi que d’organismes internationaux situés à Bruxelles et qui requièrent la protection d’agents belges. La protection des VIP étrangers est normalement financée par leur propre pays [35]. Il n’y a pas d’informations fiables sur d’éventuels fonds secrets.

48En 1995 le Comité R a fait une analyse du budget des deux services. Au sujet du budget de la Sûreté de l’État, cette analyse s’est limitée à vérifier les fonds spéciaux ainsi que les frais de voyage et de séjour du personnel des services extérieurs. Quant au budget du SGR, l’analyse s’est limitée également à la vérification des fonds spéciaux : équipement et documentation. « Le Comité n’a pas découvert d’erreurs ou d’ommissions (…). Le SGR ne peut plus procéder à la destruction systématique de la comptabilité. Cette pratique est contraire à l’arrêté royal du 25 novembre 1952 sur la comptabilité de l’État et empêche le Comité d’exercer sa mission de contrôle du SGR. Contrairement au SGR qui établit des prévisions budgétaires, la Sûreté de l’État n’a pas ce pouvoir (…) » En effet c’est le ministre de la Justice qui a le pouvoir de décision en la matière [36].

L’évolution de la doctrine et des missions

49Les services de renseignement et de sécurité ne peuvent exercer leurs missions sans se référer à une ‘doctrine’ faite d’éléments à la fois théoriques et idéologiques.

50La formulation de cette ‘doctrine’ a connu une certaine évolution entre 1964 et le 30 novembre 1998, date du vote à la Chambre des représentants de la loi organisant les services de renseignement. C’est surtout au Sénat que se déroula une discussion intéressante à propos des aspects importants des missions des services [37]. Mais il s’agit là peut-être plus d’un processus d’explicitation que d’une véritable évolution.

Une lente explicitation des missions

51Pendant longtemps, les autorités politiques et les personnes en charge du travail de renseignement ont refusé de divulguer une quelconque définition de leur mission. Ce n’est qu’en 1964 que l’administrateur général Caeymaex élabora une ébauche de doctrine générale de la Sûreté de l’État [38]. Premièrement, il nota qu’il ne s’agissait pas tant d’une institution que d’une fonction, à laquelle non seulement les agents des services de renseignement et l’ensemble des forces de police, mais aussi chaque fonctionnaire participent. Des problèmes de sécurité sont susceptibles de se produire dans tous les domaines de la société. Et L. Caeymaex les énuméra, incluant non seulement les domaines industriel et commercial, mais également scientifique et académique. Il ne mentionna cependant pas les domaines policier et judiciaire. Le rôle de la Sûreté de l’État est présenté comme très important et clairement préventif : « (…) aider la société à veiller au maintien de sa souveraineté, c’est-à-dire à assurer son indépendance, son intégrité et la bonne marche des institutions qu’elle s’est données, par le règne de l’ordre et de la paix publique. Ce dessein implique notamment la mise en place d’instruments qui se soucient de la sécurité de l’État en prévenant les atteintes aux organes du pouvoir et les violations des règles qui conditionnent l’exercice de ces pouvoirs. » L. Caeymaex distinguait quatre activités :

  • la lutte contre la subversion interne, effective ou potentielle, d’origine belge ou étrangère. Les autorités doivent être averties à leur demande ou spontanément par le service ;
  • le contre-espionnage : détecter les espions qui rassemblent des informations militaires, politiques, économiques, techniques ou scientifiques, ainsi que les personnes qui projettent un sabotage afin de déstabiliser l’État ; prévenir toute interférence étrangère dans le processus de prise de décision belge ;
  • la protection des personnalités importantes : la famille royale, les membres du gouvernement, les visiteurs de marque ;
  • le contrôle de l’attitude politique des étrangers résidant sur le territoire et s’ils s’avèrent dangereux ou nuisibles à l’ordre public et la suggestion éventuelle des mesures contre eux au ministre de la Justice.

52En 1977, le ministre de la Justice publia une brochure sur la sécurité publique. Il réaffirma en des termes très généraux que les tâches d’enquête et d’analyse en matière de sécurité étaient très larges et que les services devaient disposer d’information et de documentation étendues. La collaboration avec les forces de police et avec les services de renseignement étrangers est nécessaire [39].

53L’arrêté royal du 19 décembre 1989 et ensuite celui du 5 mars 1992 décrivaient les missions du SGR. Le premier charge le SGR de « prendre toutes les mesures nécessaires à la protection du secret et au maintien de la sécurité militaire, y compris le chiffrement; d’établir, de diffuser et de contrôler les directives en la matière[40] ».

54En 1994, dans son premier rapport, le Comité R distingua deux missions principales (la sécurité et le renseignement) et quelques tâches spécifiques pour les services de renseignement.

55La sécurité est définie comme activité défensive : garantir la confidentialité des informations auxquelles un nombre limité de personnes ont accès ; garantir la sécurité des documents, installations, équipements ; vérifier la fiabilité des personnes ayant accès à ces données. La conception de la sûreté militaire et les tâches de contrôle devraient être limitées aux intérêts militaires. Les enquêtes peuvent néanmoins déborder du cadre militaire.

56La sécurité extérieure est constituée par les activités des agents belges travaillant en territoire étranger pour protéger la souveraineté de l’État ou son potentiel scientifique, économique et militaire, qui pourraient être menacés en raison d’espionnage aux fins d’exportation clandestine de matériaux, de connaissances ou d’information essentiels au bien-être de l’État ; en raison également d’interventions destinées à influencer les décisions en faveur d’intérêts étrangers ; en raison du sabotage, de tentatives de fomentation de troubles, dont le but est la déstabilisation ou le renversement des autorités nationales ; en raison de menaces militaires ou de dommages causés aux intérêts belges à l’étranger.

57La sécurité interne concerne la subversion (cf. infra).

58Le renseignement est quant à lui défini comme activité préventive : le devoir d’informer le gouvernement des activités susceptibles de menacer la sécurité de l’État. Il comprend deux phases : la collecte et l’analyse d’informations, et deux aspects : la police administrative et la police judiciaire.

59Il peut ne concerner que des menaces à l’égard des structures et de l’organisation de l’État et ne pas impliquer de compétence judiciaire. La police judiciaire et les parquets doivent de leur côté poursuivre les crimes contre la sécurité de l’État énumérés dans le code pénal. Le renseignement suppose une activité à long terme ; les forces de police participent à cette fonction, mais de façon spécifique et lorsqu’un événement concret se produit. La distinction entre les activités des forces de police et des services de renseignement n’est pas basée sur des dispositions légales. C’est pourquoi le Comité R jugeait nécessaires une délimitation des tâches et davantage de coordination entre tous les services et forces concernés.

60Les tâches spécifiques sont la protection des personnes, la conservation de la documentation historique de l’armée, la délivrance des permis d’armes aux étrangers [41].

61D’autres distinctions concernant le renseignement sont faites par le Comité R :

  • le renseignement stratégique : renseignement biographique, économique, sociologique, politique, technologique relatif aux télécommunications pour préparer des décisions internationales (des Nations Unies, de l’OTAN, de l’UEO) ou pour soutenir des opérations des autorités militaires ;
  • le renseignement opérationnel : moyens militaires, doctrine, armement, infrastructure, équipement et entraînement pour planifier les campagnes et les opérations militaires importantes ;
  • le renseignement tactique : connaissance des différents aspects des ennemis militaires ou paramilitaires, caractéristiques de la population etc. qui pourraient aider les décideurs militaires sur le terrain [42].

La doctrine et les missions selon la loi organique

62Selon l’article 7 de la loi organique du 30 novembre 1998, la Sûreté de l’État a pour mission :

63

« 1 de rechercher, d’analyser et de traiter le renseignement relatif à tout activité qui menace ou pourrait menacer la sûreté intérieure de l’État et la pérennité de l’ordre démocratique et constitutionnel, la sûreté extérieure de l’État et les relations internationales, le potentiel scientifique ou économique défini par le Comité ministériel, ou tout autre intérêt fondamental du pays défini par le Roi sur proposition du Comité ministériel ;
2 d’effectuer les enquêtes de sécurité qui lui sont confiées conformément aux directives du Comité ministériel ;
3 d’exécuter les taches qui lui sont confiées par le Ministre de l’intérieur en vue de protéger des personnes ;
4 d’exécuter toutes autres missions qui lui sont confiées par ou en vertu de la loi. »

64L’article 8 explicite un certain nombre de notions : « activité qui menace ou pourrait menacer » ; « espionnage, terrorisme, extrémisme, prolifération, organisation sectaire nuisible, organisation criminelle, ingérence », « la sûreté intérieure de l’État et la pérennité de l’ordre démocratique et constitutionnel » ; « la sûreté extérieure de l’État et les relations internationales » ; « le potentiel scientifique ou économique » ; « protéger des personnes » (cf. annexe 4).

65La nouvelle loi n’innove guère au sujet de la sécurité intérieure et extérieure. Mais on constate que « la sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales » font à présent partie de la sécurité intérieure.

66La définition des missions est assez étendue. Pourtant, en juillet 1998, lors du débat au Sénat, celui-ci ne fut apparemment pas très explicite quant à la description des missions et donna l’impression de vouloir les simplifier. Mais certains sénateurs de l’opposition objectèrent que toute nouvelle mission devrait être conférée par la loi, parce qu’elle pourrait constituer une menace pour la vie privée : l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme prévoit que ces missions et la liste des organisations et personnes sous le contrôle de la Sûreté doivent être publiées. Le Parlement doit être informé, parce que les citoyens doivent savoir à l’avance que leurs activités représentent un danger pour la sécurité de l’État. Mais les ministres répondirent qu’une telle disposition n’était pas nécessaire, et que la Cour européenne des droits de l’homme n’avait pas estimé nécessaire que des listes d’organisations ou de personnes sous surveillance soient publiées [43]. La loi est finalement assez explicite quant aux missions. La majorité sociale-chrétienne et socialiste accepta de charger le pouvoir exécutif de la tâche de spécifier les missions futures et surtout de dresser la liste des organisations et des personnes placées sous surveillance.

67La nouvelle loi maintient le principe de la possibilité d’exécution par les forces de police du travail de renseignement (art.14). Lors des discussions au Sénat il fut remarqué qu’à la différence des services de sûreté, les forces de police récoltent des informations concernant des situations particulières de désordre, qu’elles protègent les biens et les personnes et non la Nation, et qu’elles travaillent de façon plus ouverte et à court terme [44]. L’explication semble insuffisante car c’est en fait la délimitation même des compétences qui n’est pas claire.

68L’article 11 § 1er définit les missions du service général de renseignement et de sécurité :

69

« 1. de rechercher, d’analyser et de traiter le renseignement relatif à toute activité qui menace ou pourrait menacer l’intégrité du territoire national, les plans de défense militaires, l’accomplissement des missions des forces armées ou la sécurité des ressortissants belges à l’étranger ou tout autre intérêt fondamental du pays défini par le Roi sur proposition du Comité ministériel, et d’informer sans délai les ministres compétents ainsi que de damer des avis au gouvernement, à la demande de celui-ci, concernant la définition de sa politique extérieure de défense ;
2. de veiller au maintien de la sécurité militaire du personnel relevant du Ministre de la Défense nationale, et des installations militaires, armes, munitions, équipements, plans écrits, documents, systèmes informatiques et de communications ou autres objets militaires ;
3. de protéger le secret qui, en vertu des engagements internationaux de la Belgique ou afin d’assurer l’intégrité du territoire national et l’accomplissement des missions des forces armées, s’attache aux installations militaires, armes, munitions, équipements, aux plans, écrits, documents ou autres objets militaires, aux renseignement et communications militaires, ainsi qu’aux systèmes informatiques et de communications militaires ou ceux que le Ministre de la Défense nationale gère ;
4. d’effectuer les enquêtes de sécurité qui lui sont confiées conformément aux directives du Comité ministériel. »

70Comme dans le cas de la sûreté de l’État, un second paragraphe explicite un certain nombre de notions : « activité qui menace ou qui pourrait menacer l’intégrité du territoire national » ; « activité qui menace ou qui pourrait menacer les plans de défense militaires » ; « activité qui menace ou qui pourrait menacer l’accomplissement des missions des forces armées » ; « activité qui menace ou qui pourrait menacer la sécurité des ressortissants belges à l’étranger » (cf. annexe 4).

71Au cours des débats parlementaires, des sénateurs firent remarquer, mais en vain, que les missions de la sécurité militaire étaient similaires à celles en vigueur durant la période de la guerre froide et qu’il était nécessaire de moderniser les missions relatives aux opérations humanitaires et de maintien de la paix [45].

72Il est clair qu’un certain chevauchement des attributions des deux services n’est pas évité. Par ailleurs, prétendre que les missions sont réduites relève d’une approche superficielle, d’autant plus que le Comité ministériel peut toujours les reformuler et les adapter de sa propre initiative ou par arrêté royal, ce qui revient presque au même.

Le monopole des deux services de renseignement

73En raison de l’absence de base légale spécifique aux deux services de renseignement, avant la loi organique du 30 novembre 1998, le Roi et le pouvoir exécutif auraient pu mettre sur pied tout autre service de renseignement. Aujourd’hui, l’article 2 de la loi organique mentionne les deux services comme étant les seuls.

74Mais la question s’est posée : pourquoi deux services distincts ? Les arguments pour maintenir les deux services sont : les affaires militaires doivent être aux mains des militaires ; les autres pays occidentaux maintiennent une distinction similaire. L’évolution de la collaboration entre eux est cependant positive, selon les chefs des deux services [46]. Il est clair que la participation du SGR à l’OTAN, d’ailleurs peu contrôlée, constitue la raison d’être du maintien de deux services séparés.

75Quant aux activités de renseignement des forces de police, elles sont toujours organisées en dehors de tout cadre légal. La distinction entre les activités de renseignement des forces de police et celles des services de renseignement n’est donc pas toujours toujours réglée de façon claire.

Le renforcement de la protection des personnes

76Treize des quarante-huit articles de la loi organique (art. 22 à 35) concernent des « dispositions particulières à l’exercice des missions de protection des personnes ». Il s’agit de la protection rapprochée (close protection).

77Alors que la Sûreté de l’État travaille normalement sous l’autorité du ministre de la Justice, le domaine de cette protection est placé sous celle du ministre de l’Intérieur, car il s’agit de ce qu’on appelle une opération de maintien de l’ordre. En outre, les agents en charge de cette mission ont une compétence de police administrative élargie et peuvent en outre requérir l’assistance des forces de police. On ne peut que constater l’absence de mesures de contrôle spécifiques pour cette mission importante.

La protection du potentiel scientifique et économique

78La loi organique définit cette mission de la Sûreté de l’État. En fait, la mention n’en n’est pas tout à fait nouvelle. L. Caeymaex parlait déjà en 1964 de « repérer les espions qui rassemblent des informations économiques, techniques ou scientifiques ».

79Dans son rapport de 1998, le Comité R rend compte d’une analyse qu’il a faite à ce sujet. Par ailleurs, un sénateur avait posé une question parlementaire. Le Comité R constate que « ni le gouvernement dans l’avant projet de loi sur les services de renseignement, ni le Parlement n’ont défini cette nouvelle mission, à l’occasion du dépôt puis des discussions à la Chambre et au Sénat du projet de loi organique des services de renseignement. Le projet actuel laisse la définition de cette nouvelle mission au Comité ministériel du renseignement et de la sécurité.[47] » On ne peut que constater que la définition donnée par la loi (art. 8 § 4) est purement tautologique : « le potentiel scientifique ou économique : la sauvegarde des éléments essentiels du potentiel scientifique ou économique ».

80Le Comité R craint que ni le législateur, ni le pouvoir exécutif ne se rendent compte de la difficulté de la réalisation de cette mission et du manque de moyens de la Sûreté pour l’effectuer. Il estime que la définition des menaces à ce sujet ne doit pas être ni trop large, ni trop figée étant donnée l’évolution rapide des éléments du potentiel scientifique ou économique. En outre, le potentiel doit se comprendre dans le cadre de la construction européenne. Le Comité préconise la création d’un organe de concertation entre les ministres et les entreprises les plus concernées. Cet organe devrait servir de lieu de rencontre, de recueil d’informations et de sensibilisation en ce qui concerne les menaces en provenance de l’étranger. Il faut que les deux services y participent en collaboration. Enfin, selon le Comité, « il ne faudra pas négliger de fournir à la Sûreté de lÉtat les moyens qu’elle réclame au risque de voir cette disposition législative rester lettre morte » [48].

Les compétences en ce qui concerne la législation en matière d’armes

81Le 20 novembre 1996, le Comité R décidait d’ouvrir une enquête ‘d’office’ sur cette mission de la Sûreté de l’État.

82La compétence du service en matière d’armes n’est pas récente puisque la loi du 3 janvier 1933, et ensuite celle du 30 janvier 1991, confiaient à la Sûreté de l’État la délivrance des permis temporaires de port d’arme aux membres des services étrangers ou à des ressortissants belges non domiciliés en Belgique. Il s’agissait essentiellement de l’accompagnement de personnalités officielles en visite dans le pays, de personnes à statut diplomatique, de militaires du SHAPE, d’agents d’entreprises de gardiennage étrangères reconnues en Belgique, d’étrangers qui désirent acquérir en Belgique une arme soumise à autorisation soit en vue de vente, de cession, d’importation ou d’exportation, soit à usage sportif.

83En résumé, la Sûreté de l’État exerce à ce sujet deux types de compétences : de décision et d’avis. Selon le Comité R, la première compétence n’a aucun lien avec les activités normales d’un service de renseignement, le lien de la deuxième compétence est quant à lui plus incertain. Du reste, il s’agit des compétences qui relèvent plus d’une mission de police administrative et de maintien de l’ordre public que de la mission de renseignement [49].

84En fin de compte, la loi organique du 30 novembre 1998 ne prévoit pas expressément la compétence de la Sûreté de l’État en matière de réglementation relative aux armes.

Deux notions-clés : la subversion et le terrorisme

85Deux notions-clés reviennent de façon récurrente dans les discours sur la sécurité et le renseignement : la subversion et le terrorisme.

86Dans sa brochure de 1977, le ministre de la Justice fait preuve d’une vision très large de la subversion, la considérant comme un problème « perpétuel » et « très complexe » : « La subversion se manifeste sous différentes formes, évolue très rapidement et est souvent difficile à définir (…) Elle peut venir de très petits groupes ou avoir des ramifications dans le monde entier[50]. »

87Dans le rapport de l’enquête parlementaire relative aux problèmes posés par le maintien de l’ordre et les milices privées[51] de juin 1981, les organisations subversives sont définies comme celles « qui en raison de leurs buts profonds, leurs méthodes d’action et leur comportement veulent abattre, détruire ou changer la structure de l’État légalement établi ou paralyser son fonctionnement par des moyens illégaux (…). Des groupes qui promeuvent des idées subversives sans utiliser des moyens illégaux ou qui utilisent des moyens illégaux sans clairement promouvoir d’idées subversives devraient être considérés comme potentiellement subversifs et méritait la même attention[52]. » Il fut révélé ultérieurement qu’en réalité la définition, qui avait été transmise à la commission par le chef de la Sûreté de l’État, était en fait celle de la gendarmerie. Elle était néanmoins un peu plus restrictive que la première, citée ci-dessus.

88La même année, le ministre de la Justice, en charge de la Sûreté de l’État, définit les organisations subversives comme « tout mouvement ou groupe qui tente de détruire l’État ou les structures de l’État de façon illégale ». La définition est à nouveau plus large. Il fit cette déclaration après avoir remarqué qu’un groupe de travail composé de représentants des différentes forces de police, des services de renseignement, des Ministères de la Défense nationale, de l’Intérieur et de la Justice n’avaient pas réussi à se mettre d’accord sur une définition commune. Chaque service ou autorité avait son approche propre. Finalement les ministres de l’Intérieur et de la Justice s’accordèrent sur la définition de la gendarmerie [53].

89Il n’est, dans ce contexte, guère surprenant qu’en 1988 à la Chambre des représentants furent associées les notions de ‘subversion’ et d’‘extrémisme’ : « réunir des informations sur toute menace potentielle de l’ordre légal démocratique, par exemple sur les organisations extrémistes qui opèrent même durant l’agitation sociale[54] ».

90Dans la loi organique du 30 novembre 1998, le terme ‘subversion’ ne fut pas maintenu, mais bien celui de l’‘extrémisme’ : « Les conceptions ou les visées racistes, xénophobes, anarchistes, nationalistes, autoritaires ou totalitaires, qu’elles soient à caractère politique, idéologique, confessionnel ou philosophique, contraires, en théorie ou en pratique, aux principes de la démocratie ou des droits de l’homme, au bon fonctionnement des institutions démocratiques ou autres fondements de l’État de droit. » (art. 8 l°c)

91On peut se demander si cette définition n’est pas si large qu’elle rend inutile l’appel à la notion de subversion. Par ailleurs, sont souvent associés au terme de ‘subversion’ ceux de terrorisme ou de groupes terroristes.

92Dans le rapport de l’enquête parlementaire relative aux problèmes posés par le maintien de l’ordre et les milices privées, le groupe terroriste est défini comme « une organisation dont les membres sont coupables d’activités criminelles ou suspectés d’avoir commis ou de pouvoir commettre ces crimes dans le but d’atteindre des buts politiques ». Mais la commission d’enquête parlementaire ne parvint pas à savoir quelles organisations spécifiques étaient visées par les services de renseignement.

93Des fuites dans la presse à propos de la liste de la gendarmerie d’organisations terroristes ou subversives – les deux étant mélangées – révélèrent que des organisations telles qu’Oxfam, le Mouvement chrétien pour la paix, les Religieux contre les armes nucléaires, Solidarité socialiste, le Comité d’action contre les armes nucléaires ainsi que des syndicats figuraient sur la liste [55].

94En juin 1983, le ministre de la Justice mit sur pied un groupe anti-terroriste secret pour coordonner l’information et les activités des forces de police et de renseignement et pour informer et conseiller le gouvernement. En septembre 1984 une sorte d’organe exécutif fut mis sur pied : le groupe interforces antiterroriste-GIA, composé essentiellement de membres de la gendarmerie.

95Sa cible était constituée par : « des terroristes de réputation internationale et des personnes soupçonnées d’être actives en tant que terroristes ou d’avoir des sympathies terroristes » [56]. Les définitions du terrorisme devenaient plus larges : montrer de la sympathie devenait également suspect.

96Dans son rapport de 1995, le Comité R a souligné que « une protestation légale ne peut être considérée comme une menace pour la sécurité de l’État » mais que « une limitation trop stricte des activités des services de renseignement peut mener à la mobilisation d’autres services publics et/ou privés. Raison de plus pour rédiger le cadre juridique avec soin et tenir compte du rôle positif que le Comité R peut jouer. » [57]

97On revient à une définition un peu plus restrictive dans la loi organique du 30 novembre 1998. Le terrorisme y est défini comme « le recours à la violence à l’encontre de personnes ou d’intérêts matériels, pour des motifs idéologiques ou politiques, dans le but d’atteindre ses objectifs par la terreur, l’intimidation ou les menaces » (art. 8 l°b).

Les cibles des services de renseignement

98

« II s’agit de comprendre que, si la Sûreté s’est d’abord préoccupée des collaborateurs, puis, progressivement à nouveau des communistes, ce n’est pas en vertu d’un texte de loi, d’une directive ministérielle ou même d’un ordre précis. En absence de toute définition officielle et précise de la subversion, ce sont, comme d’habitude, les événements (nationaux et internationaux) qui se chargeront de lui dicter sa conduite. Et cette remarque est valable pour toute l’histoire de la Sûreté. » [58]

99Les actions des services de renseignement furent en effet toujours soit des réactions à des événements nationaux, soit, plus d’une fois, des réponses à des situations ou à des tendances internationales, soit encore, plus directement, le produit d’influences étrangères. Il convient de garder à l’esprit que la Sûreté a toujours agi avec l’approbation expresse ou tacite des gouvernements successifs.

La protection du nouvel État et du pouvoir bourgeois

100Durant les années qui suivirent l’accession de la Belgique à l’indépendance, les frontières étaient ouvertes. De nombreux réfugiés politiques, en provenance de France ou d’Allemagne, républicains, socialistes anarchistes, saint-simoniens et fouriéristes, s’installèrent dans les grandes villes, particulièrement à Bruxelles. Tout comme les Orangistes favorables au régime hollandais, ils étaient considérés comme les ennemis de l’État. Ils étaient l’objet de la surveillance de la Sûreté.

101Avant l’instauration du suffrage censitaire, le Parlement constituait véritablement une assemblée bourgeoise. Dès les années 1840, c’est le socialisme en expansion qui devint la cible de la Sûreté, et plus particulièrement après l’échec de la Commune en France. En collaboration avec la police de Paris, les agitateurs politiques étrangers furent, tout comme les Belges, soumis à un contrôle sévère. L’infiltration des nouveaux mouvements, l’utilisation d’informateurs et la provocation étaient des moyens fréquemment utilisés.

102Durant la révolution de 1848, de nombreux pays européens, mais pas la Belgique, développèrent leurs services de renseignement et placèrent les réfugiés sous une surveillance permanente. Des arrestations arbitraires, des emprisonnements et des expulsions – comme celle de Karl Marx en 1848 – firent l’objet de vives critiques au Parlement. Le Parti ouvrier belge, créé en 1885, fut très tôt infiltré par la Sûreté, qui réussit à y fomenter des troubles et à y semer la discorde. Mais lorsqu’en mai 1889 des faiseurs de troubles arrêtés comparurent devant le tribunal, un grand complot, l’affaire Pourbaix’ fut découvert. On apprit que l’infiltration du parti avait été approuvée par le Premier ministre et le ministre de la Justice. Cependant, le chef du service de la Sûreté paya le prix de ce scandale et fut démis. D’autres cas d’infiltration et de provocation par des agents de la Sûreté ou des informateurs ont été mis à jour [59].

La lutte contre le communisme et l’extrémisme flamand

103Peu d’informations sont disponibles sur les activités des services de renseignement durant la guerre 1914-1918. Il semble que les cibles furent surtout les étrangers, les réfugiés politiques, les ‘spartakistes’ (socialistes allemands) et les nationalistes flamands, ces derniers à cause de leur vision séparatiste [60]. Le 7 septembre 1920, la Belgique conclut avec la France un pacte de défense mutuelle secret. Jusqu’aux années 1930 il y eut une collaboration étroite avec les services de renseignement et de sécurité français. Des informations sur les socialistes et, de plus en plus, sur les communistes, étaient également échangées avec d’autres pays européens. Les gouvernements européens s’associaient contre l’Union soviétique, et leurs polices politiques constituaient un instrument utile de cette lutte. En Belgique, le parti communiste devint la cible principale. Les services de renseignement collaborèrent avec des organisations patronales pour espionner le parti communiste. Certains patrons et organisations patronales privées belges finançèrent des activités et la propagande contre le communisme tout comme contre le nationalisme flamand.

104En 1929, le service de renseignement militaire fut impliqué dans un scandale de divulgation de fausse information à propos d’une soi-disant action conjointe belgo-franco-britannique contre l’Allemagne. Le 14 octobre 1936, le Roi Léopold III annonçait officiellement que la Belgique suivrait dorénavant une course indépendante sur le plan international. Si officiellement les liens avec les services français et, dans une moindre mesure, avec les britanniques furent interrompus à cause de cette politique de neutralité, mais également pour ne pas provoquer les Allemands, en pratique la coopération demeura, en tout cas pour certains agents du service de la Sûreté de l’État belge. Ils savaient que les Français et les Britanniques, tout comme les Russes, organisaient des réseaux de renseignement sur le territoire belge. D’autres agents développèrent apparemment de bonnes relations avec les services de renseignement allemands et surveillaient les opposants au régime de Berlin et les Juifs ayant fuit le régime nazi. Les agents de la Sûreté demandaient des informations à la Gestapo plus fréquemment que l’inverse. Des liens avec les services de renseignement allemands avaient déjà été établis depuis la création en septembre 1923 de l’‘Internationale Kriminal Polizeiliche Kommission’, précurseur d’Interpol (dont les fondations allaient être posées en juin 1956). La ‘Kommission’ était clairement sous l’influence des nazis allemands dès 1936. La même année, les contacts avec les Allemands se resserrèrent et des activités communes furent entreprises contre les communistes. Des fonctionnaires haut placés dans les services de renseignement assistèrent à un congrès consacré à la lutte anti-bolchévique en septembre 1937 à Berlin, où furent jetées les bases d’une collaboration encore renforcée (échange d’informations et de preuves, assistance mutuelle) dans la lutte contre les communistes, les anarchistes et d’autres ennemis subversifs de l’État.

105Ce qui s’est réellement passé durant cette époque n’est pas encore connu. Il faut donc se garder de conclure que les agents de la Sûreté de l’État étaient devenus de réels nazis [61]. Il est clair qu’il n’existait pas d’unanimité au sein des services, qui étaient tiraillés entre différentes alliances possibles. Reste que les communistes demeurèrent la cible principale et la raison de ces incursions dans les eaux troubles du fascisme et de l’anticommunisme international [62]. Il advint néanmoins aussi que des espions allemands soient arrêtés en territoire belge.

106Les services de renseignement conservèrent la compétence judiciaire qui leur avait été attribuée le 19 novembre 1940 par le gouvernement de Londres, jusqu’en 1949 et même 1952 pour certains agents. En mars 1940, ils reçurent immédiatement la mission de dresser deux listes de suspects à arrêter immédiatement en cas de déclenchement du conflit. Dans la nuit du 9 au 10 mai 1940, lorsque les Allemands envahirent la Belgique, plus de 5.000 personnes furent arrêtées : des antifascistes, des communistes, des réfugiés allemands, des rexistes (membres de l’extrême droite francophone), des nationalistes flamands. De telles arrestations administratives et préventives ont été effectuées dans tous les pays en guerre à l’époque et même dans des pays qui ne l’étaient pas encore, comme le Canada et les États-Unis. Il est certain que la Sûreté y a tenu un rôle, mais non que ce fut un rôle prépondérant [63].

107Les deux services de renseignement, militaire et civil, détruisirent alors leurs archives. Mais des listes reprenant près de 325.000 étrangers, y compris 38.000 Juifs vivant en Belgique, tombèrent entre les mains de la Gestapo vers la fin de l’année 1940. Après le début de l’agression de l’Union soviétique par l’Allemagne, l’existence d’une liste de communistes permit leur arrestation et leur déportation par la Gestapo [64].

Après la Seconde guerre mondiale

108Le gouvernement belge en exil au Royaume-Uni créa donc un nouveau service de Sûreté de l’État, qui fut constamment en termes plutôt difficiles avec les services britanniques. À différentes occasions ces derniers considérèrent, à tort, les services belges comme mal informés de la situation qui existait en Belgique occupée. Les rapports entre Londres et la résistance belge furent très compliqués. En dehors de l’ancien ‘Intelligence Service’, les Britanniques disposaient également du Spécial Opérations Europe (SOE) destiné à développer les contacts avec les mouvements de résistance dans les pays européens occupés : renseignement et action offensive. Mais ils disposaient en outre d’un service de guerre psychologique et d’un service d’évasion. Il s’agissait donc au total de quatre services. Cependant, le service belge de Londres avait établi des contacts étroits avec la résistance en Belgique, et notablement avec les communistes. Ceci est la raison pour laquelle le service de renseignement militaire allait ultérieurement considérer son pendant civil comme gauchisant.

109Après la guerre, les services de renseignement belges demeureront en partie sous l’influence britannique et des rapports confiants persisteront longtemps avec l’Intelligence Service, notamment au moment de la constitution des réseaux ‘stay behind’ pendant la période de la guerre froide.

110Les Américains établirent également leur réseau en Belgique et cherchèrent à obtenir des renseignement sur la présence politique communiste. Durant les années 1960, il était parfaitement normal que la CIA vienne consulter quelques dossiers de la Sûreté de l’État. Aucune objection n’était formulée, pas même contre le fait que ce soient les Américains qui décident des priorités du service, et ce parce que la CIA payait une partie de ses frais de fonctionnement.

111À cela s’ajoute la tentative des services français de subordonner les services belges. « On le voit, sans être exécrable, la collaboration établie entre les services belges et alliés ne fut pas des plus franches. Elle fut le plus souvent l’objet de tracasseries, de mauvaises liaisons, de méfiance réciproque, de conflits sur lesquels sont venus se greffer l’antagonisme foncier du couple Deuxième direction (renseignement militaire) - Sûreté de l’État ainsi que les tensions réglant au sein de ce dernier organisme. » [65]

112Après la libération de la Belgique, en juin 1944, la structure instaurée pendant la guerre fut démembrée et la Sûreté de l’État s’attela à la recherche et à l’arrestation de ceux qui avaient collaboré avec les Allemands. Cependant, les forces de police ordinaires – la gendarmerie, dotée d’une nouvelle section d’investigation et d’information politique, les ‘brigades de surveillance et de recherche’ (BSR) et la police judiciaire collaborèrent également à cette tâche. Les services de renseignement recrutèrent plus de 2.000 personnes issues de la Résistance. Bien des réseaux civils ou militaires aidèrent les forces de police et de sécurité à retrouver et dénoncer des anciens collaborateurs et des communistes et à exercer une censure. La Sûreté de l’État combattit tous les extrémistes, de gauche ou de droite, mais la sécurité militaire, à l’évidence sous l’influence américaine, considérait les communistes plutôt que les anciens collaborateurs comme sa cible principale, et les groupes de droite, comme ses alliés dans la lutte contre les communistes. La Sûreté de l’État était toujours suspectée d’être trop ‘gauchiste’, mais ce fut sur le service de renseignement militaire que pesa la suspicion d’avoir assassiné le chef communiste J. Lahaut [66]. Tout cela n’empêcha pas les deux services de renseignement de surveiller attentivement le développement de mouvements sociaux – grèves, actions et activités syndicales, troubles – ainsi qu’ils l’avaient fait avant guerre. Il semble que le gouvernement ait été maintenu bien informé de ce type de mouvements.

113À partir de la fin de 1945 et avec le début de la guerre froide, la Sûreté de l’État s’orienta également davantage vers la cible communiste, récoltant des informations sur les politiciens et les fonctionnaires communistes, en dépit de protestations plutôt fortes de la part d’une partie de la presse et de parlementaires : les membres communistes de la Résistance demeuraient des héros aux yeux de l’opinion, ils disposaient de représentants au Parlement et participaient au gouvernement.

114Les gouvernements successifs participèrent de plus en plus au climat anti-russe américain et occidental (OTAN) et à l’insécurité morale politique qui en résultait. « Pendant des années, la répartition des personnes et des moyens a été établie selon les priorités des Américains et de lOTAN ; le service de contre-espionnage était particulièrement braqué sur la présence d’éventuels agents du Pacte de Varsovie dans notre pays. » [67]

115Dès 1949, des accords secrets lièrent différents pays occidentaux, entre autres dans la politique commune de ‘stay behind’ : des réseaux clandestins de résistance destinés à servir en cas d’invasion et d’occupation russe, au moyen d’opérations de renseignement, communication et sabotage. Les différents services de renseignement et de sécurité des pays occidentaux étaient chargés de l’organisation concrète de ces réseaux. Il semble que la CIA ait apporté son aide à l’installation des réseaux belges et situé cette action dans le cadre de la stratégie américaine de tension [68].

116En 1991-1992, la Commission d’enquête parlementaire sur l’existence en Belgique d’un réseau de renseignement clandestin international tenta de découvrir qui en étaient les participants, comment ils avaient été recrutés, ce qu’ils avaient fait, de quel genre d’armes ils avaient disposé et où elles étaient dissimulées. La commission procéda à l’audition de 37 témoins, mais n’obtint pas de réelles réponses. Le ministre de la Justice déclara que les dépôts d’armes avaient été détruits dès 1960, mais qu’ultérieurement les membres avaient reçu un pistolet qu’ils devaient garder sous clé et qu’ils durent rendre en 1990 [69]. L’identité des agents du réseau clandestin ne fut jamais communiquée, même pas aux hauts magistrats désignés par la Commission d’enquête parlementaire [70].

117Mais la même Commission d’enquête découvrit que le réseau belge de ‘stay behind’ (appelé SDRA 8) n’était pas aussi développé que dans d’autres pays occidentaux [71]. Il y avait en outre des réseaux tout à fait indépendants, constitués par la Sûreté de l’État ainsi que par le SGR [72]. On peut donc dire que les médias belges ont fait un usage abusif de l’appellation Gladio pour parler du réseau belge de ‘stay behind’. Mais depuis lors il a été établi qu’au début des années 1950, des réseaux ‘stay behind’ ont été très développés, chacun d’entre eux disposant de plusieurs dépôts d’armes clandestins [73].

118En 1996, quand le Comité R entama à la demande du Parlement, une enquête sur la réinstauration du réseau ‘stay behind’, il fit l’historique de l’initiative. C’est en 1952 que le réseau fut établi en Belgique. La mission de recueillir des informations économiques et sociales en cas d’occupation du pays par les pays du bloc de l’Est et de les transmettre au gouvernement en exil fut dévolue au Sûreté de l’État. Une section militaire qui devrait suivre les mouvements des forces d’occupation ennemies était également mise en place. Ce réseau s’occupait donc en effet de renseignement, d’infiltration et d’exfiltration (évasion des personnalités importantes) [74].

La lutte contre les extrémismes et la criminalité organisée

119La période de la guerre froide est terminée et ces réseaux ont été démantelés. C’est le 23 novembre 1990 que le gouvernement belge a décidé de supprimer le réseau ‘stay-behind’ : « Le Conseil décide d’abroger les missions qui avaient été confiées en 1951 par le Comité ministériel de défense au SDRA 8 existant au sein des SGRA et au service spécial de la Sûreté de l’État en exécution des accords Mensies-Spaak relatifs à la préparation d’organisations d’espionnage et d’action en cas de guerre… » [75]

120Entretemps, les deux services de renseignement continuaient à surveiller les mouvements fédéralistes ou anti-unionistes, anti-atlantiques ou anti-américains, ceux de l’extrême gauche comme de l’extrême droite. Mais ils continuèrent également à observer tous les conflits idéologiques, socio-économiques ou politiques importants. L’importance politique des communistes diminua considérablement et l’intérêt des services de renseignement pour eux diminua également.

121Néanmoins, Michel Graindorge, un avocat bruxellois, membre d’un mouvement d’extrême gauche, qui avait défendu devant un tribunal allemand les membres de la Rote Armee Fraction allemande (RAF), fut arrêté par la police judiciaire à la fin du mois d’août 1979, sur base de l’accusation de complicité dans l’évasion de détenus célèbres d’une prison belge et selon une hypothèse jamais confirmée que les services de renseignement étaient impliqués et conservaient le contact avec le BKA allemand (‘Bundes Kriminalamt’) qui n’aimait pas les avocats qui défendaient la RAF. L’avocat fut acquitté par manque de preuves. Par la suite il accusa le chef de la Sûreté d’État d’être lui-même impliqué dans des actions de déstabilisation d’extrême droite [76].

122Dans la nuit du 4 juillet 1981, les locaux du périodique d’extrême gauche Pour furent incendiés. Le périodique publiait de nombreux articles critiquant le phénomène de l’extrême droite en Belgique, mais également les services de renseignement. Il avait été infiltré par des agents de la Sûreté de l’État, soupçonnés d’avoir collaboré avec des personnes d’extrême droite pour allumer l’incendie.

123Après de nombreuses critiques, émanant tant de parlementaires que de journalistes, qui soulignaient que les services de renseignement ciblaient systématiquement et de façon excessive les mouvements gauchistes ou syndicaux, qu’ils collaboraient même avec des informateurs de l’extrême droite, le ministre socialiste de la Justice ordonna à la Sûreté de l’État, au début des années 1980, de commencer à dresser la carte des mouvements d’extrême droite tant francophones que flamands en Belgique. En effet, ces mouvements devenaient très actifs, et cela à découvert. Certaines composantes du PSC et du PRL étaient impliquées et des personnalités politiques subsidiaient un périodique d’extrême droite, le Nouvel Europe Magazine. Ils organisèrent même des campagnes de presse. Des personnalités politiques d’extrême droite, des hommes d’affaires et des membres du personnel militaire étaient impliqués dans des réseaux permettant à d’anciens collaborateurs de s’enfuir en Amérique latine [77]. Il fut mentionné également qu’ils avaient tenté d’infiltrer les services de renseignement. Et plus récemment, le journal De Morgen affirma qu’à l’époque, les organisations d’extrême droite disposaient de nombreux adhérents au sein de l’armée et de la gendarmerie [78].

124Le chef de la Sûreté de l’État de l’époque, Albert Raes, fut critiqué pour différentes raisons. Premièrement, en raison de son relatif mutisme face à la Commission d’enquête parlementaire relative aux problèmes posés par le maintien de l’ordre et les milices privées ; ensuite, en raison d’informations erronées fournies par ses services, qui auraient manqué de rigueur professionnelle ; mais également parce que les soupçons grandissaient à propos de l’implication d’un important agent du service dans une organisation d’extrême droite qu’il avait lui-même proposé d’infiltrer. En effet, des rumeurs circulaient à propos de liens entretenus par des leaders du Centre politique des indépendants et des cadres chrétiens (CEPIC), aile droite du PSC, avec le Front de la Jeunesse, à propos du financement, via une compagnie écran, la PDG, et également à propos de leurs liens avec le Vlaamse Militanten Onde (VMO) et le Nouvel Europe Magazine. Le chef de la Sûreté déclara à la Commission d’enquête parlementaire qu’il n’existait aucune preuve de liens financiers ou autres [79]. Mais il semble néanmoins qu’il ait confirmé en des termes plutôt vagues ces liens financiers. Et cela conduisit en 1983 à la découverte de l’organisation paramilitaire Westland New Post et à ce que la Sûreté de l’État fasse également l’objet de commentaires [80]. Cette affaire devint l’un des cas les plus problématiques de l’histoire de la Sûreté de l’État. Le ministre de la Justice dut admettre l’infiltration par des membres de la Sûreté. Mais il ajouta que cette méthode était nécessaire pour démanteler l’organisation et qu’à part cela le service fonctionnait parfaitement bien. Il rejeta la nécessité d’une Commission d’enquête parlementaire sur cette affaire [81]. Les partis de gauche ne crurent pas en la version du ministre, considérant le rôle très actif joué par les agents infiltrés dans l’enseignement de certaines tactiques de subversion. Certaines personnes tentèrent d’expliquer que les événements avaient été orchestrés par la CIA dans le but de discréditer la Sûreté de l’État et la trajectoire relativement autonome suivie par son chef [82].

125Lorsqu’en octobre 1984 les Cellules communistes combattantes (CCC) revendiquèrent une série d’attentats à la bombe, cela signifia naturellement davantage de travail pour les services de renseignement. Les membres les plus importants de cette organisation furent arrêtés après quatorze mois. Mais le bruit se répandit que leurs noms étaient connus de différents services de police ou de renseignement depuis un certain temps déjà. La Sûreté de l’État et très certainement la gendarmerie profitèrent des événements pour investir 120 immeubles de mouvements pacifistes, gauchistes et tiers-mondistes, pour saisir un grand nombre de publications et des listes d’adresses et de numéros de téléphone, et pour interroger des leaders de la gauche au cours d’une opération appelée ‘opération mammouth’. Était-ce là la raison du délai mis pour arrêter les auteurs ? Parallèlement, les services de renseignement intensifièrent les contacts avec leurs homologues étrangers.

126Entre le 13 mars 1982 et le 9 novembre 1985, sur une période de trois ans et demi, la Belgique fut confrontée à une période exceptionnelle de terrorisme : durant une série d’assauts sanglants de style militaire, vingt-huit personnes furent tuées. Jusqu’aujourd’hui [83], ni les auteurs, ni les commanditaires de ces attentats n’ont été identifiés. Certains anciens officiers de police et Jean Bultot, un ancien directeur de prison réputé d’extrême droite accusèrent des agents de la Sûreté de l’État d’être impliqués dans ces ‘actions de déstabilisation’. Il n’y eut jamais de preuve, mais l’image du service souffrit à nouveau [84]. Certaines sources prétendirent qu’à l’instar de ce qui se passait en Italie, l’extrême gauche et l’extrême droite pourraient avoir les mêmes commanditaires ou ressources financières et que ce serait la raison du ‘sabotage’ de l’enquête criminelle. Mais à nouveau il n’y eut jamais de preuves [85]. La Commission d’enquête parlementaire sur la manière dont la lutte contre le banditisme et le terrorisme est organisée publia son rapport en avril 1990. Non seulement la police judiciaire mais également les activités de la Sûreté de l’État étaient vivement critiquées et A. Raes démissionna. La question reste posée de savoir pourquoi la Sûreté de l’État a été impliquée dans l’enquête sur les tueurs du Brabant alors qu’elle n’a pas de compétence judiciaire. Les liens de certains agents avec les milieux de l’extrême droite et l’information qu’ils laissèrent passer furent blâmés.

127C’est à ce moment, en 1985, que pour la première fois un ministre de la Justice conçut un projet sur la ‘sécurité globale des citoyens’ : une expression qui allait connaître une belle carrière par la suite et dans lequel tous les services de police et de renseignement allaient être de plus en plus impliqués.

128En octobre 1995, le journal De Morgen publia une liste, élaborée par la sécurité militaire, le SGR, de quelques 80 organisations ‘subversives’ classées en différentes catégories : extrême gauche, écologistes radicaux, extrême droite, flamands radicaux, organisations terroristes, tiers-mondistes, pacifistes, anti-militaristes et organisations étrangères ou internationales. Et la Sûreté de l’État devait utiliser une liste de près de 200 organisations. Le sujet fut l’objet de critiques de la part de parlementaires et de médias. Depuis cette époque, il semble que les listes soient plus courtes, revues tous les six mois et soumises à l’approbation ministérielle [86].

129Dans son rapport de 1995, le Comité R donne un aperçu des nouvelles cibles à protéger et des menaces pour la sécurité de l’État :

  • l’information économique ;
  • l’immigration massive incontrôlée ;
  • la prolifération d’armes non conventionnelles et la technologie nucléaire ;
  • les infrastructures civiles et vulnérables telles que les installations nucléaires, les systèmes informatiques et de communication, les transports ;
  • le crime organisé et la corruption en tant qu’ils constituent une menace pour les institutions démocratiques ;
  • le fondamentalisme, le nationalisme extrême, les mouvements d’extrême droite et d’extrême gauche, le terrorisme et les sectes : en fait, cela recouvre l’extrémisme sous toutes ses formes [87]. Bien entendu cela comprend le GIA algérien, l’ETA basque et l’IRA irlandaise en ordre de priorité.

130Le terme générique le plus utilisé actuellement devient ‘extrémisme’ [88]. Plus récemment et si l’on s’en réfère aux termes utilisés par la loi organique du 30 novembre 1998, la « prolifération des systèmes d’armement », « l’organisation sectaire nuisible », mais surtout l’ « organisation criminelle » sont devenues des cibles très importantes des services de renseignement « car il déstabilise également le système politique démocratique ». La tâche spécifique est « d’analyser les structures et réseaux qui constituent une menace pour la société » [89].

131Le 1er décembre 1998, le président du comité militaire de l’OTAN, le général Klaus Nauman, a déclaré, lors d’une conférence qu’il a donnée à Bruxelles et intitulée L’OTAN aujourd’hui et demain, que l’organisation travaillait sur une nouvelle conception stratégique dans le contexte de la situation géopolitique, qui avait évolué depuis qu’en 1991 le concept avait été décidé. Le général distingua comme dangers : les armes de destruction massive nucléaires, bactériologiques et chimiques ; l’absence possible de contrôle et d’attaques cybernétiques sur certaines ressources, comme l’eau ou les systèmes d’informations [90]. Selon un observateur, « Un véritable changement de problématique est en train de s’instaurer au non de la lutte contre le terrorisme, comme l’explicite un article publié dans la dernière livraison de ‘Foreign Affairs’ par d’anciens fonctionnaires de Département de la Défense et du Conseil National de Sécurité des EU. Devant la menace des armes de destruction massive, il faut prévenir et neutraliser l’emploi de ces armes, sachant qu’elles peuvent provenir de n’importe où, n’importe quand. Un programme (espionnage, formation et exercices…) doit être établi qui prévoirait une attaque armée n’importe où dans le monde, pour ‘prévenir’ une menace perçue. ‘Big brother’ est décidément bien en marche. Mais on voit que la querelle sur le refus (allemand) du premier emploi de l’arme nucléaire n’a rien de rhétorique. Le développement d’un climat antiterroriste (…) ‘justifiera’ demain qu’un raid aérien, éventuellement nucléaire, écrase dans l’œuf la menace que les services de renseignement américains auraient détectée. Dans ce scénario, l’on peut dire adieu aux libertés constitutionnelles sacrifiées sur l’autel de la sécurité. Oui vraiment, le nouvel antiterrorisme est terrifiant. » [91]

132Il est probable que de tels concepts auront dans un avenir proche une influence importante sur les cibles et le fonctionnement des services de renseignement militaires, une influence qui, jusqu’à présent, n’est cependant pas manifeste.

Les méthodes spéciales

133La question des méthodes spéciales à la disposition des services de renseignement et utilisée par eux était et reste toujours problématique en raison, notamment, de leur manque de transparence et de l’absence de base légale. Elle couvre plusieurs domaines : les techniques d’écoute et d’observation tant traditionnelles qu’ultra modernes ; les sources écrites ; la priorité du secret avec toutes ses modalités, mais aussi la compilation et la destruction des informations qui se trouvent dans les ordinateurs, les dossiers et les archives.

Le problème de la transparence et la légalisation des méthodes

134Jusqu’aux années 1990 il n’était pas possible d’obtenir des informations sur les méthodes utilisées par les services de renseignement. La révélation de certains scandales a quasi systématiquement engendré des discussions sur l’utilisation de certaines méthodes d’investigation comme la mise sur écoute, l’interception des communications radio, l’infiltration, la provocation, l’utilisation d’informateurs. Alors qu’il n’était pas difficile de soutenir que la mise sur écoute était illégale, il était plutôt difficile de démontrer que l’utilisation des autres méthodes était vraiment illégale, en l’absence de réglementation autre que certaines dispositions internes non divulguées. La mise sur écoute était fréquemment exécutée par des services étrangers qui avaient obtenu l’autorisation de le faire dans leur pays d’origine. L’utilisation du ‘zoller’ ou ‘malicieux’, un appareil utilisé pour découvrir quel numéro de téléphone est connecté avec quel autre a toujours été légale en Belgique.

135Le Parlement remarqua en effet à différentes reprises que les services étaient accusés par la presse d’utiliser des moyens illégaux pour obtenir des informations, mais qu’il était presque impossible de vérifier et de contrôler ces accusations.

136Après le vote de la loi du 8 décembre 1992 sur la protection de la vie privée et du fait que les services de renseignement ne sont pas des forces de police et ne pouvaient donc pas faire valoir une exception, ils tombèrent sous le coup de la nouvelle législation et durent laisser contrôler les informations qu’ils récoltaient par le Comité pour la protection de la vie privée.

137Les résultats des investigations du Comité R [92] démontrèrent que certaines pratiques étaient illégales et que même la sécurité militaire devait arrêter d’intercepter des communications radio. Une adaptation de la loi s’avérait nécessaire.

138Le Conseil d’État remarqua, à propos du projet de loi organique sur les services de renseignement, que, si pour le citoyen la règle était « tout ce qui n’est pas interdit est autorisé », ce n’était pas le cas pour les services de renseignement en tant qu’organes d’État : le principe de légalité (article 22 de la Constitution) exige que les moyens à utiliser soient clairement définis dans la loi. De plus, selon le projet de loi organique les services seraient autorisés à utiliser certaines techniques spéciales et à violer à nouveau le respect de la vie privée des personnes. Le gouvernement et la majorité au Parlement ne suivront pas l’avis du Conseil d’État et utiliseront l’argument de la nécessité pour les services de réagir aux situations inattendues, du fait que l’ennemi et les services de renseignement étrangers (qui sont en fait des ‘personnes privées’) en prendraient avantage… Ces services ont des buts très particuliers. Mais la permission de mettre sur écoute et d’intercepter serait conférée par une loi particulière sur les écoutes administratives. En novembre 1999, pareille législation n’a pas encore été adoptée.

Des méthodes en pleine évolution

139Depuis la fin des années 1980 et le début des années 1990, les Commissions d’enquête parlementaires et le Comité R ont fait un effort sérieux pour rendre les méthodes d’investigation plus transparentes et vérifier leur légalité.

140Au cours des travaux de la Commission parlementaire sur l’enquête judiciaire relative aux tueurs du Brabant, en 1988-1990, l’administrateur général de la Sûreté de l’État donna un aperçu des méthodes utilisés dans son service :

  • nombre de dossiers personnels : 800.000, mais les données n’étaient pas actualisées. Cependant, il semble qu’il n’y ait eu aucune limite à propos de la nature des informations récoltées.
  • sources ouvertes : articles de presse qui semblent avoir livré près de 90 % de l’information concernant les personnes, organisations et événements.
  • informateurs : personnes qui font ce travail pour gagner de l’argent ou obtenir une protection, une faveur, un emploi pour eux-mêmes ou l’un de leurs parents. Une distinction est faite entre les ‘faibles’ et les ‘protégés’. Les premiers sont en général des fonctionnaires qui aiment servir leur pays, les seconds des gens qui ont un ‘mauvais casier’ et sont devenus dépendants de la police judiciaire ou des agents des services de renseignement. Une procédure destinée à les filtrer, les enregistrer, les protéger et garder au secret leur identité secrète existait, mais n’a pas toujours été suivie.
  • les services de renseignement étrangers alliés peuvent fournir des renseignement importants. L’application des traités internationaux permet des contacts informels. Les rencontres des groupes de travail Trevi et des ‘amis de Trevi’ (États-Unis, Canada, Suisse, Maroc) sont des mines d’or d’information.
  • la filature : la surveillance de terrain, la mise sur écoute et l’interception, la provocation, etc.
  • l’infiltration : méthode difficile et rarement utilisée. Les agents ne la pratiquent normalement pas eux-mêmes.

141Les chefs de sections et de brigades ont un pouvoir discrétionnaire pour décider des méthodes à utiliser. Dans certains cas difficiles ou dangereux, l’administrateur général lui-même prend la responsabilité de certaines actions [93].

142Peu d’informations furent données sur les instruments techniques mis à la disposition des services. Il semble qu’ils sont très bien équipés en matière d’appareillage photographique et de monitoring mais qu’ils manquent de voitures… [94]

143En 1994, le Comité R mentionna une autre source de renseignement : les sources humaines. Cela recouvre de l’information obtenue sans effort des forces de police ou d’autres autorités ou départements administratifs.

144En 1996, le même Comité analysa l’usage des ‘sources ouvertes’ et découvrit qu’elles n’étaient pas très bien exploitées : les services de renseignement manquaient de fonds, d’analystes, de contacts avec le monde extérieur et ses sources telles les bibliothèques publiques et privées et les bases de données ; des sources nouvelles comme l’internet n’étaient pas explorées [95]. En ce qui concerne l’accès aux données appartenant à d’autres départements d’administrations publiques, le Comité R remarqua que cela se déroulait de façon trop informelle et qu’une réglementation était nécessaire [96].

145En 1997, le Comité R a effectué une analyse très précise de l’utilisation des informateurs par les services de renseignement et a remarqué bien des déficiences. Le Comité a formulé de nombreuses recommandations : faire une distinction claire entre l’information en provenance des services publics et celle provenant d’informateurs ; organiser la collaboration en ces matières avec les forces de police et les autorités judiciaires, tout comme avec les services étrangers ; couler dans la loi les principes de subsidiarité et de proportionnalité ; définir le genre de crimes que doit dénoncer un informateur et les circonstances dans lesquelles il doit être protégé ; établir des règles claires et un code de conduite pour les informateurs ; étudier les attitudes des agents et les façons de rapporter ; fournir des règles d’évaluation des informateurs et les contrôler ; décider des termes de paiement ; entraîner les agents et les analystes. Les règles devraient être les mêmes pour tous les services et forces de police concernées par le maintien de l’ordre, la sécurité et la lutte contre le crime [97].

146Depuis 1995, dans le contexte de la politique d’ouverture, le nouvel administrateur général de la Sûreté de l’État a déclaré à plusieurs reprises que le nombre de dossiers concernant des personnes devait être drastiquement réduit. À la fin de novembre 1995, 941.206 personnes avaient un dossier : 46 % d’entre elles étaient âgées de plus de 70 ans, et 239.470 personnes étaient âgées de 70 à 80 ans. Le nombre de dossiers devrait être réduit à environ 100 à 150.000 [98].

147Au cours des discussions au Sénat, en juin 1998, le ministre de la Défense, qui est un ingénieur, a fait une présentation intéressante des méthodes nouvelles ou futures et des problèmes qui leurs sont liés. Internet implique des problèmes de confidentialité et de sécurité ; des satellites civils sont en compétition avec les militaires et des satellites espions peuvent modifier subitement la scène géo-politique. La sécurité nationale, la protection de la vie privée et l’accès à l’information ne seront plus jamais les mêmes. Le ministre mentionna encore d’autres changements importants. Des entreprises, des organisations privées et des groupes ont accès à des bases de données réservées aux organismes publics : le mélange de matériaux civils et militaires, la discussion du concept de ‘secret’ et la privatisation des mécanismes d’information augmentent. En raison des coûts élevés, tout le monde, toutes les organisations, toutes les entreprises ou même tous les États ne peuvent pas avoir un accès direct à tous les genres de systèmes d’information et deviennent dépendants des autres. Les systèmes cryptographiques se développent de telle sorte que chacun est à même de les utiliser de façon incontrôlable. Il devient très difficile de transformer une masse d’informations de plus en plus grande en données utilisables et de trouver des analystes qualifiés. Il y a un danger de mettre trop de confiance dans les moyens techniques en oubliant les moyens humains. La possibilité de plus en plus réelle de manipulation des données et de l’information constitue une évolution dangereuse. La vulnérabilité des systèmes d’information permet un nouveau type d’agression, l’agression par ordinateur. Les technologies de l’information et de la communication sont si puissantes qu’elles peuvent devenir une arme d’agression et de destruction [99].

148Le Comité R a fait récemment un rapport sur la participation des services de renseignement à des programmes de renseignement par satellite.

149

« Évoqués sous l’appellation générique de National Technical Means (NTM) dans les traités internationaux, les satellites sont notamment devenus l’un des plus importants moyens de collecte de renseignement des puissances qui en sont dotés. » [100]

150Il est apparu que les services de renseignement étaient intéressés par l’usage de cette nouvelle méthode à des fins de renseignements militaires, mais également à des fins de renseignements civils, par exemple les systèmes de radiopositionnement par satellites (le système américain Global Positioning System (GPS) et le système russe Global Navigation Satellite System (GLONASS)) [101].

151Il y a également tout un développement de satellites civils ou commerciaux. « (…) les satellites ne doivent pas être des outils exclusivement militaires, placés sous le contrôle total d’un service de renseignement (…). (…) Les satellites ne sont pas ‘civils’ ou ‘militaires’ ; ils sont ‘commerciaux’ ou ‘gouvernementaux’ (…). Les initiatives civiles et militaires ne doivent pas se concurrencer mais plutôt se compléter et rechercher des synergies. »

152La Belgique a une politique spatiale : des programmes civils aussi bien que militaires. En ce qui concerne les premiers, « Il s’agit d’une perspective européenne civile qui consiste à développer l’autonomie de l’Europe dans l’espace dans les domaines de l’observation de la Terre, des télécommunications, des prévisions météorologiques, de navigation maritime, aérienne et routière par satellites. Dans un premier temps, ces actions ont porté sur les applications liées aux senseurs optiques à haute résolution. Dans un deuxième temps, ce sont les techniques radar et l’optique à moyenne résolution qui ont été développées. » De plus, la Belgique collabore avec la France, la Suède, la Russie et l’Argentine [102].

153Jusqu’à présent, la Sûreté de l’État ne prend part à aucun programme de collecte de renseignement par satellites et n’a aucun accès à ce type de source. Mais elle est donc potentiellement intéressée par le Global Positioning System américain dans le cas de filatures, ainsi qu’aux systèmes d’écoutes via des satellites.

154En ce qui concerne les programmes militaires, dans une perspective militaire européenne, la Belgique, donc le SGR, a accès au Centre satellitaire de l’Union de l’Europe occidentale (UEO) à Torrejon en Espagne et les satellites des services de renseignement US. Dans l’avenir, le gouvernement belge s’est engagé dans une négociation en vue de faire participer la Belgique aux programmes militaires Helios II et Trimilsatcom [103].

155Les besoins du SGR semblent devenir plus importants : « Les informations satellitaires dont le SGR a besoin sont des informations de base (basic intelligence) et des informations de situation (current intelligence). Le besoin en imagerie (IMINT ou Imagery Intelligence) est complémentaire aux autres sources de renseignement (OSINT ou Open Sources Intelligence, HUMINT ou Human Intelligence). L’imagerie permet non seulement de confirmer des informations obtenues par d’autres sources, mais également d’acquérir des informations dans des zones inaccessibles à d’autres sources ou lorsque l’utilisation des sources humaines présente des risques excessifs. (…) Les images doivent pouvoir être prises ‘en tout temps’, ce qui implique l’utilisation de systèmes de prise de vue infra-rouge ou radar, ce dernier n’étant qu’un complément à d’autres sources. » Le SGR envisage de faire appel aux services de firmes commerciales en mettant comme condition le respect de la confidentialité des demandes, des délais très courts si nécessaire et une qualité des produits qui ne se dégrade pas. Un groupe de travail de l’armée va mettre en place une cellule d’analyse des images satellitaires et la question est posée de savoir si cette cellule ne devrait pas être intégrée au SGR [104].

156Le Comité R a noté beaucoup de critiques émanant des militaires eux-mêmes quant à l’usage par le SGR des deux sources d’images satellitaires. Les procédures de demande sont assez lourdes et les délais de l’approvisionnement des images sont assez longs. On a seulement droit à des ‘interprétations’, à des ‘dossiers’, à des ‘rapports’, à des ‘analyses’. De plus, « les photos montrées font souvent l’objet d’une dégradation volontaire de leur résolution et le SGR n’a pas la possibilité de procéder lui-même à sa propre analyse des images ». En outre, il n’y a plus d’indépendance dans la recherche de ce type de données parce que les décisions sont prises ailleurs et par des instances étrangères. Enfin, la plupart du temps le même matériel est fourni à plusieurs pays, ce qui compromet la confidentialité de la démarche [105].

157Le 6 mars 1998, le Conseil des ministres a donné son accord pour que la Belgique puisse entamer des négociations bilatérales avec les gouvernements français et allemand pour s’associer aux programmes Hélios II et Horus d’observation radar. Il s’agit de renforcer le projet européen de politique commune de défense et de mener certaines actions autonomes visant la défense des intérêts propres et/ou la sécurité des ressortissants européens. De cette façon la Belgique pourrait participer à l’Organisme conjoint de coopération en matière d’armement (OCCAR) dont sont membres l’Allemagne, la France, la Grande Bretagne et l’Italie. Le but de cet organisme est la coordination et l’harmonisation des achats militaires [106].

158Finalement le Comité R reconnaît ces besoins, soutient ces projets et ajoute : « Le Comité R attire en outre l’attention du SGR et de la Sûreté de l’État sur l’intérêt que peuvent présenter pour leurs missions les systèmes de radio-positionnement par satellites. (…) L’usage de ces systèmes à des fins de filatures devra cependant être réglementé par la loi. » [107]

159@@@Le rapport du Comité R ne fait aucune mention des décisions qui sont prises dans ce domaine au niveau européen et manifestement en coopération avec les États- Unis. Le 7 mai 1999, le Parlement européen acceptait The Lawfull Interception of Communications Council Resolution (ENFOPOL) concernant des technologies nouvelles et par lesquelles on peut permettre aux services de police et de renseignement d’intercepter toute forme de télécommunications, y compris la communication par satellite. Tout semble avoir commencé dès 1990 par l’initiative américaine COMINT. Depuis 1993, des délégations des pays membres de 1’UE rencontrent régulièrement des collègues américains dans les International Law Enforcement Telecommunication Seminars (ILETS). Depuis la même année, le Conseil des ministres de l’Intérieur et de la Justice de 1’UE (JAI ou JHA) s’est saisi de la question et fait le lien avec la lutte contre le crime organisé tout comme avec la réalisation de l’European Information System (EIS) et avec les initiatives concernant l’assistance mutuelle dans les affaires criminelles. Ces discussions se déroulent dans le secret et sans la moindre transparence. Le 23 novembre 1995, les mêmes ministres signaient un Memorandum of understanding sur les interceptions des télécommunications, pour soutenir le besoin d’une coopération globale et assurer le maintien de la sécurité nationale. Il faut promouvoir une surveillance internationale : influencer les concepts de politique nationale de sécurité ; développer des règles de guidance pour le développement de la production d’équipements et de services de l’industrie de la communication ; développer des normes pour l’exécution des ordres d’interception ; empêcher que les nouveaux développements techniques ne gênent l’interception. Le texte se réfère explicitement au développement des nouvelles générations de communications satellitaires. Il est évident que ces décisions posent problème quant au respect des droits de l’homme et à la protection de la vie privée, à la transparence et au contrôle démocratique, mais ils sont manifestement peu abordés. La réunion des ministres JAI du 27-28 mai 1999 en témoigne : la discussion se déroule plutôt autour de la question de savoir qui a le pouvoir et le droit d’intercepter des communications satellitaires. Au delà de ces enjeux s’en profile un autre, celui de la disparition à terme du contrôle national sur les activités de surveillance [108].

160L’article 99 § 3 de la Convention Schengen permet aux services de renseignement de donner des signalements et d’accéder au Système d’information Schengen (SIS) et au système adjoint ‘Sirène’, parce qu’ils peuvent demander aux forces de police d’exécuter des contrôles discrets ou précis [109].

161Le 25 septembre 1997 le Comité R décidait d’ouvrir d’office une enquête de contrôle sur l’utilisation de l’article 99 § 3 de la Convention par les services de renseignement. Il constatait que la Sûreté de l’État figurait bien sur la liste des autorités qui ont accès au SIS et à ‘Sirène’, que le SGR n’y figurait pas, mais pourrait y avoir accès par une voie indirecte. Curieusement le Comité R constatait également qu’aucun des deux services n’en faisait usage, parce qu’ils trouvaient la procédure de signalement trop lourde. D’ailleurs, les services de renseignement des pays impliqués dans Schengen seraient unanimement d’avis que la procédure n’est pas applicable. Le Comité R conclut : « (…) les services de renseignement et de sécurité disposent de suffisamment de canaux propres pour échanger des données de manière rapide et efficace (…). Les services de renseignement semblent collaborer de façon harmonieuse. » Le Comité R ajoute : « On peut se poser la question de savoir si léchange de données entre les services de renseignement de différents pays, qui s’effectue actuellement au travers de canaux spécifiques ne devrait pas faire l’objet d’un contrôle dans le cadre de la protection de la vie privée. » [110]

Le problème récurrent des dossiers et des archives

162Après la destruction illégale par le feu de dossiers et documents des services de renseignement ainsi que de documents judiciaires, et après la commotion déclenchée par ce scandale dans les deux services, le Comité R analysa la législation existante. Il découvrit que non seulement la loi du 8 décembre 1992 sur la protection de la vie privée, mais également la loi sur les archives du 25 juin 1955 ainsi qu’un arrêté royal du 12 décembre 1957 n’avaient pas été respectés.

163Après le déménagement de la Sûreté de l’État, un nouveau centre informatique fut installé. Dès ce moment, un nouveau système de classification prescrivit que chaque rapport d’un agent devait être identifié au moyen de mots-clés encodés dans l’ordinateur. Les listes de thèmes, groupes et personnes sont fermées et il n’est plus possible de classer un rapport sur un thème, un groupe ou une personne qui ne figure pas sur ces listes. Un agent peut donc être dans l’impossibilité de classer un rapport comme il le voudrait [111].

164Il fut décidé de réorganiser les centres de documentation des deux services de renseignement, de revoir les règles internes datant des années 1950 et d’en formuler de nouvelles dans le but d’améliorer la gestion des archives. Ainsi, la Sûreté de l’État conclut un accord avec les Archives générales du Royaume et avec le Comité pour la protection de la vie privée à propos des critères de sélection et de destruction de certains des plus ou moins 810.000 dossiers dont 570.000 personnels [112]. En septembre 1998, 150.000 avaient déjà été analysés. Les agents de la Sûreté estiment qu’ils ne conserveront qu’environ 140.000 dossiers personnels [113]. Quatre catégories sont utilisées : à détruire ; à transférer aux archives de l’État ; à conserver ; à réexaminer. Mais la destruction de dossiers ne sera effectuée qu’après un contrôle, sur base d’un échantillon, de l’intérêt historique des données. Cela permet un contrôle ad hoc et a posteriori. La sélection devrait être faite par du personnel qualifié. Dans le futur, les dossiers qui n’auront pas été consultés pendant une période de dix ans, seront réexaminés.

165Quant au SGR, il a formulé des critères de sélection le 1er octobre 1995, mais ne les a pas appliqués. La destruction n’a pas été effectuée avec un contrôle d’échantillon, et aucun contrôle a posteriori n’a donc été possible. Il n’y eut jamais de contact avec les Archives générales du Royaume. Bref, rien de ce qui devrait être fait.

166Le Comité R recommanda qu’en cas de doute (conserver ou détruire), les données soient conservées et que le ministre responsable approuve la procédure de sélection. Il souligna le manque de personnel qualifié. Le Comité est d’avis qu’il serait utile que les deux services communiquent et coopèrent en cette matière, afin qu’ils puissent adopter la même politique [114].

167Selon l’article 21 de la loi organique du 30 novembre 1998 qui concerne la conservation et la destruction des données, celles-ci ne peuvent être conservées qu’aussi longtemps qu’elles sont utiles, à l’exception de celles qui ont une valeur historique. Des arrêtés royaux doivent définir la procédure. La loi a ainsi défini une règle applicable aux deux services, de sorte qu’ils ne peuvent plus définir leurs propres critères de conservation et de destruction des documents.

Le secret d’État et les droits de l’homme

168Une caractéristique essentielle des services de renseignement et de sécurité est le caractère secret de leur fonctionnement. Mais cette pratique du secret devient aujourd’hui problématique. « À une époque où les principes démocratiques et les droits de l’homme sont de plus en plus reconnus comme des valeurs universelles, les citoyens de tous les pays tendent à exiger de leurs gouvernements la transparence dans la conduite des affaires publiques. Beaucoup sont réticents à admettre que les hommes politiques et les administrations puissent arguer du ‘Secret d’État’ pour dissimuler certaines informations à leurs concitoyens. Au delà des aspects sensationnels ou des polémiques portant sur des cas particuliers, il s’agit bien là d’un sujet capital, car il est éminemment politique, au sens noble du mot. C’est un débat de société qui ne devrait laisser personne indifférent. » [115]

169Le Comité R a consacré une étude aux devoirs du secret auxquels sont tenus les membres des services de renseignement. Il constate « que ces obligations visent davantage la protection des intérêts de l’État et sa sécurité que la protection des particuliers et de leur vie privée » [116].

Le maintien de la priorité du secret

170Entre le 1er avril 1977 et le 15 juin 1990, l’administrateur général de la Sûreté de l’État fut Albert Raes, le successeur de L. Caeymaex. Il se distingua par sa politique d’autonomie particulièrement à l’égard du personnel et des services de renseignement américains en Belgique, qui ne cessaient d’essayer d’intervenir dans les affaires de police et de sécurité belges. Plus d’une fois, les Américains essayèrent de convaincre Raes de cibler en premier lieu les pays d’Europe de l’Est, alors que lui-même préférait concentrer son attention sur les mouvements d’extrême droite. Cela indisposa les Américains qui obtinrent sa démission. Mais son comportement reflète particulièrement bien les pratiques d’une époque notamment en matière de secret. Il évitait autant que possible les contacts avec la presse et interdisait à ses agents de communiquer avec les journalistes et de fréquenter les bars où des gens de l’extrême droite avaient l’habitude de se rencontrer. Sa source d’inspiration était Mendes-France et sa théorie du ‘grand commis d’État’. Lorsqu’il était interrogé par des membres de la Commission parlementaire d’enquête sur les milices privées, il demeurait aussi silencieux que possible, ce qui indisposait les députés [117]. Après consultation avec les plus hautes autorités sénatoriales, il témoigna à huis clos [118]. Il se tint également très scrupuleusement à l’écart des conflits politiques et des luttes interpersonnelles [119]. Le chef du service de renseignement militaire de son côté refusa de se présenter devant la Commission parlementaire et ne consentit qu’à donner des réponses écrites via le ministre de la Défense [120].

171Après une sorte d’interrègne, un nouvel administrateur général, Bart Van Lijsebeth, un magistrat comme A. Raes proche du CVP, fut nommé à la tête de la Sûreté de l’État le 1er septembre 1993. Il initia une politique toute différente, axée sur l’ouverture aux médias avec autant de transparence que possible. Simultanément, il désirait purifier les dossiers et les listes d’organisations et de personnes, mais réclama plus de contrôle et une légalisation des services et de leur fonctionnement [121].

172De son côté, le Comité R insista sur la confidentialité, tout en estimant que les services ne peuvent en aucun cas décider eux-mêmes d’une politique de confidentialité ou d’ouverture [122].

173L’usage et la notion de secret d’État doivent être harmonisés et spécifiés. Dans son étude sur les devoirs et les secrets auxquels sont tenus les membres des services de renseignement [123], le Comité R constate que le droit positif belge ne contient pas de définition générale de la notion de secret et que certaines lois particulières prévoient soit la faculté, soit l’obligation de garder le secret sur des informations précises. Il plaide pour une législation globale et cohérente, pour la définition par la loi des intérêts à protéger par une mesure de classification. Il est d’avis qu’il faut faire figurer, parmi les intérêts à protéger, la vie privée mais, on peut s’en étonner, avec le degré de classification le plus bas : confidentiel [124].

174La loi organique du 30 novembre 1998 contient un chapitre sur le secret (articles 36 à 43). Il ne s’y trouve guère d’idées nouvelles, à l’exception d’une procédure d’exception prévue en cas d’investigation judiciaire, de saisie de documents ou d’actions contre les services ou leurs agents. Quand la saisie est contestée, le chef de corps du service de renseignement en question fait appel au président du Comité R.

175En outre, l’article 19 al. 2 permet aux chefs des deux services de renseignement ou à leurs représentants de communiquer avec la presse, ce qui est tout à fait novateur.

176Cependant, lorsque le Parlement discuta l’octroi de l’habilitation de sécurité [125], le problème de la notion de secret refit surface. Il n’existe pas de définition générale de la notion de secret d’État, mais seulement une approche au cas par cas dans des règlements divers. En juillet 1998, lors de la discussion du projet de loi organique, le Sénat ne donna aucune définition de secret.

177Enfin, le Comité R nota également que la violation de certains secrets de sécurité étaient sanctionnés plus drastiquement que la violation de la vie privée. Il releva plusieurs inégalités dans le traitement des violations du secret. Ainsi, les sanctions pour le personnel militaire sont plus sévères que celles appliquées aux civils travaillant dans le domaine de la sécurité et les membres du Comité R qui violent leur devoir de conserver le secret encourent injustement des sanctions plus légères [126].

La classification des secrets d’État

178Le 11 décembre 1998, la Chambre des représentants vota deux autres lois complémentaires à la loi organique sur les services de sécurité : l’une relative à la classification et aux habilitations de sécurité, l’autre portant création d’un organe de recours en matière d’habilitations de sécurité[127]. Un premier vote avait eu lieu dans la Chambre des représentants en juin 1998. Mais le Sénat avait usé de son droit d’évocation à la suite d’une critique assez acerbe sur le premier projet de la part du Conseil d’État et de la Commission pour la protection de la vie privée.

179La classification de sécurité est « l’attribution d’un degré de protection par ou en vertu de la loi ou par ou en vertu des traités ou conventions liant la Belgique » (art.2). « Peuvent faire l’objet d’une classification : les informations, documents ou données, le matériel, les matériaux ou matières, sous quelque forme que ce soit, dont l’utilisation inappropriée peut porter atteinte à l’un des intérêts suivants : (…) » (art. 3 al. 1 de la loi relative à la classification et aux habilitations de sécurité). Suit l’énumération des missions des services de renseignement. Il s’agit d’une énumération vague et très large. Par exemple : « tout autre intérêt fondamental de l’État » ou « le fonctionnement des organes décisionnels de l’État » (art. 3 al. 2 f. et h.). La loi prévoit une classification du secret à trois degrés : très secret, secret, confidentiel (art. 4. al. 1). Il s’agit d’une utilisation inappropriée des objets classifiés pouvant porter très gravement atteinte, gravement atteinte ou simplement atteinte à des intérêts définis à l’article 3. On peut douter qu’il s’agisse là d’une définition rigoureuse du secret d’État. De plus, « Le Roi détermine les modalités de classification, de déclassification et de protection d’informations, de documents (objets classifiés), ainsi que les autorités et personnes qui peuvent attribuer un degré de classification. » (art. 7) « L’accès aux locaux, bâtiments ou sites où se trouvent des informations, documents (objets classifiés) peut être soumis aux mêmes conditions par les autorités désignées par le Roi. » (art.8 al. 2) « Nul n’est admis à avoir accès aux (objets classifiés) s’il n’est pas titulaire d’une habilitation de sécurité correspondante et s’il n’a pas besoin d’en connaître et d’y avoir accès pour l’exercice de sa mission, sans préjudice des compétences propres des autorités judiciaires. » (art. 8 al. 1)

180Les articles 12, 13 et 18 de la loi organique du 30 novembre 1998 donnent une large compétence aux services à la condition que l’information soit récoltée dans un but très spécifique : « Les renseignements contenus dans la documentation doivent présenter un lien avec la finalité du fichier et se limiter aux exigences qui en découlent. » (art. 13 al. 2 de la loi organique du 30 novembre 1998).

181De plus, toute autorité administrative ou judiciaire peut, de sa propre initiative, donner aux services de renseignement toute pièce d’information utile et se la voir demander par les services eux-mêmes. Les autorités peuvent refuser et doivent motiver ce refus (art. 14 de la loi organique du 30 novembre 1998). Il faut remarquer que dans ce cas, aucune procédure d’arbitrage n’est prévue. Il s’agit là encore d’une situation de compétence incontrôlée. Il est entendu que les obligations internationales et les lois nationales doivent être respectées et, selon les auteurs du projet de loi, elles le sont : les missions des services sont décrites dans la loi ; celle-ci permet la récolte d’information et les buts sont clairement définis [128]. Cet arsenal formel et légaliste masque mal les possibilités d’arbitraire qui subsistent.

182Certaines critiques émises dans le passé par le Comité R sur le projet de loi n’ont pas été rencontrées par la loi. Celle-ci devrait fixer le principe d’une date de péremption de chaque information et celui d’une durée maximale à chaque degré de classification et pour chaque donnée en particulier, elle devrait aussi établir le principe d’un contrôle sur cette classification. Le Comité estimait qu’il restait encore une fois des problèmes en ce qui concerne le respect de la vie privée [129].

183Une autre critique faisait remarquer que « (…) si la vie privée est un des intérêts que protège la classification, elle n’est certes pas d’une importance primordiale pour la défense ou la sûreté de la nation, et ne jouit que d’un niveau de classification faible. La protection spécifique de la vie privée doit rester totalement d’application (…). La loi de 1992 vise à la protection d’un droit fondamental (…) ne peut en rien aboutir à un affaiblissement de la dite protection (…). Rappelons en outre qu’une mesure de classification entraîne l’inapplicabilité de la loi de 1994 sur la publicité de l’administration (…) Si des données personnelles sont classifiées, la personne concernée ne pourra en obtenir la consultation. Perdant ce moyen de contrôle, la personne concernée doit pouvoir compter sur une application parfaitement rigoureuse des principes protecteurs de la vie privée. » [130] On remarque que cette critique va encore plus loin que celle du Comité R.

Le secret de l’État et le droit à la vie privée

184Depuis longtemps l’interdiction de la mise sur écoute a été interprétée comme une application de l’inviolabilité de la confidentialité du courrier prévue à l’article 22 de la Constitution. Les lois du 13 octobre 1930 et du 3 janvier 1934 sur la télégraphie et la téléphonie interdisent l’utilisation de tout moyen d’interception de la télégraphie ou de la téléphonie militaires. Une circulaire ministérielle du 17 août 1923 permet uniquement de fournir des informations techniques au juge dans le contexte d’une instruction judiciaire.

185Une loi du 30 juillet 1979 sur la diffusion radiophonique interdit l’interception de messages radio. La loi du 21 mars 1991 étend l’interdiction de l’interception en matière de télégraphie et de téléphonie à tout autre moyen de télécommunication. Enfin, la loi du 30 juin 1994, complétée par la loi du 10 juin 1998 [131] traite de la protection des données contre la mise sur écoute, la prise de connaissance et l’interception de communications et de télécommunications privées. L’utilisation de tout moyen d’interception de communication durant la transmission est interdite, tout comme la diffusion d’une communication obtenue par tout moyen légal ou illégal. Par communication privée, on entend : toute émission, orale ou non, directe ou à distance, toute déclaration, toute conversation directe ou par téléphone, ainsi que toute forme télématique (télex, télégramme, fax, échange d’information électronique entre des systèmes) [132]. C’est seulement en cas d’enquête judiciaire et avec la permission écrite du procureur ou du juge d’instruction selon le cas, que les policiers peuvent faire exception à la loi. Et les agents des services de renseignement n’exercent pas de fonction de police judiciaire.

186Depuis plusieurs années, il est fait périodiquement état dans la presse ou au Parlement de cas de mise sur écoute par les services de renseignement. Mais il fut toujours pratiquement impossible d’obtenir des preuves matérielles. Aucune autorité, à l’exception des ministres concernés, ne pouvait intervenir. Ceux-ci ont presque toujours couvert l’administrateur général, sauf quand un scandale recevait une grande publicité.

187En 1994, lors de l’une des premières interventions de sa première année de fonctionnement, le Comité R se déclara d’avis que « plusieurs méthodes d’investigation utilisées par les services de renseignement n’assurent pas le plein respect des libertés constitutionnelles du citoyen. Plusieurs des méthodes utilisées paraissent en effet constituer une ingérence dans la vie privée des individus. » [133]

188En 1996, le Comité R analysa la législation belge pour déterminer les circonstances dans lesquelles les services de renseignement pouvaient être autorisés à pratiquer la mise sous écoute ou à intercepter des communications radio ou d’autres équipements de télématique. La conclusion était radicale : « Dans l’état actuel de la législation belge, les services de renseignement nationaux ne disposent donc d’aucune possibilité de procéder légalement à des écoutes ou à des interceptions de télécommunications privées, même militaires, même à l’étranger et même en temps de guerre. » [134] Le SGR était obligé d’arrêter l’interception des communications radio à des fins militaires et la mise sur écoute à la suite d’une fuite dans la presse et de l’enquête du Comité R.

189Mais avant la loi du 8 décembre 1992 sur la protection de la vie privée, il n’existait pas de garantie légale, pas de législation claire pour prévenir la violation de la vie privée. ‘Ce qui n’est pas spécifiquement interdit est toléré’ est le principe qui était appliqué. De plus, une personne n’avait pas le droit de vérifier les données récoltées sur elle-même.

190Cependant le gouvernement fut très embarrassé par l’impossibilité faite aux services de renseignement de mettre sur écoute et d’intercepter des communications radio. Il ne souhaitait pas non plus que la loi sur la protection de la vie privée soit applicable à la vidéo surveillance, aux enquêtes auprès des tiers, etc. Cela limitait l’action des services de renseignement. Ce raisonnement est inacceptable : selon un avis du conseil d’État, la loi doit en tout cas régler les modes ‘déloyaux’ de collecte de données [135].

191Le gouvernement rechercha une solution qui permette aux services de sécurité d’utiliser la mise sur écoute et l’interception. Il y eut un accord sur la responsabilité du ministre compétent, à propos du fait que cela ne pouvait en aucun cas interférer avec une investigation judiciaire et que le Comité R devait être informé lors de l’octroi de la permission. Mais il n’y eut finalement pas d’accord pour inclure cette disposition dans la loi organique sur l’organisation des services de renseignement. Une législation particulière était nécessaire. Comme mentionné p. 38, un projet de loi sur la mise sur écoute administrative et l’interception est ici à l’étude. Il semble qu’il pourrait permettre aux services de l’utiliser « dans des circonstances exceptionnelles » à des conditions plus strictes que celles qui viennent d’être mentionnées : caractère exceptionnel ; indices spécifiques d’une menace pour la sécurité de l’État ; un organisme de contrôle spécial, non judiciaire doit être consulté et doit exercer un contrôle avant et après, ainsi que la conservation ou la destruction des données, la délimitation d’une période maximale et toute condition spéciale et exceptionnelle justifiant la communication de données aux autorités judiciaires [136]. Ce projet de loi n’a pas été voté.

192Le résultat serait que le SGR aurait seulement le droit à l’interception lors des opérations de l’armée à l’étranger [137].

193Les nouvelles lois de 1998 posent également des problèmes quant à la protection de la vie privée. Elles contiennent en effet des dispositions qui ont trait aux traitements de données personnelles. Sous l’influence de la jurisprudence de l’article 8 de la Convention européenne des Droits de l’Homme, une loi du 1er décembre 1998 modifiait fondamentalement l’article 3 de la loi du 8 décembre 1992 sur la protection de la vie privée en étendant son champ d’application aux activités des services de renseignement civil et militaire. Mais en même temps, le domaine des exceptions devenait large. Le traitement des données personnelles nécessaires à l’accomplissement de leur mission échappe à l’application de la loi : des données sensibles, de santé ou judiciaires ; l’obligation d’informer la personne sujette à une collecte de données ; le droit d’accès de cette personne ; l’obligation d’affecter un indice de doute aux données contestées ; la notification à la Commission de protection de la vie privée et la possibilité de se plaindre auprès d’elle ; la possibilité de désigner, en cas de certains traitements délicats un détaché à la protection de données ; la tenue d’un registre public ; un système spécifique d’autorisations en cas de traitements présentant des risques sérieux d’atteinte à la vie privée.

194On peut se demander s’il fallait prévoir tant d’exceptions en faveur des services de renseignement. Ne serait-il pas préférable de prévoir une possibilité de dérogation à charge pour les responsables de la motiver ? L’importance des dérogations affaiblit sérieusement les garanties instaurées par la loi, entre autres le contrôle de la Commission pour la protection de la vie privée et la possibilité de faire appel à un détaché ou préposé à la protection des données, donc à un contrôleur interne [138].

195La loi du 30 juin 1994 sur la protection des données, complétée par la loi du 10 juin 1998, prévoit également que les données ne peuvent être traitées que pour des finalités légitimes et déterminées et que le contenu doit être rigoureusement proportionné à l’obtention de ces finalités. Mais la loi délègue la définition des finalités non au Roi, mais à un comité ministériel. De plus, les services peuvent recevoir et traiter des données qui leur semblent ‘utiles’ et non pas ‘nécessaires’ comme prévoit la loi sur la protection de la vie privée, ce qui met à mal le principe de la proportionnalité. La distance prise par rapport aux exigences de la loi sur la protection de la vie privée conduit en fait à une quasi-liberté de prise et de traitement de renseignements, sans possibilité d’arbitrage sur la proportionnalité.

196En outre la transmission d’informations entre les parquets, les administrations et les services de renseignement est trop facultative et la procédure trop laxiste. L’utilisation interne des données et leur communication externe n’est pas réglée par des procédures de garantie comme la motivation écrite, la nécessité de préciser l’étendue des données, le destinataire et l’assurance de son respect de la confidentialité… [139]

197Les services de renseignement, tout comme le Comité R lui-même, restent soumis à la loi sur la protection de la vie privée dans le sens où des personnes à propos desquelles des données sont récoltées ont le droit d’accès à ces données, mais par le biais d’une demande d’enquête à la Commission de la protection de la vie privée de faire une enquête. Il s’agit là d’un droit restreint et d’un mécanisme d’accès indirect. Le traitement des données gérées par les services de renseignement se voit donc exempté du respect de dispositions importantes de la loi de 1992, qui prévoit quant à elle un accès direct. La seule possibilité est que le service de renseignement intervienne lui-même dans la procédure d’autorisation de la vérification [140]. Du point de vue de la protection de la vie privée, de telles situations devraient être évitées. Du reste, la Commission de la protection de la vie privée n’est pas à même d’exercer un réel contrôle sur les pratiques de fichage et il faudrait éviter qu’une dérogation à un droit fondamental ne devienne un système.

198Par ailleurs, dans l’application de ces nouvelles lois, il manque la possibilité d’intervention d’une autorité indépendante éventuellement des membres habilités du Comité R, dont la mission serait élargie à la protection des données et l’intervention dans la désignation d’un préposé ou d’un détaché à la protection des données. Il s’agit fondamentalement de respecter l’équilibre des intérêts dans des situations spéciales et délicates : par exemple dans le cas d’une obligation légale de secret qui doit pouvoir être opposée à un tribunal et même au Parlement ; cette obligation peut être invoquée pour protéger un intérêt défini par la loi, mais non dans le but de couvrir des illégalités ; de même en cas de refus de décharger un agent des services de renseignement de son devoir de secret ou en cas de perquisition ou de saisie contestée de matériel classifié, d’invocation du secret en justice ou devant une Commission parlementaire.

199En outre l’obligation de sécurité affirmée par la loi du 30 juin 1994 sur la protection des données justifie également la prise d’une telle mesure au regard des risques pour les libertés.

200Certes, une interprétation des lois existantes qui tiendrait davantage compte de la protection de la vie privée pourrait ouvrir des brèches. Il faudrait par exemple commencer par invoquer la publicité de l’administration prévue dans la loi du 11 avril 1994 et faire appel à la Commission d’accès aux documents administratifs ; cette loi a ‘préséance’ sur la loi de 1998 organisant la classification des renseignement. Dès lors, on ne pourrait refuser l’accès à des données classées secret ou très secret. En cas de refus, on peut toujours s’adresser ensuite à la Commission de la protection de la vie privée et faire appel, le cas échéant, à la procédure d’accès indirect [141].

Le secret d’État et le droit de la défense

201Le secret d’État peut également entrer en conflit avec le droit de la défense. « La Cour de Cassation a ainsi défini ce qu’est le droit de la défense : il faut que le prévenu ait eu le loisir, devant les juridictions de jugement, de contredire librement les éléments apportés contre lui par le ministère public (…). Comment contredire ce qui par essence doit être tenu secret, une infiltration, une provocation, une méthode déloyale ? » [142] En cas de subversion ou de preuve illégale la Cour de Cassation considère que toute la procédure est viciée. Le contrôle du Comité R n’est pas à même d’apporter une protection individuelle à un plaignant, victime de pratiques douteuses, car cela n’entre pas dans ses compétences.

202Mais il y a également le problème du contrôle de l’accès aux documents secrets par le juge judiciaire. Il semble que la jurisprudence nationale et européenne soit très sévère pour les instances étatiques qui invoquent le secret et la confidentialité des témoins ou des documents : la défense doit pouvoir contredire directement les témoignages anonymes. Il existerait cependant un vide juridique et un danger réel dans le chef de la nouvelle instance du Magistrat national, autorité secrète, autocontrôlée, autosaisie, avec tous les pouvoirs d’information et d’instruction…

203« On peut espérer que les autorités de contrôle (magistrature assise, Comté R ou Parlement) veilleront à ce que la police de renseignement soit soumise à un contrôle effectif de ses activités. Il ne s’agit pas ici d’une ‘crispation idéaliste’ autour des droits de l’homme mais bien d’assurer un respect concret des libertés fondamentales ainsi que l’exige la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme. » [143]

L’octroi des habilitations de sécurité et la protection des droits

204Le Comité R a eu l’occasion de remarquer que certains droits fondamentaux comme le respect de la vie privée, le droit à la défense et à l’appel n’étaient pas respectés lors de l’octroi d’habilitations de sécurité.

205Le problème des habilitations de l’OTAN (NATO clearance) remonte à 1953. L’OTAN obligea ses membres à créer une autorité de sécurité nationale, composée de hauts fonctionnaires des Ministères des Affaires étrangères, de l’Intérieur et de la Défense. Leur mission était de protéger l’information classifiée de l’OTAN et de donner des instructions aux ministères pour la protection et la confidentialité des documents secrets de l’OTAN. Mais une autre compétence de cette autorité était l’octroi des habilitations de sécurité aux citoyens belges qui avaient accès aux documents de l’OTAN, de l’UEO et d’Eurocontrol, aux entreprises situées sur le territoire belge qui collaboraient à des projets militaires classifiés, ainsi qu’à certains fonctionnaires. Par délégation, les services de renseignement et de sécurité pouvaient délivrer les habilitations. Une habilitation était donnée après une enquête de sécurité, faite par un service de renseignement, le plus souvent le service militaire. Des instructions secrètes déterminaient quelles personnes devaient faire l’objet d’une investigation. Celle-ci se concentrait sur la loyauté (pas d’appartenance à une organisation extrémiste, pas de visite suspecte dans un pays ‘hostile’), la discrétion, la réputation et le comportement. Il fallait prendre en compte le comportement sexuel si celui-ci impliquait un risque plus élevé de chantage. Le candidat devait remplir un questionnaire avec des informations sur lui-même, son partenaire et les autres membres de sa famille. À la suite de cela débutait l’enquête de sécurité. Il est difficile d’identifier qui décidait de la nécessité d’une habilitation. Il semble que le chef du service de sécurité lui-même décidait des renseignements indispensables à obtenir. Si l’habilitation était refusée, aucune raison n’était donnée, et il n’y avait pas de possibilité de faire un appel. Ultérieurement, une note de service interne du 16 décembre 1994 imposa que le candidat donne son autorisation au déroulement de l’enquête. À partir de novembre 1994, l’autorité de sécurité nationale refuse d’octroyer des habilitations uniquement pour raison de sécurité nationale et restreignait l’application de la procédure aux personnes qui avaient accès aux informations classifiées de l’OTAN, de l’UEO et d’Eurocontrol. L’autorité ne se considérait plus comme responsable de la sécurité belge, après que son statut légal eût été déclaré peu clair. En effet, une base légale faisait défaut. Seules des circulaires ministérielles existaient. Dès lors, les services de sécurité eux-mêmes octroyèrent les habilitations. Il y eut toujours un nombre élevé d’enquêtes : ainsi, en 1993, 20 à 25.000, dont 85 à 90 % furent exécutées par le service de sécurité militaire [144].

206Selon la loi du 11 décembre 1998 relative à la classification et aux habilitations de sécurité,, l’habilitation de sécurité est « l’attestation officielle établie sur la base des informations recueillies par un service de renseignement et de sécurité, selon laquelle, pour accéder à des données auxquelles un certain degré de confidentialité a été attribué (…) » (art. 13 § 2°) L’enquête de sécurité est « l’enquête effectuée par un service de renseignement et de sécurité et visant à établir que toutes les conditions nécessaires à la délivrance de l’habilitation de sécurité sont réunies, en tenant compte du niveau et de l’objet de l’habilitation » (art. 13 § 3°). Il est prévu qu’un arrêté royal désigne les personnes ou entreprises qui ont besoin d’une habilitation, les conditions de retrait ainsi que les autorités compétentes (art. 12 al. 2, 15 et 22). Une fois encore, on constate que les matières importantes ne sont pas définies par la loi, mais laissées aux bons soins du pouvoir exécutif.

207Dans tout département administratif ou dans toute entreprise produisant du matériel ou des services destinés à l’armée, un officier de sécurité doit être désigné « pour veiller à l’observation des règles de sécurité » (art. 13 § 1°).

208Le candidat à une habilitation est informé du niveau et de l’objet de l’habilitation (art. 16 § 1, 2 et 4). Son accord est requis pour pouvoir procéder à l’enquête de sécurité nécessaire à l’attribution de l’habilitation (art. 16 § 1er al. 2). Par la suite, une fois l’habilitation obtenue, il n’a pas à être informé sur le déroulement d’une enquête complémentaire destinée à vérifier des faits suspects à son sujet (art. 16 § 3). Son partenaire ou les membres de sa famille doivent seulement être informés, mais ne doivent pas donner leur accord sur l’enquête (art. 16 § 4). Questionné lors des débats parlementaires sur l’atteinte à la vie privée que contiennent potentiellement ces dispositions, le ministre a répondu que l’intérêt de l’État exigeait ces conditions [145].

209L’agent qui procède à l’investigation de sécurité pour attribuer une habilitation à un candidat a le droit d’accéder à toutes les données et sources nécessaires et ne doit pas se préoccuper des restrictions prévues par la loi sur la protection de la vie privée (art. 14 et 19).

210Nous avons déjà mentionné les difficultés rencontrées par la personne impliquée pour obtenir l’accès à son dossier et l’absence d’instance d’arbitrage en cas d‘intérêts divergents. La loi du 11 avril 1994 relative à la publicité de l’administration n’est d’ailleurs pas applicable (art. 26 § 1).

211La loi impose la destruction des dossiers après deux ans ; mais il peut y avoir une raison pour les conserver (art. 25 al. 2).

212Il n’y a pas de mention de la possibilité de communiquer les données aux autorités judiciaires. C’est une grande lacune.

213Finalement la loi prévoit, comme dans d’autres cas, des sanctions sévères en cas de non-respect du secret par les agents des services de renseignement et de sécurité (art. 23 et 24).

214La loi du 11 décembre 1998 portant création d’un organe de recours en matière d’habilitation de sécurité organise le droit de faire appel auprès du Comité R au sujet des enquêtes d’habilitation (art. 3 al. 1). Mais dans ce cas, l’appelant ne peut plus formuler de plainte auprès du comité (art. 3 al. 2 et 3). L’appelant et son avocat ont accès au dossier à l’exception de l’information classée ‘secrète’ par le service de sécurité en charge de l’investigation. Il y a là un risque d’arbitraire. L’appelant peut être entendu par le Comité R. La décision motivée prise à la majorité doit être rendue dans un délai de 60 jours et notifiée, mais sans l’information qui pourrait être dommageable pour la sécurité de l’État. Le Comité R peut ordonner la délivrance de l’habilitation si le refus des services de sécurité est jugé injustifié (art. 4). « Les décisions de l’organe de recours ne sont susceptibles d’aucun recours » (art. 9 al. 4). La seule possibilité de faire appel de la décision administrative du Comité R est de se pourvoir auprès de la Cour européenne des droits de l’homme à Strasbourg.

215Le problème est une nouvelle fois que le Comité R est à la fois juge et partie en matière de renseignement et de sécurité. De plus, même dans le cas d’un appel contre une décision du service de sécurité, le Comité R ne peut vérifier la façon dont l’investigation a été réalisée.

216N’y a-t-il pas lieu de créer un organe juridictionnel spécial, comme l’a proposé le Comité R [146] ? Le gouvernement a réfuté les arguments en faveur de cette solution [147].

Des relations externes difficiles

217Les services de renseignement et de sécurité ont à entretenir un certain nombre de relations externes. Ils doivent en premier lieu entretenir des relations avec les services policiers qui ont des compétences de police administrative ou de maintien de l’ordre et participent d’une certaine façon aux mêmes missions qu’eux. Il y a ensuite les instances judiciaires avec lesquelles les relations peuvent être problématiques à cause du secret auquel sont souvent tenus les agents des services de renseignement. Enfin, il y a de plus en plus des relations à entretenir avec des services étrangers analogues par suite de l’internationalisation de beaucoup d’investigations dans lesquelles les services sont impliqués.

Les mauvaises relations avec les forces de police

218Dès le départ, les relations entre la Sûreté de l’État et les forces de police furent plutôt mauvaises. Les agents se comportaient comme des individus supérieurs demandant en permanence des informations et des rapports aux forces de police en se plaignant à différentes occasions du mauvais service qu’ils obtenaient d’eux. La gendarmerie fut accusée d’être trop orientée militairement pour faire du bon travail de renseignement. En 1833, le chef de la police de Bruxelles fut décrit par le chef de la Sûreté comme « un vieillard inapte, entêté, négligent, assisté d’agents paresseux, ivrogne et violent » [148].

219De leur côté, les forces de policé n’appréciaient pas non plus la Sûreté de l’État. Ses agents étaient considérés comme arrogants et dominateurs, ne renvoyant aucune information à la police. De plus, leur compétence ne leur apparaissait pas tout à fait légitime [149].

220Différentes situations ne contribuèrent pas à améliorer la coopération, au contraire. Lorsqu’en 1940, l’ensemble des compétences en matière de renseignement furent confiées au ministre de la Guerre, et que les agents reçurent la compétence judiciaire, la juxtaposition de compétences devint manifeste. Mais déjà en 1920, lorsque la police judiciaire fut créée comme une nouvelle force de police nationale, avec juridiction sur le territoire national, elle installa immédiatement des sections politiques : la rivalité était renforcée de façon structurelle. Certaines sources indiquent que la police judiciaire fut fondée en raison de la désorganisation des services de renseignement après la Première guerre mondiale, de façon à ce que la nouvelle force de police prenne en charge les tâches du renseignement. Quant à la gendarmerie, elle participa en permanence aux travaux de renseignement. Mais en 1945, un arrête du Régent mit sur pied les brigades spéciales de recherche (BSR) au sein desquelles des sections d’information politique fonctionnaient. À nouveau, cela fut une source de tensions, cette fois entre la gendarmerie et la Sûreté. À nouveau il fut dit que les gendarmes avaient été contraints d’intervenir davantage dans le renseignement en raison de la non-fiabilité des services de renseignement après la Seconde guerre mondiale [150].

Les efforts pour améliorer les relations

221Il y eut de nombreuses plaintes au Parlement à propos du manque de coordination et de coopération. En 1948, il avait été dit que « chaque service fait preuve d’un chauvinisme et d’un égoïsme desséchants. Les rapports entre ces services sont épouvantables. » Plus tard, le problème refit surface dans les discussions à différentes reprises. Dans les années 1980, les ministres responsables ne purent qu’admettre la chose et promettre des initiatives de concertation, mais sans succès [151]. Une initiative comme celle du collège de coordination entre des services de police, mis sur pied en novembre 1985, ne put améliorer la situation. Même à la fin des années 1990 la situation de chevauchement et de compétition, en premier lieu entre la Sûreté de l’État et la gendarmerie, n’avait pas changé.

222La Commission d’enquête parlementaire sur la manière dont la lutte contre le banditisme et le terrorisme est organisée, qui fut si critique dans son rapport du 30 avril 1990, critiqua également le manque de coopération, de coordination et de communication entre les services de renseignement militaire et civil et entre ces deux services et les forces de police. La Commission recommanda des mesures structurelles pour mettre en place communication et coordination, si possible par voie législative.

223Le Comité R enquêta sur ce sujet et, dans son rapport de 1994, appuya la recommandation de la Commission [152]. Il concentra d’abord son attention sur le problème des relations entre la Sûreté de l’État et les forces chargées de l’application de la loi. Le rapport notait que dans le passé les activités des deux catégories de services avaient des buts différents, des règles différentes et des méthodes différentes. Les services de renseignement récoltaient des informations pour aider les décideurs politiques en matière de sécurité nationale. La police et les services judiciaires récoltaient des informations dans le but d’engager des poursuites. Le type d’information était également différent. Les services de renseignement réunissaient des informations brutes, pas toujours fiables, mais susceptibles de se transformer après analyse en renseignement utiles aux décideurs politiques. L’information récoltée par la police et les services judiciaires devait, elle, être très fiable, puisqu’elle devait servir de preuve devant le tribunal. Les sources et les méthodes étaient également différentes : la police et les magistrats obtenaient leur information d’interviews, d’informateurs à court terme et de la surveillance électronique. Les informations de la Sûreté de l’État provenaient de l’observation, de l’interception, d’informateurs à long terme, de sources disponibles et d’information en provenance des services étrangers.

224Dans le passé, selon le Comité R, les chevauchements entre les différents services étaient plutôt rares, mais la situation a complètement changé. Premièrement, la police et les services judiciaires travaillent de plus en plus sur un plan international, en raison du phénomène de la criminalité internationale. Deuxièmement, les services de renseignement définissent de nouvelles cibles. Une stricte séparation des missions et des tâches n’est plus possible. En conséquence, il est nécessaire de se rencontrer, de mettre sur pied une coopération, un entraînement commun, etc. Mais des règles communes sont également nécessaires, particulièrement pour établir comment les informations doivent et peuvent être utilisées par la police et les services judiciaires. C’est un problème complexe. Une solution pourrait être trouvée en centralisant et en évaluant au niveau du Ministère de la Justice les demandes de renseignement de la police et des magistrats. La décision pourrait être confiée à un organisme spécifique. L’information ne pourrait être utilisée que pour orienter l’enquête, et non comme preuve devant la Cour. Une autre procédure pourrait être établie par une loi concernant la procédure à suivre en matière d’informations classées secrètes : les informations secrètes demeurent inaccessibles si elles ne sont pas nécessaires à la défense ou le gouvernement pourrait filtrer l’information, de façon à ce que la défense puisse en obtenir la substance sans que les méthodes ou les sources soient révélées [153].

225En 1995 le Comité R a dénoncé le manque de suivi des recommandations et a reproché aux ministres compétents de ne pas avoir rempli leur tâche de pouvoir exécutif. Entretemps, le Premier ministre faisait savoir à la présidente du Comité R qu’il considérait que la coordination était une tâche qui ne relevait pas de sa responsabilité [154].

226En juin 1996 le gouvernement a pris des initiatives de coopération structurelle qui ont abouti au protocole conclu entre les services de renseignement et les autorités judiciaires le 15 décembre 1997. Deux autres protocoles avaient été conclus le 20 février 1997 entre les deux services eux-mêmes, d’une part, et entre les deux services et les instances policières d’autre part. Le protocole conclu avec les instantes judiciaires concerne l’assistance judiciaire, l’échange, automatique ou non, d’information, le support technique, et prévoit également des rencontres régulières. Mais il appartient aux magistrats de veiller à ce que des informations confidentielles ne soient pas utilisées devant le tribunal [155]. Auparavant, en 1997, le Comité R avait d’ailleurs proposé de renforcer les initiatives, ainsi que de conclure un accord sur la communication entre les services et les autorités judiciaires [156].

227Enfin selon la loi organique du 30 novembre 1998, l’échange d’information avec toutes les autorités, judiciaires inclues, devrait permettre une proche collaboration. « Les services de renseignement et de sécurité, les services de police, les autorités administratives et judiciaires veillent à assurer entre eux une coopération mutuelle aussi efficace que possible. (…) Lorsqu’ils en sont sollicités par celles-ci, les services de renseignement et de sécurité peuvent, dans les limites d’un protocole approuvé par les ministres concernés, prêter leurs concours et notamment leur assistance technique aux autorités judiciaires et administratives. Le Comité ministériel définit les conditions de la communication prévue (…) » (art. 20). Cet article constitue en réalité la légalisation de deux protocoles antérieurs. Il est certain que l’expérience du Rwanda en matière de mauvaises communication et coopération se trouve en toile de fond de cette nouvelle disposition légale sur la coopération. Mais il est frappant de voir à nouveau l’usage du facultatif : « les services de renseignement peuvent prêter leurs concours ».

Des relations internationales peu transparentes

228On a déjà mentionné que les services de renseignement ont eu dès l’origine de bons contacts avec l’extérieur. Ils suivaient la ligne politique des Affaires étrangères des gouvernements successifs. Ce principe a cependant eu des exceptions, lorsque les services mirent sur pied leurs propres réseaux et participèrent aux réseaux de renseignement internationaux existants. L’un des événements les plus mémorables à cet égard est certainement le risque pris par l’administrateur général de prendre ses distances vis-à-vis des Américains et de la CIA au début des années 1990 [157]. Il y eut également les changements amenés par l’effondrement du bloc de l’Est : du contre-espionnage à l’entente de l’espionnage avec les services de renseignement, publics et privés, de l’Europe de l’Est. Enfin, l’importance croissante de Bruxelles comme épicentre des rencontres entre gens du renseignement et de la sécurité joue également un rôle [158].

229En quoi consistent aujourd’hui les relations internationales des services de renseignement et de sécurité ?

230En 1994 et 1995 le Comité R obtint des informations sur les réseaux internationaux de télécommunications et les contacts internationaux de la Sûreté de l’État. En réalité, les renseignements obtenus à propos de ces réseaux ne sont pas très spécifiques. « Les réseaux de télécommunication sont les supports des échanges d’information. Il s’agit d’association de fait entre les responsables des services de sécurité et de renseignement de plusieurs pays. Ils sont nés de la nécessité d’échanges multilatéraux d’informations relatives à certains sujets que les services traitent. Ils sont soumis au principe de la règle du tiers (…) » [159] : les renseignements obtenus par un service demeurent la propriété de ce service et celui qui les reçoit ne peut pas les transmettre à un autre sans la permission du premier. De plus, celui qui reçoit une information doit transmettre au service qui la lui a fournie l’usage qu’il en fait.

231Depuis les années 1970, il existait une coopération TREVI qui comportait six rencontres annuelles des hauts fonctionnaires de la police et du renseignement. Après le Traité de Maastricht ils furent incorporés dans les rencontres du troisième pilier du Comité K4 (coordination) et dans celles des quinze ministres européens de la Justice et de l’Intérieur (JAI). Après le Traité d’Amsterdam, la coopération des services de police et de renseignement ne se situe toujours pas dans le Traité de la Communauté européenne et reste donc matière intergouvernementale. Mais dorénavant, le Comité des représentants permanents (COREPER), le Comité art. 26 (ancien Comité K) et un des trois groupes de travail, celui de ‘coopération policière et drogues’ au niveau du Conseil des ministres des 15 sont concernés. Il faut mentionner que l’acquis de la Convention de Schengen est incorporé au Traité de l’union depuis le 1er novembre 1998.

232‘Coordinateurs 1992’ fut un groupe de fonctionnaires de haut rang de différents pays qui travaillaient à ce qu’on appelle les ‘mesures de compensation’ consécutives à l’ouverture des frontières de la zone Schengen. Après le Traité de Maastricht, ces personnes furent intégrées dans le Comité K 4.

233Une coopération informelle s’est développée au sein d’un bureau de liaison pour les agents de la police, de la douane, de l’immigration et du renseignement qui s’occupent du terrorisme, de la drogue, du crime organisé, de différents types de trafics, des pirates de l’air, etc. Ils peuvent être convoqués à tout moment par des hauts fonctionnaires.

234On doit mentionner en outre l’existence d’officiers de liaison de la Sûreté de l’État, auprès des Ministères belges des Affaires étrangères et de la Justice. Il existe probablement d’autres officiers de liaison dans d’autres ministères sur lesquels l’information fait défaut. Elle fait défaut également sur les relations externes du SGR [160].

235Les rencontres informelles et les réseaux établis de facto sont généralement plus importants que les officiels et la situation est loin d’être transparente et sous contrôle. La Commission parlementaire d’enquête sur la manière dont la lutte contre le banditisme et le terrorisme a remarqué que les services de police, de douane, de renseignement civils et militaires et d’immigration se rencontrent de plus en plus souvent et que la frontière entre leurs compétences deviennent floues [161]. La séparation entre la sécurité intérieure et extérieure tend à s’estomper également. La même chose est valable pour les techniques utilisées : l’enquête criminelle normale côtoie le travail de renseignement, avec techniques clandestines, poursuite et observation sur le territoire de chacun, contrôle par satellites militaires. La pratique de la surveillance policière proactive est connue depuis longtemps par les services de renseignement et est actuellement acceptée également par les forces de police normales. Les services de renseignement ont élargi leur champ d’action à la collecte de l’information sur les groupes et personnes considérés comme un danger pour l’État, mais ont commencé à s’intéresser à la solution de crimes majeurs et défendent la criminalisation des délits politiques [162]. Le contrôle des immigrants, légaux et illégaux, et le trafic illégal d’êtres humains sont l’un des points les plus récents portés à l’agenda de ce genre de rencontres ‘mixtes’. À la fin de 1998, il semblait que le crime organisé était devenu la nouvelle cible prioritaire commune, nationale, européenne et internationale.

236En juin 1998, au cours du débat au Sénat sur la nouvelle législation sur les services de renseignement, le chef du SGR a déclaré que la collaboration générale ou bilatérale entre services des pays de l’OTAN, mais également avec ceux d’autres pays amis, devenait de plus en plus étroite. La raison en serait l’impossibilité à ce jour pour un seul pays de se procurer toute l’information concernant les risques et les menaces. Le système de donnant-donnant de même que la répartition et la spécialisation des tâches entre les services de renseignement nationaux deviennent nécessaires [163]. Le type de division du travail adopté n’est pas mentionné. Mais nous savons déjà que les compétences des deux services belges se recoupent parfaitement.

237Le Comité R estime que le monde n’est plus gouverné par des dogmes politiques mais bien par des nécessités économiques. Les menaces sont internationales et ne proviennent plus d’un seul bloc de pouvoir. Le pouvoir, les moyens financiers et le management des organisations criminelles deviennent aussi importants que ceux de nombreux États. Le terrorisme et le crime organisé ne sont pas des phénomènes nouveaux, mais de nouveaux réseaux internationaux se créent et utilisent les technologies les plus récentes. La récolte d’information et la réaction ne peuvent être qu’internationales. Cela est vrai également pour les règlements et dispositions.

238La coopération entre les services de renseignement et les forces chargées de l’application de la loi devrait être internationale elle aussi [164].

Les structures de contrôle

239En 1991, après une période de grande autonomie et d’absence de contrôle de fait, après des scandales et des critiques multiples, le Parlement prenait une initiative remarquable, en organisant un Comité permanent de contrôle, responsable devant lui. Il semble que ce Comité R s’inspire fortement du Comité canadien de surveillance créé par une loi canadienne de 1984. Rappelons qu’au moment de l’installation du Comité R, les services de renseignement n’avaient pas encore de base légale.

La période de grande autonomie

240Durant la première période après 1830, lorsque le service de la Sûreté jouissait d’une grande autonomie, les lettres circulaires ministérielles étaient la seule base de fonctionnement. En 1848, le ministre de la Justice écrivait à son collègue de l’Intérieur : « Quoique accolée au ministère de la Justice, la Sûreté de l’État forme en quelque sorte un petit ministère irresponsable organisé par des arrêtés spéciaux et ayant des attributions déterminées que l’administration exerce, non pas au nom ou comme délégué du ministre, mais en son non direct, comme des hauts fonctionnaires de l’État. » [165]

241Même après qu’un arrêté royal de janvier 1890 ait conféré plus de pouvoir de contrôle au ministre, il se déchargea de toute responsabilité sur l’administrateur général [166]. Après le ‘grand complot’, le chef de la Sûreté de l’État fut renvoyé et le ministre lui-même redevint responsable. Cela arriva à nouveau plusieurs fois : après chaque scandale, le service était décapité et renvoyé du Ministère de l’Intérieur au Ministère de la Justice et vice versa. En 1988, lorsque le service fut appelé à retourner au Ministère de l’Intérieur, le ministre refusa et n’accueillit que la direction générale des affaires relatives aux étrangers, immigrants et demandeurs d’asile [167].

242Durant les deux guerres mondiales, les deux services furent placés sous l’autorité du ministre de la Guerre. À la suite de nouvelles difficultés avec les activités des agents des services de renseignement, en 1947 et en 1948, et à nouveau en 1950, 1958, et 1980, plusieurs membres du Parlement demandèrent l’adoption d’une législation, davantage de coordination, moins de chevauchement de compétences avec les forces de police et un contrôle accru sur ces services. Le service militaire n’était pas le premier visé par le Parlement. Cependant, lorsque certains membres demandèrent des informations sur ce service, ils se heurtèrent au refus du ministre de la Défense. La défiance du Parlement ne fit que croître et les ministres ne purent faire autrement que d’admettre l’existence de problèmes [168].

243Le gouvernement social-chrétien-libéral mis en place en 1988, fut confronté à la lourde critique des services de renseignement émise par la Commission parlementaire d’enquête sur la manière dont la lutte contre le banditisme et le terrorisme est organisée. Le 5 mai 1990, le ministre de l’Intérieur déclara : « C’est un rapport dévastateur pour la Sûreté. En ce qui me concerne, je n’ai pas besoin d’elle. Depuis 726 jours que je suis à l’Intérieur, elle ne m’a jamais donné une seule information utile. Les informations qu’elle me donne sont identiques à celles que je reçois de la part de la gendarmerie. » [169] À l’évidence, le ministre n’appréciait ni les services de renseignement, ni leur chef. Plus tard, le même ministre revendiqua néanmoins de participer à l’application de la loi organique concernant ces services.

244Le 5 juin 1990, le gouvernement fit connaître son Plan de Pentecôte. « Les missions de la Sûreté de l’État seront définies dans une loi que le gouvernement déposera prochainement au Parlement. La Sûreté continuera à dépendre du ministère de la Justice, l’autorité organique. Le ministre de l’Intérieur sera codécideur pour toutes les matières de sa compétence légale. La Sûreté de l’État sera soumise à un contrôle externe, prévu dans l’avant-projet de loi sur le contrôle des polices et services de renseignement, qui sera approuvé par le prochainement par le gouvernement. » [170]

245Un arrêté royal du 21 juin 1996 mettait fin à l’autorité unique d’un seul ministre sur les services de renseignement. Un comité ministériel de renseignement et un collège de renseignement ont été installés. Le premier est composé des ministres de la Défense, de la Justice, de l’Intérieur, des Affaires étrangères et des Affaires économiques et décide de la politique en matière de sécurité politique ; le second, un organisme administratif, est composé de hauts fonctionnaires et s’occupe de la coordination et de l’exécution de cette politique, de la coordination entre la police et le renseignement [171]. Depuis lors, la politique en matière de sécurité n’est plus définie par un seul ministre ni par les services eux-mêmes.

Une initiative remarquable de contrôle et de responsabilisation

246La loi organique du 30 novembre 1998 contient très peu de dispositions sur le contrôle (art. 5, 6 et 10). Elle reprend celles de l’arrêté royal du 21 juin 1996 : l’autorité générale responsable est constituée par le comité ministériel de renseignement et par le collège de renseignement. L’autorité exécutive qui commande la Sûreté de l’État est une subtile construction bicéphale de codécision entre les ministres de la Justice et de l’Intérieur. Dans d’autres pays, un seul ministre est généralement responsable. Mais il s’agit en Belgique d’une question d’équilibre dans le contrôle de la police et des services de renseignement qui tient compte du pluralisme politique des coalitions gouvernementales. Le service de renseignement militaire est cependant placé sous l’autorité exécutive du seul ministre de la Défense.

247Le même équilibre politique a été également la raison pour laquelle les compétences exécutives des ministres ont été explicitées dans une loi, bien que le Conseil d’État ait fait remarquer que selon les articles 37 et 107 § 2 de la Constitution, il s’agissait d’une matière qui appartient strictement au pouvoir exécutif [172]. Mais cette disposition constitutionnelle est également la raison pour laquelle la loi ne mentionne pas les hauts fonctionnaires auxquels peut être déléguée l’autorité sur les services de renseignement.

248Avant la loi organique du 30 novembre 1998 sur les services de renseignement, le Parlement avait adopté la loi organique du 18 juillet 1991 du contrôle des services de police et de renseignement, qui créa le Comité permanent de contrôle, c’est-à-dire le Comité R.

249D’emblée la question suivante se posa : comment peut-on contrôler quelque chose d’incontrôlable, en raison de l’absence de texte de loi définissant les missions de ces services de renseignement ?

250Le Comité R comprend cinq commissaires à plein temps, des magistrats pour la plupart, et une équipe de cinq enquêteurs en provenance des services de renseignement. La question demeure de savoir s’ils peuvent agir dans un esprit indépendant. Par ailleurs, ils ont la compétence judiciaire.

251Le Comité R est un organisme autonome, responsable devant le seul Parlement. Sa mission est de « garantir la défense des droits que la Constitution et la loi donnent aux citoyens ; de s’occuper de la coordination et de l’efficacité des services de renseignement de la loi organique du 17 juillet 1991 » (art. 1).

252Il agit à la demande de la Chambre des représentants, du Sénat ou de sa propre initiative (art. 32). Le Comité enquête sur les activités et les méthodes des services de renseignement, leurs règlements internes et directives, tous les documents qui règlent les actions des membres de ces services. Les membres du Comité peuvent exiger tout document dont ils estiment nécessaire de disposer pour mener à bien leur mission. Un rapport sur chaque enquête terminée est envoyé aux ministres compétents et aux deux assemblées parlementaires (art. 33). Ces autorités reçoivent également un rapport annuel et peuvent même demander tout dossier et tout document à condition de respecter la confidentialité et la vie privée des personnes (art. 36).

253Des personnes privées peuvent introduire des plaintes auprès du Comité concernant des activités des services de renseignement (art. 40).

254Les commissaires et les enquêteurs peuvent inviter toute personne et tout fonctionnaire aux fins d’interrogation. Les agents des services de renseignement sont obligés de communiquer des secrets au Comité R, sauf s’ils font partie d’une enquête judiciaire en cours. Les commissaires et les enquêteurs peuvent demander aux forces de police de les assister (art. 50). Il y a également un Comité permanent de contrôle des services de police appelé comité P, avec lequel le Comité R doit communiquer et collaborer (art. 52-55).

255Le Comité R recrute son propre personnel et doit fournir son propre règlement d’ordre intérieur [173]. Ceci a pris un certain temps, et ce n’est que le 6 mai 1994 que le règlement d’ordre intérieur a été approuvé par la Chambre des représentants. Il traite notamment :

  • des modalités de communication des rapports d’enquête aux assemblées parlementaires en tenant compte des impératifs de confidentialité et de respect de la vie privée ;
  • des conditions de publication de ces rapports [174] ;
  • du fonctionnement collégial du conseil des commissaires ;
  • de la manière d’exécuter les enquêtes ;
  • des conditions pour demander et recevoir des décisions et des informations judiciaires ;
  • de la gestion des documents, dossiers et registres d’enquête ;
  • de la gestion de la confidentialité ;
  • de la gestion du procédé informatique ;
  • de la gestion du budget et du personnel [175].

256Le Comité R a reçu une compétence très étendue et un important pouvoir d’interprétation de ses missions. Mais il a été assez vite soumis à beaucoup de critiques, principalement en raison de conflits internes qui ont surgi au sein du conseil des commissaires et des problèmes de relations interpersonnelles. En 1995 et 1996, la presse s’en est fait l’écho, y compris du conflit permanent entre l’administrateur général de la Sûreté de l’État et la présidente du conseil des commissaires du Comité, chacun soutenu par son parti politique. Il semble que la politisation du conseil ait eu un effet négatif sur son fonctionnement.

257Le Parlement s’est penché sur la question à différentes reprises et des propositions de réforme en résultèrent : fusionner les comités R et P ; réduire le nombre de commissaires ; améliorer la communication entre le Parlement et les Comités ainsi que le contrôle du Parlement ; abolir la procédure de décision unanime au sein du conseil des commissaires et réduire le droit d’un Comité de lancer une enquête de sa propre initiative ; donner au gouvernement davantage de pouvoir de contrôle sur les Comités. Le 22 juillet 1996, un premier projet de modification de la loi de juillet 1991 fut déposé au Parlement. Mais les partis politiques avaient des opinions trop divergentes en la matière, ce qui menait à des longues discussions et à des résolutions importantes aussi bien à la Chambre des représentants qu’au Sénat, surtout dans les Commissions parlementaires spéciales chargées du suivi des Comités P et R [176].

258La Chambre votait le 1er mars 1999 la loi modifiant la loi du 18 juillet 1991 organique du contrôle des services de police et de renseignement[177]… c’est-à-dire presque neuf ans après le dépôt du premier projet de réforme. Le processus parlementaire fut relativement long. Les divergences entre les partis (y compris la majorité) sont à l’origine de la prolongation des discussions et ont mené au dépôt de plusieurs résolutions à la Chambre, au Sénat et au sein des commissions parlementaires spéciales.

259Cette loi remaniait sérieusement la loi de 1991. Les missions du Comité sont redéfinies :« (…) Le contrôle porte en particulier sur la protection des droits que la Constitution et la loi confèrent aux personnes, ainsi que sur la coordination et l’efficacité, d’une part des services de police, et d’autre part, des services de renseignement. » (art. 2 al. 2). On notera que la coordination doit désormais être seulement contrôlée et non plus organisée par le Comité R. Il fallait plus clairement distinguer contrôle interne et externe (art. 3). Le Comité R doit rester dorénavant dans son rôle de contrôle : il « (…) ne peut rendre un avis sur un projet de loi, d’arrêté royal, de circulaire ou sur des documents de toute nature exprimant les orientations politiques des ministres compétents, qu’à la demande de la Chambre des représentants, du Sénat, ou du ministre compétent. Lorsque le Comité R agit à la demande du ministre compétent, le rapport n’est remis au Sénat qu’à l’issue du terme fixé. (…) Le président de la Commission de suivi du Sénat est informé (…) avant le terme du délai (…) » (art. 25 3°). « Si l’enquête fait suite à une demande d’un ministre compétent, son accord est requis avant la communication du dossier de l’enquête (…) » (art. 27). « Les rapports et conclusions rendus publics comprennent l’avis des ministres compétents et des autorités compétentes » (art. 28). « Lorsque la Comité permanent R agit d’initiative, il en informe aussitôt le Sénat » (art. 24). En fait c’est la Commission de suivi du Sénat qui s’en occupe.

260La loi a réduit d’une façon substantielle la composition du Comité : « (il) se compose d’un membre effectif permanent, qui en est le président, et de deux membres effectifs non permanents (…). Un suppléant est nommé pour chacun d’eux. Tous sont nommés par le Sénat (…) qui peut les révoquer (…) » (art. 20 1°). Leur mandat est renouvelable deux fois au lieu d’une fois (art. 22 1°). « Le règlement d’ordre intérieur du Comité R est approuvé par le Sénat » (art. 34 2°). Les compétences de gestion journalière du président du Comité R sont élargies (art. 36). L’existence et le fonctionnement des Commissions de suivi du Parlement, c’est-à-dire l’exercice d’un contrôle régulier sur les comités permanents, sont à présent inscrits dans la loi (art. 40)

261On retrouve enfin les dispositions déjà connues concernant l’obligation du secret (art 38 et 40 § 5).

262Mais le Parlement a tardé à se mettre d’accord sur le choix des candidats avant la fin de la législature 1995-1999 et ce n’est qu’en novembre 1999, que le nouveau Comité R a été installé.

263En résumé, à l’issue de cette réforme, les compétences du Comité ont été réduites. La loi nouvelle prévoit une meilleure communication entre le Comité R et le Sénat, mais celui-ci se voit octroyer plus de pouvoir de contrôle sur le Comité. Il est aussi clair que le pouvoir exécutif a réussi à participer à ce pouvoir de contrôle, et certainement aussi à s’y soustraire…, ce qu’il n’avait pas réussi à obtenir en 1991.

264En 1994, le budget du Comité R était de 67.448.590 FB ; en 1995 de 75.425.000 FB (dont 20.079.117 FB ne furent pas dépensés) ; en 1996 de 72.730.000 FB (dont à nouveau 23.414.550 ne furent pas dépensés) ; en 1997 de 70.715.000 FB [178] (avec un excédent de 18.062.019 FB) ; en 1998 de 71.552.543 FB [179].

Les services de renseignement pris pour cible

265Depuis l’installation du comité R, les services de renseignement ont été davantage et plus fréquemment l’objet de contrôles et d’analyses critiques.

266C’est à la suite d’une recommandation du Comité R que la liste des organisations et personnes subversives, ainsi que celle des sujets qui font l’objet de collecte d’informations ou d’observation, doivent être proposées par la Sûreté de l’État et rencontrer certains critères avant d’être approuvées par un comité de ministres responsables. Le Comité R a dû insister auprès du SGR pour qu’il suive la même procédure [180]. La loi organique du 30 novembre 1998 charge le comité ministériel des renseignements de cette mission.

267Dès le 5 décembre 1994, le Comité R enquêta de sa propre initiative « à propos de l’efficacité et de la collaboration des services de renseignement au sujet des événements dramatiques survenus au Rwanda ». Des renseignements confidentiels ayant trait aux intrigues militaires se nouant autour du président rwandais, à l’armement des extrémistes hutus et à l’hostilité à l’égard des Nations Unies et du détachement militaire belge, étaient probablement entre les mains des services plusieurs mois avant avril 1994, lorsque le président puis dix para-commandos belges furent assassinés et que le génocide des Tutsis et des dissidents Hutus commença. Manifestement, des rapports rédigés après les meurtres tombèrent également aux mains des services de renseignement. Mais il semble que le gouvernement belge, la Cour, et le service de renseignement militaire, sous l’influence de l’OTAN et des États-Unis, protégèrent le régime hutu du président Habyarimana. De cette façon, on pourrait comprendre pourquoi l’information rassemblée – en l’absence d’un mandat de l’ONU, restreint à celui de ‘peace making’ – sur les projets funestes des Hutus fut dissimulée ou ne fut pas prise au sérieux. Les dix para-commandos belges en furent naturellement aussi les victimes. L’information transmise ne fut apparemment pas prise au sérieux par les autorités, lesquelles peut-être n’étaient pas vraiment intéressées et ne donnèrent aucune instruction aux services de Sûreté [181].

268Le comté R menait donc l’enquête sur la façon dont les services de renseignement ont suivi les événements du Rwanda en vérifiant le cycle du renseignement. Il constata tout d’abord, quant à la direction de la recherche, que la Sûreté de l’État, contrairement à la SGR, n’avait ordonné aucune mission et ne se considérait pas comme mandatée. Pour faire de la recherche d’information, même le SGR manquait de sources ainsi que d’une cellule de renseignement adéquate dans les États-majors ONU. La Sûreté de l’État collectait certaines informations, mais certains indices et informations, même importants, ne furent pas transmis aux analystes. L’analyse des informations récoltées fut jugée nettement insuffisante par le Comité R. Enfin, quant à la diffusion des renseignements il apparut que le SGR transmettait ses informations seulement à des instances militaires et la Sûreté à des membres du gouvernement. Le Comité R concluait que les responsables des deux services n’avaient en effet pas reçu d’instructions de la part des autorités politiques et qu’ils n’avaient pas non plus donné des instructions eux-mêmes à leurs agents ; qu’il manquait du personnel ; qu’il y avait eu un échange insuffisant d’informations entre les deux services et qu’il y avait un manque total de coordination des activités des deux services de renseignement dans ce dossier. De plus, le Comité R constatait que les deux services de renseignement lui avaient transmis des dossiers incomplets [182]. Plus tard, une commission d’enquête parlementaire reprit le dossier.

269Le 21 septembre 1995, le journal De Morgen affirma que le service de renseignement militaire disposait d’un centre pour la mise sur écoute et l’interception des communications radio. La hiérarchie militaire et le ministre de la Défense ne purent qu’admettre que cela se passait en violation de la loi sur la protection de la vie privée, mais défendirent la nécessité de récolter ce genre d’informations, même dans le cas de communications privées. Ils déclarèrent que tout cela s’effectuait dans le cadre de l’OTAN. Ils utilisèrent la fuite dans la presse pour prétendre à la légalisation illimitée des écoutes par le service de renseignement militaire [183]. Le général aurait déclaré que le respect des droits de l’homme ne signifiait rien pour les militaires [184]. Le Comité R ne pouvait que souligner l’illégalité de la mise sur écoute et l’interception des communications radio et que l’état de la législation ne permettait pas aux services de renseignement d’intercepter ou d’enregistrer des communications téléphoniques pour des raisons de sécurité, pas même en temps de guerre. Cela n’est permis que dans le cadre d’une enquête judiciaire avec la permission d’un juge.

270Le Comité R était d’avis qu’il y a un urgent besoin d’une loi qui légalise et organise le contrôle, les écoutes, avant et après celles-ci, dans le respect de la vie privée. Entretemps l’armée pourrait éventuellement invoquer le cas d’urgence pour n’être pas poursuivie, mais c’est le juge qui en déciderait [185].

271Aucune action ne fut intentée contre les personnes responsables devant un tribunal et aucune information n’a filtré au sujet de la pratique actuelle des écoutes. Le Comité R fait état de l’existence au SGR d’une section COMINT (Communication Intelligence) qui travaille en étroite collaboration avec les services alliés analogues dans le cadre de l’electronic warfare de l’OTAN [186]. Rappelons que le projet de loi sur les écoutes administratives et les réceptions n’a pas encore été votée et adoptée par le Parlement.

272Selon des articles de journaux parus en mars 1996, malgré la décision gouvernementale du 23 novembre 1990, le réseau clandestin de résistance ‘stay behind’ n’aurait pas été dissout. Un député demandait une enquête sur ce qu’il appela la « réorganisation » du réseau ‘stay-behind’ par la section ressources humaines SDRA 8 du SGR. Le 2 mai 1996, le Parlement posait un certain nombre de questions au Comité R sur la question. Celui-ci arriva à la conclusion qu’« aucun indice n’a été révelé permettant d’affirmer que le réseau ‘stay behind’ a été réinstauré ni sous la direction du SGR ni sous une autre forme »[187].

273Mais plusieurs journaux croyaient néanmoins avoir découvert l’existence de ‘cellules provinciales’ du SGR destinées à détecter, identifier et combattre les menaces provenant de services de renseignement hostiles et d’agents se livrant à l’espionnage ou impliqués dans des actes de sabotage, de terrorisme ou de subversion, dans des actions contre des cibles militaires, l’OTAN ou l’armée. Suite à des interpellations au Parlement, le ministre de la Défense nationale charge le Comité R d’une enquête. Le Comité avait déjà décidé lui-même d’en ouvrir une. Il ne détecta aucune illégalité. Des subdivisions du SGR existaient déjà avant 1970, mais elles furent abolies après 1970. Elles furent récréées à partir du 19 novembre 1993 comme unités décentralisées de la section contre-ingérence du SGR et exercent donc des missions du SGR [188].

274Selon un article paru dans Le Soir du 30 juillet 1996, une section des Forces armées belges CTI (Commandement Territorial Interforce) avait établi un document concernant la défense militaire du territoire contenant des passages à caractère xénophobe. Le journaliste avait lu dans le document des indications sur un lien direct entre le SGR et un nouveau réseau ‘stay behind’. Le Comité R ouvrit à nouveau une enquête. Il constata que depuis 1993 une mission était confiée à des militaires du cadre de réserve consistant à protéger des points sensibles du territoire en cas de mobilisation générale dans le but de surveiller les groupes étrangers et les immigrés qui pourraient abriter des activités terroristes, mais que cette mission cessait en cas d’occupation du territoire par l’ennemi. La mission du CTI, contrairement à l’ancienne mission du SGR, n’avait rien à voir avec un ‘stay behind’. Le rapport du Comité R ne donna aucun indice de l’implication de civils. Toutefois, il estima que le service de renseignement militaire avait une conception trop large de la menace, qu’il y avait de sérieux indices de racisme et qu’une distinction claire devait être opérée entre la menace militaire et la menace constituée par des groupes terroristes ou subversifs [189].

275Finalement la question reste toujours posée de savoir quelle pourrait être la différence entre le CTI et ce qui pourrait subsister de l’ancien réseau ‘stay-behind’ ?

276En 1994, le Comité R entama une enquête sur les investigations des services de renseignement concernant les sectes. Il se considérait compétent car ces « groupes extrémistes, totalitaires et déstabilisants ségrégaient les gens de la société et constituaient un danger pour l’État ». Il estima qu’il devrait y avoir davantage de collaboration entre la police et les services de renseignement, particulièrement en ce qui concerne la définition de la ‘secte nuisible’ et surtout d’une politique commune dans le domaine des habilitations de sécurité. En outre, la Sûreté de l’État devrait transmettre ses informations à une plus grande gamme d’autorités. Le Comité estimait que « l’infiltration des pouvoirs publics par des adeptes des sectes devrait retenir l’attention des services de renseignement (…) » [190].

277Une enquête sur les sectes fut reprise ensuite par la Chambre des Représentants dans le cadre de la commission d’enquête parlementaire visant à élaborer une politique en vue de lutter contre les pratiques illégales des sectes et le danger qu’elles représentent pour la société et pour les personnes, particulièrement les mineurs d’âge [191].

278En 1994-1995, le Comité R se livra à une investigation détaillée de la sécurité des communications des services de renseignement nationaux. Le rapport de 1995 fut très critique sur la situation belge : il n’y avait pas d’organe interministériel chargé d’impulser et d’élaborer des normes en la matière ; il n’existait pas de structure de certification pour vérifier la qualité des systèmes de protection belges ou étrangers (OTAN, SHAPE etc.) ; il n’existait pas non plus de législation en matière de systèmes cryptographiques. Le Comité constatait que le contrôle des communications constituait un a priori et non un a posteriori ; que les systèmes de code étaient trop provisoires et non étanches ; que la protection de la vie privée n’était pas garantie [192]. En 1996, le Comité R recommandait qu’un statut officiel soit reconnu à une compagnie privée, BELINFOSEC, spécialisée en matière de sécurité des communications et que des moyens lui soient accordés [193]. Dans son rapport de 1997, le Comité R attirait spécialement l’attention sur le problème de la cryptographie et sur la nécessité de prendre des mesures législatives aussi bien au niveau national qu’international [194]. En novembre 1999 la question n’est pas encore résolue.

279Une autre enquête menée à l’initiative du Comité R au cours de 1995-1996 concernait l’utilisation d’informateurs par les services de renseignement Le Comité R détecta de nombreux problèmes : l’absence de prise en considération des aspects éthiques et l’absence de garantie pour le respect de la vie privée des citoyens ; le problème de fiabilité et d’évaluation des informateurs ; le risque réel de provocation ; le payement des informateurs non convenablement réglé ni contrôlé d’une façon adéquate ; l’absence de dispositions concernant la protection physique ; l’absence de règles précises, de système de codification, d’entraînement des agents de la Sûreté de l’État appelés à s’occuper des informateurs. La situation était même plus grave pour le SGR. Cette matière n’est réglée ni par la loi ni par des directives ministérielles mais seulement par des notes de service internes. La police était dans la même situation et devrait en la matière tomber sous la même législation [195]. Une réglementation serait en préparation à ce sujet dans les services concernés.

280Le Comité R enquêta également au sujet du système d’habilitations de sécurité de l’OTAN (‘NATO-clearence’) à la suite du dépôt de plaintes. Les critiques du Comité R concernèrent l’absence de base légale, la surconsommation, l’absence d’information au candidat ou à sa famille concernant la procédure, l’absence d’évaluation de la fiabilité des informations de provenance externe, l’absence de critères pour définir les sources qui devraient être consultées ; l’accès aux sources et aux bases de données dépendant de la bonne volonté des services détenant l’information, l’absence de possibilité pour le candidat de faire appel [196]. Des personnes qui ne reçurent pas d’habilitation déposèrent une plainte auprès du Conseil d’État et, en novembre 1997, devant un tribunal bruxellois, où elles obtinrent gain de cause. Le Comité R confirma que les plaignants étaient absolument dans leur droit. La nouvelle législation de 1998 a corrigé la situation.

281La protection rapprochée des personnes (‘close protection’) constitue l’une des tâches des services de renseignement. Le Comité R vérifia en 1994 et 1995 comment celle-ci était exécutée. Le rapport conclut que les règlements ministériels de 1994 étaient dépassés ; qu’il y avait utilisation illégale des compétences policières ; que les agents étaient trop âgés. « Malgré les lacunes développées ci-devant, le service a malgré tout réussi à accomplir ses différentes missions avec efficacité. » [197] La loi organique du 30 novembre 1998 prévoit de nouvelles dispositions.

282En 1994, la Sûreté de l’État déménagea dans un autre immeuble. En 1995, le Comité R s’enquit de la destruction de documents. Il nota de graves négligences : des dossiers et archives avaient été détruits illégalement. Il constatait également que des critères de destruction existaient, mais étaient livrés à l’initiative propre des services et en l’absence de tout autre contrôle. Les critères n’étaient parfois pas respectés en raison de l’incompétence du personnel. La collaboration entre les deux services de renseignement, et avec les archives générales du royaume était déficiente en ce qui concerne la fixation des procédures et des critères de sélection, la conservation et la destruction des documents. Le comité découvrit en outre que des employés de l’entreprise de déménagements avaient un casier judiciaire et que deux d’entre eux étaient même recherchés par la justice [198]. La loi organique du 30 novembre 1998 prête attention à cette question.

283En 1996, un journal affirma que les dossiers concernant l’enquête sur les CGC avaient été transférés de la police judiciaire au SGR pour être détruits et que certains agents notèrent les noms de certains informateurs mentionnés dans les dossiers et que des données historiques très intéressantes furent détruites par le feu [199]. En 1996, le Comité R enquêta sur cette affaire et conclut que la destruction avait été irrégulière et que certains agents du SGR l’avaient conduite de façon trop autonome [200]. Il fut également critiqué sur la façon dont le service de renseignement militaire détruisait ses dossiers [201]. Sur cette matière également, la loi organique du 30 novembre 1998 prévoit une réglementation.

284À différentes reprises le Comité R dénonça le manque de coordination entre la Sûreté de l’État et le SGR. Le problème refit surface à chaque enquête que mena le comité. En 1997, une investigation spécifique fut décidée. Elle détecta l’absence de disposition prévoyant une coopération systématique ; les services ne disposaient pas des moyens nécessaires pour mener à bien leur tâche. En outre, un déséquilibre existait entre les deux services : le contrôle des armes nucléaires, biologiques et chimiques devrait être la tâche du SGR et non du service civil ; le service militaire devrait être également compétent pour le crime organisé même en l’absence d’implication du personnel militaire, etc. « En ce qui concerne le crime organisé, (…) il peut aussi mettre en danger les forces armées sans que des militaires y soient impliqués, par exemple à l’occasion de gros contrats de fournitures militaires ou en cas de voisinages malsains à, proximité d’installation militaires. » [202] Dans un cas précis, l’enquête sur un trafic d’armes illégal ne put être menée à bien en raison du manque de collaboration [203].

285Le 20 février 1997, un protocole d’accord en matière de coopération fut signé entre les deux services et il fut repris dans la loi organique de 1998.

286La loi organique du contrôle des services de police et de renseignement du 18 juillet 1991 prévoit l’obligation pour les services de communiquer au Comité R tous les règlements internes, lignes de conduite et documents relatifs aux activités des services (art 33 al. 2). Dans son rapport de 1996, le Comité R se plaignait du non- respect de cette disposition, car il éprouvait de nombreuses difficultés à obtenir les documents. Il formula également des remarques concernant la forme, le contenu, la quantité, la diversité et la (dis)continuité des instructions à l’intérieur des services [204]. Dans son rapport de 1997, le Comité R constatait une nette amélioration de la situation. Il ne s’était heurté à aucun refus de délivrance de documents sollicités.

287Mais dès 1995, surgissait un malentendu quant à l’interprétation de l’article 33 al. 2 de la loi du 18 juillet 1991 : que fallait-il entendre par règlements, directives internes et documents réglant le comportement des membres des services ? Le Comité signalait : « Les autorités responsables n’ont pris aucune mesure pour résoudre ce problème. (…) » [205] En date du 25 septembre 1997, le Comité R décidait d’ouvrir une enquête permanente à ce sujet. Mais le Parlement demanda de clôturer l’enquête. Après de nouveaux incidents entre le Comité R et la Sûreté d’État, en décembre 1997, il fut convenu que la tenue d’un inventaire permanent des notes de service et sa communication au Comité R était de nature à permettre une application raisonnable de la loi ainsi qu’un contrôle efficace [206].

288Le Comité R s’est montré soucieux du statut des fonctionnaires travaillant pour les services de renseignement En 1996 et 1997 il procéda à une analyse détaillée de la question. Le Comité détectait une situation chaotique : règlements désorganisés et non systématiques ; contradictions, déviations injustifiées du statut des fonctionnaires en vigueur à propos du recrutement, de la promotion, des allocations, de l’évaluation et des sanctions disciplinaires ; absence de critères de sélection clairs et spécifiques [207].

289À la fin de juin 1998, des articles de presse prétendirent que depuis la fin des années 1980, les deux services récoltaient des renseignement sur quinze parlementaires des partis écologistes [208]. O. Deleuze, député Écolo, souhaitait savoir de quelle manière le service de renseignement militaire faisait la distinction entre les activités des parlementaires en tant que pacifistes écologistes et en tant que parlementaires. Le 15 mai 1997, le Comité R ouvrait une enquête à la demande du Parlement et de sa propre initiative élargissait l’enquête aux activités de la Sûreté de l’État à ce sujet. Dans son rapport du 19 mars 1998, il signale que la Sûreté constituait huit dossiers et le SGR dix. Mais toutes les pièces dataient d’avant l’élection de la Chambre. « Depuis 1988, ni la Sûreté de l’État, ni le SGR ne surveillent ni ne suivent spécifiquement et particulièrement les activités des Parlementaires écologistes. » [209]

290Il était surprenant que la Sûreté de l’État a tenu un dossier sur les partis écologistes jusqu’en 1988. Bien que les dossiers ne comprenaient que des articles de presse antérieurs à leur entrée au Parlement, le chef de la Sûreté de l’État refusa de révéler leur contenu.

291En mars 1996, le Comité R ouvrait une enquête sur l’usage des cartes de service de la Sûreté de l’État et du SGR et sur l’existence de certaines cartes de légitimation douteuse. Le Comité R constatait qu’il n’existait aucune base légale ou réglementaire, ni une directive interne ni un ordre permanent qui fonde l’existence des cartes de service ou de laissez-passer. Il était d’avis qu’il fallait que ces documents définissent la fonction et l’usage de la carte ou du laissez-passer, qu’ils fassent apparaître clairement les pouvoirs que détient son titulaire et à l’égard de quelles autorités. Il constatait qu’il manquait la précision des catégories et éventuellement les grades des membres du personnel à qui un document était délivré. Il demandait de procéder à la numérotation des cartes et des laissez-passer et d’en constituer un registre. Il souhaitait un contrôle interne rigoureux sur l’octroi et l’usage de ces documents [210].

292Fin septembre 1997, le service d’enquête du Comité R fut mis en possession d’une carte d’accès à un quartier militaire, qui était manifestement perdue par son titulaire. Il apparaissait que les directives en vigueur au SGR n’auraient pas été respectées. Dès lors le Comité R ouvrait une enquête sur le respect et l’application par le SGR des directives territoriales de sécurité et en particulier de celles qui régissent l’accès à leurs quartiers.

293Il constatait que depuis le 15 janvier 1998 l’accès aux quartiers militaires était régi par la mise en place d’une carte informatisée. Mais il critiquait assez durement le nouveau système :« (…) Le Service d’enquête souhaite attirer l’attention sur le risque encouru lorsque sur cette carte normalement ‘anonyme’ figurent des données personnelles qui peuvent permettre à la personne qui la trouve ou la subtilise de déterminer les sites auxquels la carte donne accès. ». Le Comité R souhaitait que le SGR applique strictement les directives de sécurité qui régissent l’accès aux quartiers et bâtiments et organise une procédure de déclaration rapide en cas de perte [211].

Conclusion

294La législation organique de 1998 a mis fin à une très longue période durant laquelle la loi était restée muette sur les missions, l’organisation et le fonctionnement des services de renseignement. C. Carpentier et F. Moser ont soutenu que les membres du Parlement n’avaient jamais réclamé la légalisation des services de renseignement et l’obtention d’un plus grand contrôle sur eux [212]. Si l’on parcourt les débats parlementaires de 1830 à nos jours, on retrouve beaucoup d’indications du contraire. Mais la question qui se pose est de savoir pourquoi ils n’obtinrent pas satisfaction avant la fin des années 1990. Durant l’année 1998 et encore en 1999, après des discussions longues et intenses, menées surtout au Sénat, la Chambre des représentants a voté plusieurs lois concernant la sécurité et le renseignement. Pourquoi cette soudaine fièvre de législation ? Et, plus fondamentalement, quel type de légalisation et de contrôle a été mis en place ? Très certainement une seule raison ne peut suffire à expliquer le retard du législateur.

295Premièrement, la Belgique était sans doute le seul pays occidental à ne pas avoir de dispositions légales : peut-être la situation est-elle devenue inconfortable avec l’accroissement de la coopération internationale.

296Ensuite, depuis le milieu des années 1980 – et donc bien avant l’affaire Dutroux – des commissions d’enquête parlementaires avaient analysé le fonctionnement de la police et du système judiciaire, le plus souvent après un événement tragique ou un échec manifeste, ou encore une erreur de membres de la police ou de magistrats. À cette occasion les services de renseignement eux-mêmes entrèrent également dans la ligne de mire avec quelques fois la question épineuse du rôle des services dans des affaires que l’on croyait de pur caractère judiciaire.

297Enfin, des médias se sont intéressés aux activités des services de renseignement, qui devinrent le sujet favori de beaucoup de journalistes. Les conflits entre les services, surtout la Sûreté de l’État, et les services chargés de l’application de la loi, les relations entre les deux services de renseignement, et particulièrement, les relations entre l’administrateur général de la Sûreté de l’État et certains ministres ou les Américains étaient des phénomènes qui attiraient l’attention sur les problèmes de la sécurité et du renseignement. À cela s’ajoute la montée dans les années 1980 et 1990 des thèmes des droits de l’homme et du respect de la vie privée. Dès le moment où le Comité R commença ses investigations et détecta des erreurs de gestion, des irrégularités et des illégalités, il n’y eut plus de retour en arrière possible. La création par la loi du Comité R s’avéra dès lors particulièrement légitime. Mais on peut également adopter un autre point de vue et rechercher une autre explication au caractère tardif de la législation. Du même coup, on trouve un début de réponse à la question du type de législation.

298Depuis 1830, le Parlement a régulièrement demandé de légiférer mais les gouvernements ont refusé avec la même régularité. Pourquoi le Parlement lui-même n’a-t-il pas pris d’initiative ? Certaines tentatives furent indubitablement faites, mais elles n’émanaient pas de groupes ou de députés importants. Cela est naturellement à mettre en rapport avec le fonctionnement de la démocratie parlementaire et aux relations entre le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif et de contrôle. Peut-être cela est-il aussi lié à la naissance des partis politiques et à l’augmentation du pouvoir des chefs de partis de la majorité en relation avec leurs collègues au gouvernement. Si la prééminence du pouvoir législatif n’est pas nouvelle, elle a augmenté et continue encore d’augmenter. Le principe démocratique consiste en un contrôle du gouvernement par le Parlement, mais de facto, c’est à l’inverse qu’on assiste. Dans un tel contexte, il ne devait pas être trop difficile pour les gouvernements de conserver autant que possible sous leur autorité la police, les services de renseignement et même les organes chargés de l’application de la loi en tant qu’instruments gouvernementaux puissants. Ceux-ci ont un intérêt important à soutenir l’idée d’un État centralisé fort, dans lequel ils peuvent ensuite s’incorporer. Ainsi, ils maintiennent le pouvoir du Parlement aussi réduit que possible et la majorité parlementaire suit, la plupart du temps, le gouvernement et davantage encore les chefs de partis.

299Le déroulement du processus d’adoption de la loi organique du 30 novembre 1998, de même que la réforme des compétences du Comité R, témoignent de ce renversement des relations de pouvoir entre les instances de l’État démocratique. En effet il faut se rappeler que c’est le gouvernement, avec son Plan de la Pentecôte de juin 1990, qui a pris l’initiative de légiférer. Et quand on lit le déroulement des débats en 1997 et 1998, surtout au Sénat, on constate que les discussions et la lutte se déroulaient surtout entre l’opposition et les ministres, qui défendaient farouchement leurs compétences et pouvoir de décision en matière de sécurité d’État, qui écartaient résolument les demandes de transparence de la part de l’opposition et même de certains membres de la majorité. Dans un effort remarquable et presque atypique, le Parlement installait en 1991 ‘son’ Comité permanent de contrôle des services de renseignement et réussissait à écarter dans une large mesure l’ingérence du pouvoir exécutif. Mais depuis les remaniements qui ont été apportés à la loi de 1991 en mars 1999, on constate que la capacité d’intervention du pouvoir exécutif a nettement augmenté.

300Néanmoins, au sein du gouvernement, les partenaires de la coalition ont été longtemps en désaccord à propos de la façon dont il convenait de réguler les services de renseignement. Les socialistes étaient en faveur d’autant de contrôle des services que possible, mais tant par le pouvoir exécutif que par le Parlement. Les sociaux chrétiens étaient en faveur d’une large autonomie pour les services – un homme de leur mouvance étant à la tête de la Sûreté de l’État – mais conférée par un texte de loi. Finalement, après près de neuf ans, un compromis fut atteint, mais avec une nette victoire du pouvoir exécutif et un équilibre au sein de l’autorité exécutive entre les ministres de la Justice et de l’intérieur, qui dans chaque coalition gouvernementale ont appartenu à des partis différents.

301La ‘démocratie gouvernementale’ influence donc également le genre de législation qui est adopté. Dans une large mesure, celle-ci constitue alors la légitimation d’une pratique existante et/ou consacre, à tout le moins, la volonté des chefs de service et membres importants du pouvoir exécutif. Ils veillent à l’intégration légale des services de renseignement dans les structures étatiques gouvernementales. C’est en effet une solution très légaliste qui a été trouvée au problème, mais le Parlement est plutôt perdant. Il n’a pas réussi à obtenir que de nouvelles missions et de nouvelles méthodes soient obligatoirement et exclusivement définies par la loi ; à être informé des catégories de personnes, organisations et groupes qui sont l’objet d’une surveillance, ce qui était pourtant une demande légitime. Comme dans le passé, le Parlement n’aura pas de contrôle sur les comités ou groupes de travail en tous genres que les ministres installeront. Il ne dispose d’aucune garantie de recevoir à l’avenir davantage d’information sur les missions, les activités, le personnel, le budget, les implications internationales, les moyens techniques ou les instruments, qui vont probablement évoluer considérablement dans les prochaines années. Pensons au développement des télécommunications, de la communication par satellite et aux nouveaux problèmes de protection et de contrôle qu’elles posent. Pensons également aux missions quasi nouvelles de la lutte contre le terrorisme et le crime organisé, ainsi qu’à la protection et à la sauvegarde du potentiel économique et scientifique, qui semblent devenir une des missions des plus importantes mais aussi des plus difficiles de l’avenir.

302On est en droit de se demander ce que la prétendue ouverture aux médias recouvre, lorsque l’ouverture au Parlement est si étroite. Il est vraisemblable que, dans le futur, c’est le principe ‘ce qui n’est pas interdit par le gouvernement ou le ministre compétent est permis’ qui s’appliquera et que le Parlement sera maintenu comme par le passé dans l’ignorance.

303Mais il doit être dit également que le Parlement n’a pas toujours exploité l’existence du Comité R. La communication n’a pas toujours été intense : il n’a adressé que peu de demandes au Comité, n’a pas réagi à ses rapports et n’a pas réussi à résoudre les problèmes internes du conseil des commissaires ou les conflits entre le Comité et la Sûreté de l’État. Pensons à l’affaire du Rwanda, aux problèmes de la sécurité et la protection des sources et à la querelle autour de la signification du terme ‘document’.

304Le fait que le Parlement n’ait initialement rien objecté à la politisation des nominations des commissaires et des enquêteurs par les états-majors des partis s’est retourné contre lui plus tard. Plusieurs députés ont assez tôt été convaincus de la nécessité de remaniements, mais pendant longtemps ils n’ont pas réussi à trouver une solution qui remporte une majorité : chaque parti continuait à protéger ceux qu’il avait nommés et leurs points de vue. Manifestement, le Parlement compte trop peu de membres dotés d’une connaissance et d’un intérêt pour les questions de renseignement et de sécurité. Le gouvernement n’était pas mécontent de la situation et peut-être même la favorisait-il. Le Parlement avait en réalité besoin pour lui-même des structures contraignantes de communication et de contrôle. Ce sont ces structures qui finalement ont été mises en place par la loi du 1er mars 1999.

305Mis à part les problèmes et les conflits internes, il semble que le Comité R ait réalisé un excellent travail. Ses enquêtes et ses analyses critiques ont la plupart du temps eu une suite. Mais il me semble qu’en fait le gouvernement ait finalement davantage profité de ces résultats que le Parlement lui-même. Le Comité R a, à juste titre, attiré l’attention sur des nouveaux défis. Il s’agit de la nouvelle mission de protection du potentiel économique et scientifique, qui dans les pays voisins consommerait déjà 40 à 60 % du budget des services de renseignement, parce qu’on y mène une politique proactive et offensive et pas seulement passive, tout en collaborant avec des agences de renseignement internationales privées et avec les compagnies industrielles, commerciales et financières impliquées [213]. Le Comité a également insisté sur le développement des nouveaux moyens de communication et les problèmes que posent ces moyens pour la protection des droits de l’homme et de la vie privée. Le Comité R a probablement aussi raison d’affirmer que les interactions internationales des deux services de renseignement avec leurs étrangers sont peu ou pas contrôlées. Il a fait cette remarque en constatant que les services n’ont manifestement pas besoin des moyens d’information et de communication offerts par l’Accord de Schengen.

306Le Comité R croit obstinément dans les solutions législatives. Il veut permettre aux services l’usage des nouveaux moyens techniques d’observation, d’écoute, etc., donc d’enquête, à condition qu’il y ait une réglementation légale. Par ailleurs il veut une stricte protection des droits des citoyens. Mais on ne voit pas toujours comment le Comité entrevoit la combinaison des deux. On a également dû constater que tout se qui se passe au niveau de l’UE avec The Lawfull Interception of Communications Council Resolution du Parlement européen, le Memorandum of Understanding signé par les ministres de l’intérieur et de la Justice des 15 a manifestement échappé au Comité, du moins jusqu’à présent.

307Il subsiste manifestement toujours un problème au niveau de l’interaction entre les services de renseignement et ceux chargés de l’application de la loi ou de l’administration. Bien avant que L. Caeymaex ait rédigé sa doctrine relative à la Sûreté de l’État, la gendarmerie et la police judiciaire avaient organisé des sections politiques qui participèrent au travail de renseignement et reprirent presque ce travail à leur compte après la Première guerre mondiale. Il n’y a, semble-t-il, pas de source d’information sur les différences qui ont existé ou existent encore entre le renseignement mis en œuvre par la police et celui effectué par les services. À en croire un ministre de l’Intérieur, l’information reçue de la gendarmerie était au moins équivalente à celle en provenance des services de renseignement. Une explication théorique de la différence est donnée, mais elle reste précisément très abstraite.

308Dans les années 1830, la Sûreté de l’État réclama la compétence judiciaire, mais ne la reçut que pendant les périodes de guerre. Depuis la loi organique du 30 novembre 1998, seuls les agents en charge de la protection des personnes en sont dotés mais rien n’empêche ces agents d’exécuter d’autres tâches avec la même compétence de police judiciaire. Le Comité R a posé la question du contrôle des activités de ces agents.

309Un protocole rédigé en 1996 et ensuite les dispositions légales de novembre 1998 ont légitimé la coopération entre les services de renseignement et les forces chargées de l’application de la loi, mais dans des termes aussi polis que vagues, avec comme conséquence des interactions très facultatives. On ignore ce qu’elles signifient dans la pratique. On ignore également s’il y a entre la police et les autorités judiciaires ou administratives un quelconque système ou un transfert occasionnel d’informations non accessibles à la défense ou aux parties représentées devant une cour ou un tribunal. Il y a là un vide juridique, une absence de contrôle et de moyen d’arbitrage quant au respect du droit de la défense au cas où le secret d’État et la confidentialité des preuves et des témoins sont mis en cause.

310D’après des points de vue récemment exprimés, on apprend que les deux fonctions, celle du renseignement et celle de la police, se chevauchent de plus en plus, qu’elles sont complémentaires et doivent collaborer de la façon la plus intensive, particulièrement au niveau international. Et des indices montrent que l’on se dirige rapidement dans cette direction. Faut-il abandonner la séparation traditionnelle entre les deux fonctions ?

311Il apparaît relativement simple de transférer une mission d’un service à l’autre, ainsi qu’il est arrivé pour la sécurité nucléaire. Pourquoi, à la fin, conserver deux services ? Certaines raisons sont données, mais celle qui se réfère à l’implication du SGR dans l’OTAN semble la plus convaincante.

312On doit constater que le service de renseignement militaire est bien plus important que le service de renseignement civil. Depuis longtemps, et la loi organique du 30 novembre 1998 le confirme, le SGR est doté des mêmes compétences que la Sûreté de l’État et peut entreprendre de (re)faire ce que l’autre a déjà exécuté. C’est le service dominant. Il est très autonome car il travaille sous le couvert de l’OTAN. Seul un ministre, celui de la Défense, est responsable, et non pas deux, comme c’est le cas pour la Sûreté de l’État. Peu d’arrêtés royaux ont été pris à son sujet. Manifestement ce service fonctionne sur base de directives internes. En l’absence de contrôle public, il est très logique que le fonctionnement de ce service soit peu connu. Pourtant il est celui qui est le plus impliqué dans les programmes de communication par satellite. Le fonctionnement très secret du SGR, en liaison avec les services américains, est peut-être la raison pour laquelle on a ignoré que depuis les années 1970 un satellite espion américano-britannique, ‘Echelon network’, enregistre les communications téléphoniques, télex et e-mail, concernant tant des affaires industrielles et commerciales que les activités des organisations de défense des droits de l’homme. C’est là ce qu’a révélé récemment le rapport Évaluation des techniques de contrôle politique, réalisé par la firme consultante britannique Omega et publié par le Parlement européen en septembre 1998 [214]. Et que penser de tout ce qui se passe dans le domaine de l’usage de la communication télé- et satellitaire au niveau de 1’UE, comme nous l’avons déjà mentionné ?

313La terminologie en vigueur dans le domaine de la sécurité et du renseignement est impressionnante. L’exemple des définitions données par la loi organique du 30 novembre 1998 [215] présente une phraséologie et une collection plutôt chaotiques des termes les plus hétérogènes. De nombreux termes sont interchangeables et sont utilisés indifféremment ; services de renseignement, services de sécurité ou services secrets ; Sûreté de l’État et sûreté publique ; contre-espionnage et contre-intelligence ; information et renseignement etc. La signification et l’interprétation des termes peuvent évoluer dans le temps, comme celui de subversion, qui a fini par disparaître de la loi de 1998. Toutes les associations de termes sont possibles. Finalement, un terme comme le secret d’État semble ne pas pouvoir être défini.

314L’interprétation se heurte au manque d’exemples pratiques d’application des termes à des cas concrets. On ne peut s’empêcher d’avoir l’impression que les agents eux-mêmes et finalement les autorités exécutives sont libres de les interpréter comme ils l’entendent. Peut-on ne pas remarquer que presque toute situation ou activité politique, économique, sociale etc. peut être définie comme un danger ou une menace pour la Sûreté de l’État ? De plus, des intentions ou des tentatives sont considérées comme aussi dangereuses pour la sécurité de l’État que des actions réelles ou effectives : « menace ou pourrait menacer ». Il faut conclure qu’il s’agit là d’une question politique et que dans certaines circonstances, ceux qui sont au pouvoir disposent de l’instrument par excellence pour inculper ou éliminer certains de leurs ennemis politiques ; qu’ils ont un pouvoir discrétionnaire important pour décider ce qui constitue le terrorisme, le crime organisé, la mafia, l’espionnage, etc. ou plutôt, ce qui constitue une menace pour certains intérêts acquis du pouvoir politique et non démocratiquement définis.

315Il existe des indices probants qu’en raison de l’évolution de toutes sortes de nouvelles technologies, les moyens, méthodes et instruments sont appelés à changer très rapidement, qu’aucun contrôle sérieux externe de leur qualité et de leur usage n’est préparé ou prévu, et certainement pas aux niveaux européen, international ou mondial. Pour une partie, le Comité R a mis le doigt sur le problème. Et il faut bien constater le peu d’attention apportée au contrôle et à la sauvegarde des droits de l’homme par quinze ministres européens qui s’occupent des communications satellitaires et d’autres types de télécommunications.

316On ne peut nier qu’un certain progrès, mais surtout formel, ait été enregistré dans le domaine du respect des droits de l’homme et de la protection de la vie privée. La solution trouvée pour la délivrance des habilitations de sécurité en est l’exemple le plus frappant, même si certains problèmes n’ont néanmoins pas été résolus de façon très appropriée. Il est certain que donner une fonction de jurisprudence au Comité R est une mauvaise solution. Il n’est pas équipé pour remplir cette fonction, notamment parce qu’il n’aura jamais accès à toutes les données pour traiter un cas sérieusement. Les droits de la défense ne sont pas vraiment garantis. Pourquoi ne prévoit-on pas que le Conseil d’État puisse fonctionner comme instance d’appel ? [216]

317Quant à la loi du 1er décembre 1998 modifiant celle du 8 décembre 1992 sur la protection de la vie privée, on constate que, d’une part, les services de renseignement y sont explicitement assujettis mais que, d’autre part, la loi prévoit toute une série d’exceptions au profit des mêmes services. La façon dont la loi organise l’accès aux données personnelles et la manière selon laquelle une personne peut les vérifier reste problématique. La loi permet aux services de renseignement d’avoir accès à toutes les données ‘utiles’ et ‘pas nécessaires’ et est finalement en contradiction avec la loi sur le respect de la vie privée. On se satisfait de l’arrangement légal parce que les exceptions sont prévues par la loi.

318L’impression subsiste que les autorités et les services ont réussi à garantir leur propre sécurité ainsi que celles de leurs activités et de leurs données plutôt que celles de la protection et du respect des droits des personnes. De plus, le même problème ne cesse de se présenter : avoir des droits ne signifie pas être en mesure de les exercer. La plupart du temps, les gens ignorent leurs droits et ne peuvent certainement pas se retrouver dans des procédures diversifiées et compliquées. Les autorités ne font pas grand effort pour les informer et prendre des mesures pratiques pour rendre les procédures opérationnelles.

319Enfin, le devoir des agents de sécurité de maintenir la confidentialité est très explicite et les sanctions prévues par la loi très sévères. Cela constitue une autre garantie pour une certaine protection de la vie privée, mais constitue simultanément un instrument aux mains des autorités pour conserver un contrôle strict sur leurs services de renseignement et sur leurs agents.

Annexes

1 – Arrêté concernant les attributions de l’administrateur de la Sûreté publique

320« Léopold, Roi des Belges,

321À tous présents et à venir, salut.

322De l’avis de notre Conseil des ministres ;

323Nous avons arrêté et arrêtons :

324Art. 1er. L’Administrateur de la sûreté publique est chargé spécialement de surveiller l’exécution des lois et règlements sur la police générale, sous l’autorité de notre Ministre de la Justice. Il est autorisé à correspondre directement avec les autres Ministres.

3252. L’Administrateur de la sûreté publique est également autorisé à correspondre directement avec tous les fonctionnaires publics, les officiers de la gendarmerie et les comandants des différentes brigades de ce corps. Il peut les requérir, chacun en ce qui le regarde, de faire les actes nécessaires pour l’exécution des lois et règlements sur la police générale.

3263. Notre Ministre de la Justice est chargé de l’exécution du présent arrêté.

327Bruxelles, le 9 janvier 1832.

328Léopold.

329Par le Roi :

330Le Ministre de la Justice,

331Raikem. »

2 – La service général de renseignement

tableau im1
Source : Infographie Le Soir, 16 septembre 1999

3 – La Sûreté de l’État

tableau im2
Source : Infographie Le Soir, 16 septembre 1999

4 – Loi du 30 novembre 1998 organique des services de renseignement et de sécurité

332Art. 8. Pour l’application de l’article 7, on entend par :

3331° « activité qui menace ou pourrait menacer » : toute activité, individuelle ou collective, déployée à l’intérieur du pays ou à partir de l’étranger, qui peut avoir un rapport avec l’espionnage, l’ingérence, le terrorisme, l’extrémisme, la prolifération, les organisations sectaires nuisibles, les organisations criminelles ; en ce compris la diffusion de propagande, l’encouragement ou le soutien direct ou indirect, notamment par la fourniture de moyens financiers, techniques ou logistiques, la livraison d’informations sur des objectifs potentiels, le développement des structures et du potentiel d’action et la réalisation des buts poursuivis.

334Pour l’application de l’alinéa précédent, on entend par :

  • espionnage : le recueil ou la livraison d’informations non accessibles au public, et le fait d’entretenir des intelligences de nature à les préparer ou à les faciliter ;
  • terrorisme : le recours à la violence à l’encontre de personnes ou d’intérêts matériels, pour des motifs idéologiques ou politiques, dans le but d’atteindre ses objectifs par la terreur, l’intimidation ou les menaces ;
  • extrémisme : les conceptions ou les visées racistes, xénophobes, anarchistes, nationalistes, autoritaires ou totalitaires, qu’elles soient à caractère politique, idéologique, confessionnel ou philosophique, contraires, en théorie ou en pratique, aux principes de la démocratie ou des droits de l’homme, au bon fonctionnement des institutions démocratiques ou aux autres fondements de l’État de droit ;
  • prolifération : le trafic ou les transactions relatifs aux matériaux, produits, biens ou know- how pouvant contribuer à la production ou au développement de systèmes d’armement non conventionnels ou très avancés. Sont notamment visés dans ce cadre le développement de programmes d’armement nucléaire, chimique et biologique, les systèmes de transmission qui s’y rapportent, ainsi que les personnes, structures ou pays qui y sont impliqués ;
  • organisation sectaire nuisible : tout programme à vocation philosophique ou religieuse, ou se prétendant tel, qui, dans son organisation ou sa pratique, se livre à des activités illégales dommageables, nuit aux individus ou à la société ou porte atteinte à la dignité humaine ;
  • organisation criminelle : toute association structurée de plus de deux personnes, établie dans le temps, en vue de commettre de façon concertée des crimes et délits, pour obtenir, directement ou indirectement des avantages patrimoniaux, en utilisant l’intimidation, la menace, la violence, des manœuvres frauduleuses ou la corruption ou en recourant à des structures commerciales ou autres pour dissimuler ou faciliter la réalisation des infractions. Sont visées dans ce cadre les formes et structures des organisations criminelles qui se rapportent intrinsèquement aux activités visées à l’article 8, 1°, a) à e) et g), ou qui peuvent avoir des conséquences déstabilisantes sur le plan politique ou socio-économique ;
  • ingérence : la tentative d’influencer des processus décisionnels par des moyens illicites, trompeurs ou clandestins.

3352° « la sûreté intérieure de l’État et la pérennité de lordre démocratique et constitutionnel » :

  • la sécurité des institutions de l’État et la sauvegarde de la continuité du fonctionnement régulier de l’État de droit, des institutions démocratiques, des principes élémentaires propres à tout État de droit, ainsi que des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;
  • la sécurité et la sauvegarde physique et morale des personnes et la sécurité et la sauvegarde des biens.

3363° « la sûreté extérieure de l’État et les relations internationales » : la sauvegarde de l’intégrité du territoire national, de la souveraineté et de l’indépendance de l’État, des intérêts des pays avec lesquels la Belgique poursuit des objectifs communs, ainsi que des relations internationales et autres que la Belgique entretient avec des États étrangers et des institutions internationales ou supranationales.

3374° « le potentiel scientifique ou économique » : la sauvegarde des éléments essentiels du potentiel scientifique ou économique.

3385° « protéger des personnes » : assurer la protection de la vie et de l’intégrité physique des personnes suivantes désignées par le Ministre de l’Intérieur :

  • les chefs d’État étrangers ;
  • les chefs de gouvernement étrangers ;
  • les membres de la famille des chefs d’État et de gouvernement étrangers ;
  • les membres des gouvernements belges et étrangers ;
  • certaines personnalités qui font l’objet de menaces résultant d’activités définies à l’article 8,1°.

339Art. 11. § 2. Pour l’application du § 1er, on entend par :

  • 1° « activité qui menace ou pourrait menacer l’intégrité du territoire national » : toute manifestation de l’intention de, par des moyens de nature militaire, saisir, occuper ou agresser tout ou partie du territoire national, de l’espace aérien au-dessus de ce territoire ou de la mer territoriale, ou porter atteinte à la protection ou à la survie de la population, au patrimoine national ou au potentiel économique du pays ;
  • « activité qui menace ou pourrait menacer les plans de défense militaires » : toute manifestation de l’intention de prendre connaissance par voie illicite des plans relatifs à la défense militaire du territoire national, de l’espace aérien au-dessus de ce territoire ou de la mer territoriale et des intérêts vitaux de l’État, ou à la défense militaire commune dans le cadre d’une alliance ou d’une collaboration internationale ou supranationale ;
  • 3° « activité qui menace ou pourrait menacer l’accomplissement des missions des forces armées » : toute manifestation de l’intention de neutraliser, d’entraver, de saboter, de porter atteinte ou d’empêcher la mise en condition, la mobilisation et la mise en œuvre des Forces armées belges, des forces armées alliées ou des organismes de défense interalliés lors de missions, actions ou opérations dans le cadre national, dans le cadre d’une alliance ou d’une collaboration internationale ou supranationale ;
  • 4° « activité qui menace ou pourrait menacer la sécurité des ressortissants belges a l’étranger » : toute manifestation de l’intention de porter collectivement atteinte, par la dévastation, le massacre ou le pillage, à la vie ou à l’intégrité physique de ressortissants belges à l’étranger et des membres de leur famille.

Notes

  • [1]
    J. Godechot, Les institutions de la France sous la révolution et l’Empire, Paris, 1968, pp. 558-585 ; J. Savant, La vie fabuleuse et authentique de Vidocq, Paris, 1950.
  • [2]
    Comité permanent de contrôle des services de renseignement, Rapport 1995, p. 5.
  • [3]
    Pandectes belges, tome quatre, Administration de Sûreté publique, Rapport 1995, p. 5.
  • [4]
    Cf. annexe 1.
  • [5]
    Chambre, Ann. parl., 4 décembre 1884, pp. 153-170.
  • [6]
    Archives générales du royaume, Police des étrangers, direction générale, n°93.
  • [7]
    C. Carpenter, F. Moser, La Sûreté de l’État, Histoire d’une déstabilisation, Bruxelles, Quorum, 1993, pp. 16-17.
  • [8]
    L. Van Outrive, Y. Cartuyvels, P. Ponsaers, Les polices en Belgique, Histoire socio-politique du système policier de 1794 à nos jours, Bruxelles, Vie ouvrière, 1991, p. 46 ; L. Keunings, « Les grandes étapes de la police secrète en Belgique au XIXème siècle », Revue trimestrielle du Crédit communal, 43è année, 1989, n° 3, pp. 3-30.
  • [9]
    Comité permanent de contrôle de Service de renseignement, Rapport 1995, pp. 6-7.
  • [10]
    Ibidem, pp. 8-9 et 41-48.
  • [11]
    Comité permanent, Rapport 1995, pp. 154-157.
  • [12]
    Chambre, Doc parl., n° 59 (1989-1990), 30 avril 1990.
  • [13]
    Cf. L. Van Outrive, « La réforme des polices », Courier hebdomadaire, CRISP, n° 1580-1581, 1997, p. 8.
  • [14]
    Moniteur belge, 26 juillet 1991.
  • [15]
    La mission et les missions du Comité R sont étudiées pp. 64 et ss.
  • [16]
    Il faut mentionner ici le journaliste d’investigation Walter De Bock, spécialiste de l’enquête en matière de renseignement et le quotidien De Morgen qui a publié de nombreux articles de sa plume.
  • [17]
    Moniteur belge, 3 avril 1999.
  • [18]
    Comité permanent, Rapport 1995, pp. 36-61.
  • [19]
    Ibidem, pp. 40-48.
  • [20]
    Moniteur belge, 18 décembre 1998.
  • [21]
    L. Van Outrive et al., op. cit., pp. 45-46, 162-163, 169-170.
  • [22]
    L. Keunigs, op cit., pp. 30-31.
  • [23]
    C. Carpentier et F. Moser, op. cit., pp. 30-31.
  • [24]
    L. Van Outrive et al., op. cit., pp. 162-167.
  • [25]
    Ibidem, pp. 230-231.
  • [26]
    C. Carpentier et F. Moser, op. cit., pp. 175-177.
  • [27]
    C. Carpentier et F. Moser, op. cit., pp. 59-65.
  • [28]
    Humo, 17 octobre 1995, pp. 46-53.
  • [29]
    De Standaard, 8 mai 1989, p. 2.
  • [30]
    Comité permanent, Rapport 1995, pp. 6-8.
  • [31]
    Comité permanent, Rapport 1997, pp. 86-89.
  • [32]
    De Morgen, 24 avril et 31 juillet 1996, p. 4.
  • [33]
    Comité permanent, Rapport 1996, pp. 138-192. ; idem, Rapport 1997, pp. 165-173.
  • [34]
    L. Van Outrive et al., op. cit., p. 79.
  • [35]
    C. Carpentier et F. Moser, op. cit., pp. 75-76.
  • [36]
    Comité permanent, Rapport 1995, pp. 96-101.
  • [37]
    Sénat, Projet de loi organique des services de renseignement et de sécurité ; procédure d’évaluation, texte adopté par les commissions réunies de la Justice et des Affaires étrangères, Doc. parl., n°l-758/11 (1997-1998), 9 juillet 1998 ; Sénat, Rapport fait au nom des commissions réunies de la Justice et des Affaires étrangères par Mme Lizin, Doc. parl., n°l-758/10 (1997-1998). Aucune discussion fondamentale n’eut lieu à la Chambre ; c’est la raison pour laquelle le Sénat a usé de son droit d’évocation et a apporté d’importants changements au projet initial. Il fut assuré que la Chambre se contenterait de voter le projet tel que transmis par le Sénat.
  • [38]
    L. Caeymaex, « Attributions, missions et méthodes de la Sûreté de l’État », L’Officier de police, revue de la Fédération nationale des commissaires de police et commissaires de police adjoints, n°9, septembre 1964, pp. 30-41.
  • [39]
    Ministère de la Justice, Le citoyen et son Ministère de la Justice, Bruxelles, Institut belge d’information et de documentation, 1977, pp. 72-97.
  • [40]
    Comité permanent, Rapport 1994, p. 24.
  • [41]
    Comité permanent, Rapport 1994, p. 24-35.
  • [42]
    Idem, Rapport 1997, pp. 118-120.
  • [43]
    Sénat, Rapport fait au nom des commissions réunies de la Justice et des Affaires étrangères par Mme Lizin, Doc. parl., op.cit., pp. 54 et 56-58.
  • [44]
    Ibidem, pp. 34-35.
  • [45]
    Ibidem, pp. 23 et 53.
  • [46]
    Sénat, Doc. parl., n° 638/20 (1995-1996), pp. 42-47.
  • [47]
    Comité permanent, Rapport 1998, p. 71.
  • [48]
    Ibidem, p. 102.
  • [49]
    Ibidem, pp. 106-117.
  • [50]
    Ministère de la Justice, Le citoyen et son Ministère de la Justice, Bruxelles, Institut belge d’information et de documentation, 1977, pp. 72-87.
  • [51]
    Sénat, Doc. parl., n° 295/6 (1979-1980).
  • [52]
    SEVI, Het labyrinth, private milities en politiewezen doorgelicht, met het officieel rapport van de comissie Wijninckx, Bruxelles, SEVI-publicatie, 1982/1, p. 168.
  • [53]
    C. Carpentier et F. Moser, op. cit., pp. 165-166.
  • [54]
    Chambre des représentants, Doc. parl., n°59/8 (1988), p. 281.
  • [55]
    Ibidem, pp. 166-167.
  • [56]
    L. Van Outrive et al., op. cit., pp. 276-277.
  • [57]
    Comité permanent, Rapport 1995, p. 22.
  • [58]
    C. Carpentier, F. Moser, op. cit., pp. 50-51.
  • [59]
    Cf. Archives générales du royaume, Police des étrangers, d.g., n°93.
  • [60]
    C. Carpentier, F. Moser, op. cit., p. 27.
  • [61]
    C. Carpentier, F. Moser, op. cit., p. 36.
  • [62]
    L. Van Outrive et al., op. cit., pp. 112-113.
  • [63]
    Pour plus d’informations, cf. J. Gérard-Libois et J. Gotovitch, L’an 40, la Belgique occupée, CRISP, 1971, pp. 104-122.
  • [64]
    C. Carpentier, F. Moser, op. cit., pp. 39-40.
  • [65]
    Ibidem, p. 48.
  • [66]
    R. Van Doorslaer et E. Verhoeyen, L’assassinat de Julien Lahaut, une histoire de l’anticommunisme en Belgique, Anvers, EPO, 1987, p. 131.
  • [67]
    W. De Bock, J. Lippens, P. Goossens, De Morgen, 27 mai 1989, pp. 3-4.
  • [68]
    R. Van Doorslaer et E. Verhoeyen, op. cit., pp. 173-175.
  • [69]
    D. De Coninck, « Het Oostenrijkse stay-behind arsenaal ligt nu in Sint-Niklaas-Duizend bommen en granaten », De Morgen, 12 décembre 1998, p. 24. L’identité codée des membres de ce réseau serait conservée en secret à Washington et Londres. Le 26 novembre 1991, la Sûreté de l’État aurait tenu une réunion secrète pour décider de la destruction des archives du SDRA 8. Cet article nous apprend que les armes du réseau Gladio autrichien auraient été vendues à un marchand d’armes flamand. Mais ces informations seraient erronées.
  • [70]
    Comité permanent, Rapport 1997, p. 103.
  • [71]
    Le réseau militaire d’extrême droite ‘Gladio’ en Italie.
  • [72]
    Sénat, Doc. parl., n° 1117-4 (1990-1991), p. 17 ; Knack Magazine, 6 mai 1992.
  • [73]
    D. De Coninck, op. cit., p. 24.
  • [74]
    Comité permanent, Rapport 1997, pp. 102-103.
  • [75]
    Ibidem, pp. 102-103.
  • [76]
    M. Graindorge, L’Affrontement, Bruxelles, Vie ouvrière, 1981.
  • [77]
    Sénat, Ann. parl., 9 juillet 1981, pp. 1965-1978.
  • [78]
    De Morgen, 22 septembre 1997, p. 5.
  • [79]
    Sénat, Enquête parlementaire sur les problèmes posés par le maintien de l’ordre et les milices privées, Doc. parl., n° 295/6 (1979-1980), pp. 187 et 190.
  • [80]
    C. Carpentier et F. Moser, op. cit., pp. 126-129 ; R. Haquin, Operatie Staatsveiligheid - De Staatsveiligheid en de WNP, Antwerpen, EPO, 1984.
  • [81]
    Sénat, Ann. parl., 2 décembre 1983, pp. 312-315.
  • [82]
    C. Carpentier et F. Moser, op. cit., pp. 236-238.
  • [83]
    Novembre 1999.
  • [84]
    Idem, pp.134-135.
  • [85]
    De Standaard, 8-9 avril 1995, p. 10.
  • [86]
    De Morgen, 16 octobre 1995, p. 3.
  • [87]
    Comité permanent, Rapport 1995, p. 18.
  • [88]
    Humo Magazine, 17 octobre 1995, pp. 46-53.
  • [89]
    De Morgen, 20 décembre 1996.
  • [90]
    De Morgen et De Standaard, 2 décembre 1998.
  • [91]
    P. Wathelet, « Le Débat sur l’Avenir de l’OTAN », PAIX, Bulletin de liaison de rencontres pour la paix et de L’Union liégeoise pour la paix, n° 121, janvier 1999, p. 9.
  • [92]
    Cf. infra.
  • [93]
    C. Carpentier et F. Moser, op. cit., pp. 66-70.
  • [94]
    Ibidem, pp. 64-65.
  • [95]
    Comité permanent, Rapport 1994, pp. 40-41 ; Rapport 1996, pp. 204-216.
  • [96]
    Comité permanent, Rapport 1997, pp. 280-281.
  • [97]
    Ibidem, pp. 141-173.
  • [98]
    De Morgen et De Standaard, 8 mai 1989, p. 2.
  • [99]
    Sénat, Doc parl., n° 638/20 (1995-1996), pp. 42-47.
  • [100]
    Comité permanent, Rapport 1998, p. 132.
  • [101]
    Ibidem, p. 141.
  • [102]
    Ibidem, p. 150.
  • [103]
    Ibidem, pp. 149-151. Il s’agit des satellites très manœuvrables avec possibilité d’observation de nuit grâce à des moyens infrarouges, avec une transmission très rapide des informations et une précision accrue de ses images pour détecter des cibles d’intérêt tactique.
  • [104]
    Ibidem, pp. 151-153.
  • [105]
    Ibidem, pp. 153-157.
  • [106]
    Ibidem, pp. 153-157.
  • [107]
    Ibidem, pp. 167-168.
  • [108]
    « In time the two technical systems – one designed far national security and the other for law enforcement – will merge, and in the process finally eliminate national control over surveillance activities. », The Daily Telegraph, 10 juin 1999 ; N. Busch, « Interception capabilities 2000 : the abolition of privacy ?, Fortress Europe ? », Circular Letter, n° 58, juin 1999, pp. 10-14.
  • [109]
    Comité permanent, Rapport 1995, p. 170.
  • [110]
    Comité permanent, Rapport 1998, p. 129.
  • [111]
    Le Soir, 15 septembre 1994, p. 2.
  • [112]
    Comité permanent, Rapport 1996, p. 106. Le Comité R découvrit que les données centrales contenaient 570.000 dossiers personnels, 40.000 concernant les membres du personnel des ambassades et consulats des pays communistes ou ex-communistes, 3.780 microfilms, 40.000 cartes sur le contre-espionnage.
  • [113]
    De Morgen, 21 septembre 1998, p. 2.
  • [114]
    Comité permanent, Rapport 1996, pp. 118-119.
  • [115]
    P. Lacoste, directeur du Centre d’études scientifiques de la Défense (Université de Marne la Vallée), ancien responsable de la DGSE, « Justification et légitimité du secret d’État », Cahier n° 12 de la Fondation pour les études de défense, 1998.
  • [116]
    Comité permanent, Annexe au Rapport 1997, Les devoirs de secret auxquels sont tenus les membres des services de renseignement, p. l.
  • [117]
    C. Carpentier et F. Moser, op. cit., pp. 177-181.
  • [118]
    SEVI, Het labyrinth, private milities en politiewezen doorgelicht, met het officieel rapport van de commissie Wijninckx, Bruxelles, SEVI-publicatie, 1982/1, p. 12.
  • [119]
    De Standaard, 25 mars 1995, p. 24.
  • [120]
    SEVI, op. cit., p. 12.
  • [121]
    De Standaard, 18 octobre 1995, p. 12. En novembre 1999, la fonction est à nouveau vacante, B. Van Lijsebeth ayant été nommé avocat général au parquet d’Anvers.
  • [122]
    Comité permanent, Rapport 1997, pp. 275-276.
  • [123]
    Comité permanent, Annexe au Rapport 1997, op. cit.
  • [124]
    Ibidem, pp. 88-96, p. 89.
  • [125]
    Cf. infra.
  • [126]
    Chambre, Projet de loi relatif à la classification et aux habilitations de sécurité et projet de loi portant création d’un organe de recours en matière d’habilitations de sécurité, Doc. parl., n° 1193/10 (1996-1997) ; Comité permanent, Annexe au Rapport 1997, op. cit., pp. 48-107.
  • [127]
    Moniteur belge 7 mai 1999.
  • [128]
    Sénat, Doc. parl., n° 638/20 (1995-1996), pp. 42-47.
  • [129]
    Comité permanent, Annexe au Rapport de 1997, op. cit., pp. 95-96.
  • [130]
    Y. Poulet et B. Havelange, « Secrets d’État et Vie privée : ou comment concilier l’inconciliable ? », dans Comité permanent de contrôle des services de renseignement et l’Institut royal supérieur de défense, Secret d’état ou Transparence ?, Colloque, 20 janvier 1999, p. 68.
  • [131]
    Cette loi oblige les opérateurs des réseaux et services de télécommunication de communiquer des données sur demande du procureur du Roi.
  • [132]
    Comité permanent, Rapport 1996, pp. 29-30.
  • [133]
    Comité permanent, Rapport 1994, p. 42.
  • [134]
    Comité permanent, Rapport 1996, p. 38.
  • [135]
    Y. Poulet et B. Havelange, op. cit., p. 84.
  • [136]
    Comité permanent, Rapport 1996, pp. 44-48.
  • [137]
    Ceci selon un témoin privilégié… mais à mon avis contraire aux dispositions légales.
  • [138]
    Y. Poulet et B. Havelange, op. cit., pp. 73-77.
  • [139]
    Ibidem, pp. 81-88.
  • [140]
    Ibidem, p. 90.
  • [141]
    Y. Poulet et B. Havelange, op. cit., pp. 88-97.
  • [142]
    A. Krywin et Ch. Marchand, « Le secret d’État et les droits de l’Homme », dans Comité permanent de contrôle des services de renseignement et l’Institut royal supérieur de défense, Secret d’État ou Transparence ?, op. cit., p. 55.
  • [143]
    Ibidem, p. 61.
  • [144]
    Comité permanent, rapport 1995, pp. 134-137
  • [145]
    Chambre, Doc. parl., n° 1193/9 (1996-1997), pp. 33-34.
  • [146]
    Comité permanent, Rapport 1996, pp. 55-56.
  • [147]
    Chambre, Doc parl., n° 1193/9 (1996-1997), pp. 33-34.
  • [148]
    Archives générales du royaume, Police des étrangers, direction générale, n°156.
  • [149]
    L. Van Outrive et al., op. cit., pp. 44-45 ; C. Carpentier, F. Moser, op. cit., pp. 19-29.
  • [150]
    L. Van Outrive et al., op. cit., pp. 153-154, 164-166.
  • [151]
    C. Carpentier et F. Moser, op. cit., p. 170.
  • [152]
    Comité permanent, Rapport 1994, pp. 36-39.
  • [153]
    Comité permanent, Rapport 1997, pp. 234-238.
  • [154]
    Idem, Rapport 1995, pp. 148-149.
  • [155]
    Sénat, Doc. parl., n° 638/20 (1995-1996), pp. 42-47.
  • [156]
    Comité permanent, Rapport 1997, pp. 277-279.
  • [157]
    C. Carpentier et F. Moser, op. cit., pp. 176-177.
  • [158]
    De Morgen, 22 mars 1995, p. 24 (entretien avec le chef de la Sûreté de l’État).
  • [159]
    Comité permanent, Rapport 1995, p. 151.
  • [160]
    Comité permanent, Rapport 1995, pp. 151-155. Les données concernant l’évolution des relations depuis le Traité d’Amsterdam de 1997 ont été adaptées par l’auteur.
  • [161]
    Chambre, Rapport de la commission d’enquête parlementaire sur la manière dont la lutte contre le banditisme et le terrorisme est organisée, Doc. parl., n°59/8 (1989-1990), 30 avril 1990, pp. 157-159.
  • [162]
    D. Bigo, Police en réseauxl’expérience européenne, Paris, Presse des Sciences politiques, 1996, pp. 101-105, 303-336.
  • [163]
    Sénat, Doc. parl., n° 638/20 (1995-1996), pp. 42-47.
  • [164]
    Comité permanent, Rapport 1997, pp. 239-240.
  • [165]
    Archives générales du royaume, papiers Rogier, n° 461.
  • [166]
    C. Carpentier et F. Moser, op. cit., p. 27.
  • [167]
    L. Van Outrive et al., op. cit., pp. 14-15, 75-76, 111, 308-309.
  • [168]
    Ibidem, pp. 169-170, 235, 241.
  • [169]
    C. Carpentier et F. Moser, op. cit., p. 161.
  • [170]
    C. Carpentier et F. Moser, op. cit., pp. 160-163.
  • [171]
    Sénat, Doc. parl., n° 638/20 (1995-1996), pp. 42-47.
  • [172]
    Ibidem, pp. 25-26, 33.
  • [173]
    Moniteur belge, 26 juillet 1991.
  • [174]
    Les rapports annuels du Comité R sont publics, mais non les rapports d’enquêtes.
  • [175]
    Comité permanent, rapport 1994, pp. 2-11.
  • [176]
    Sénat, Proposition de loi modifiant la loi du 18 juillet 1991 organique du contrôle des services de police et de renseignement, Doc. parl., n°l-1268/1 (1998-1999), pp. 1-13.
  • [177]
    Moniteur belge, 3 avril 1999.
  • [178]
    Comité permanent, Rapport 1994 à 1998.
  • [179]
    Idem, Rapport 1998, p. 260.
  • [180]
    Idem, rapport 1994, pp. 51-53.
  • [181]
    Kodewes, Dossier Ruanda, Bruxelles, 1998 ; L. Polman, « Ophouden met de VN voor alles de schuld geven », De Morgen, 11 décembre 1998, p. 48.
  • [182]
    Comité permanent, rapport 1996, pp. 126-131. Non pas les résultats de l’enquête, mais bien la façon d’enquêter par deux membres du Comité R fut contestée par trois autres membres du Comité R ; Ibidem, pp. 132-135.
  • [183]
    De Morgen, 9 octobre 1995, p. 5.
  • [184]
    Idem, 27 octobre 1995, p. 1.
  • [185]
    Comité permanent, Rapport 1997, pp. 98-100.
  • [186]
    Ibidem, pp. 93-94.
  • [187]
    Ibidem, p. 107.
  • [188]
    Ibidem, pp. 108-114.
  • [189]
    Ibidem, pp. 130-132.
  • [190]
    Comité permanent, Rapport 1996, pp. 95-96.
  • [191]
    Cf. Rapport publié le 28 avril 1997, Chambre, Doc. parl., n° 317/7 et 8 (1996-1997).
  • [192]
    Idem, Rapport 1995, pp. 103-106.
  • [193]
    Idem, Rapport 1996, pp. 64-65.
  • [194]
    Idem, Rapport 1997, pp. 202-203.
  • [195]
    Idem, Rapport 1997, pp. 156-164.
  • [196]
    Idem, Rapport 1995, pp. 134-137 ; Idem, Rapport 1996, pp. 55-56.
  • [197]
    Idem, Rapport 1996, pp. 82-85.
  • [198]
    Idem, Rapport 1996, pp. 116-119 ; Idem, rapport 1995, pp. 138-139.
  • [199]
    De Morgen, 27 et 29 mars et 10 août 1996.
  • [200]
    Comité permanent, rapport 1997, pp. 224-227.
  • [201]
    Ibidem, pp. 226-227.
  • [202]
    Ibidem, p. 182.
  • [203]
    Idem, rapport 1995, pp. 140-141.
  • [204]
    Idem, Rapport 1996, pp. 20-25.
  • [205]
    Idem, Rapport 1997, p. 79.
  • [206]
    Idem, Rapport 1998, pp. 178-183.
  • [207]
    Idem, Rapport 1996, pp. 138-194 ; Idem, Rapport 1997, pp. 165-175.
  • [208]
    De Morgen, 22 juin 1998 ; De Standaard, 23 juin 1998.
  • [209]
    Comité permanent, Rapport 1998, pp. 67-68.
  • [210]
    Ibidem, pp. 199-200.
  • [211]
    Ibidem, pp. 208-210.
  • [212]
    C. Carpentier et F. Moser, op. cit., pp. 203-205.
  • [213]
    F. Moser, De Morgen, 15 avril 1999. L’auteur se réfère au nouveau livre de G. Dasquié, Secrètes Affaires, les services secrets infiltrent les entreprises, Paris, Flammarion, mars 1999.
  • [214]
    C. Ceustermans, De Morgen, 14 décembre 1998, p. 1.
  • [215]
    Cf. annexe 4.
  • [216]
    P. de Hert, « Raad van State en Veiligheidsdiensten », De Juristenkrant, septembre 1999, p. 3.
  1. Introduction
  2. L’origine des services de renseignement
  3. L’adoption tardive de la base légale des services de renseignement
  4. Une organisation toujours changeante
    1. De multiples réorganisations
    2. Une taille toujours assez réduite
    3. Un budget jamais publié
  5. L’évolution de la doctrine et des missions
    1. Une lente explicitation des missions
    2. La doctrine et les missions selon la loi organique
    3. Le monopole des deux services de renseignement
    4. Le renforcement de la protection des personnes
    5. La protection du potentiel scientifique et économique
    6. Les compétences en ce qui concerne la législation en matière d’armes
    7. Deux notions-clés : la subversion et le terrorisme
  6. Les cibles des services de renseignement
    1. La protection du nouvel État et du pouvoir bourgeois
    2. La lutte contre le communisme et l’extrémisme flamand
    3. Après la Seconde guerre mondiale
    4. La lutte contre les extrémismes et la criminalité organisée
  7. Les méthodes spéciales
    1. Le problème de la transparence et la légalisation des méthodes
    2. Des méthodes en pleine évolution
    3. Le problème récurrent des dossiers et des archives
  8. Le secret d’État et les droits de l’homme
    1. Le maintien de la priorité du secret
    2. La classification des secrets d’État
    3. Le secret de l’État et le droit à la vie privée
    4. Le secret d’État et le droit de la défense
    5. L’octroi des habilitations de sécurité et la protection des droits
  9. Des relations externes difficiles
    1. Les mauvaises relations avec les forces de police
    2. Les efforts pour améliorer les relations
    3. Des relations internationales peu transparentes
  10. Les structures de contrôle
    1. La période de grande autonomie
    2. Une initiative remarquable de contrôle et de responsabilisation
    3. Les services de renseignement pris pour cible
  11. Conclusion
Lode Van Outrive
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L’année 1998 fut une année historique pour les services de renseignement et de sécurité belges. Après presque un siècle et demi d’existence de fait, les deux services, le civil et le militaire, reçurent une reconnaissance légale. Pendant la même année, plusieurs autres lois ayant une influence directe ou indirecte sur le fonctionnement de ces services furent votées. Cependant, dès 1991 avait été installé le Comité de contrôle permanent des services de renseignements (Comité R), qui a publié des rapports sur les pratiques existantes, a largement contribué à faire connaître la problématique et a aidé le législateur à légiférer. Après avoir donné un aperçu historique, nous allons examiner le processus de reconnaissance légale ainsi que l’évolution de l’organisation, de la doctrine, des missions, des méthodes de fonctionnement des services de renseignement. Nous aborderons également les problèmes du respect des droits de l’homme, des relations externes et du contrôle sur les services. Par ailleurs, les services de renseignement ont des cibles qui évoluent dans le temps, mais, surtout pendant les dernières années, ils sont eux-mêmes devenus une cible, faisant l’objet d’un contrôle intensifié. On citera parmi les sources privilégiées de cette étude, outre les rapports du Comité R, les rapports des commissions d’enquête parlementaire qui se sont penchées notamment sur les relations entre les services de police et les services de renseignement.
Mis en ligne sur Cairn.info le 31/05/2014
https://doi.org/10.3917/cris.1660.0001
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