CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1Dans le but d’apporter une contribution à l’analyse différenciée du rapport des classes supérieures et moyennes-supérieures à la mixité sociale, et aux dynamiques d’auto-ségrégation résidentielle qui caractérisent les espaces urbains où ces catégories se concentrent, et parfois s’isolent, la recherche sur les deux quartiers de San Felice et Milano 2 – à l’origine de cet article [1] – a été réalisée pour quatre raisons principales.

2Il s’agissait tout d’abord d’analyser une pièce de la mosaïque socio-spatiale milanaise qui, à l’instar de la plupart des autres types d’espaces les plus sélectifs socialement, n’a jusqu’ici pas été étudiée. En effet, comme le montre la description fine de la division sociale de l’espace de la métropole lombarde (Cousin et Préteceille, 2008), les zones urbaines du type bc auxquelles correspondent l’ensemble de San Felice et une grande partie de Milano 2 [2] – et qui se distinguent par une prédominance des cadres au sein de la population résidente – n’ont jamais fait l’objet de monographies sociologiques ou d’enquêtes tenant compte de leur spécificité.

3Situés à Segrate, l’une des rares communes de la banlieue milanaise où se sont développés des espaces supérieurs éloignés du prestigieux centre historique, San Felice [3] et Milano 2 sont par ailleurs caractérisés par une population composée majoritairement de professions du secteur privé dont les choix résidentiels et les représentations de l’espace urbain – notamment leur refus explicite de la mixité sociale – ne peuvent être décrits par les catégories analytiques classiques de préservation ou renforcement d’un entre-soi bourgeois traditionnel (Pinçon et Pinçon-Charlot, 1992), de gentrification progressive (Glass, 1964 ; Bidou-Zachariasen, 2003, 2008 ; Brown-Saracino, 2010) et de sécession péri-urbaine (Jaillet, 1999 ; Donzelot, 2009). Il s’agit d’ensembles de haut standing, constitués de plusieurs centaines de logements en immeubles collectifs, surgis durant les années 1970 et 1980 à proximité du nouveau centre d’affaires milanais – et donc précurseurs d’une forme d’urbanisation et d’un rapport à la ville qui se développeront ensuite dans d’autres capitales économiques, notamment autour de Canary Wharf (Butler, 2007) et de La Défense (Cousin, 2008). Issus de vastes opérations immobilières d’arasement, reconstruction, repeuplement et fermeture, ces quartiers ont effacé et réinventé la mémoire des lieux antérieurs selon un processus original – non réductible à d’autres évolutions urbaines, caractéristique de la désindustrialisation des proches banlieues européennes –, et mis en place un mode de vie particulier, qualifiés ici de refondation. D’un point de vue taxinomique, nous souhaitons en effet éviter l’usage extensif – et dès lors peu dénotatif – du terme « gentrification » pour désigner toutes les formes de social upgrading (élitisation) d’un quartier. Toutefois, ainsi définie, la refondation relève de ce que certains auteurs préfèrent appeller « new-build gentrification » (Davidson et Lees, 2005, 2010), ou du moins s’y apparente fortement (si l’on opère une distinction, plus ou moins nette, entre réinvention néo-traditionaliste « inauthentique » et sublimation d’éléments symboliques choisis de la mémoire locale).

4Enfin, si les dynamiques de refondation peuvent également être étudiées sous l’angle de la production capitaliste (et politique) de la ville ou du rapport culturel et esthétique des habitants à l’environnement local, l’objectif du présent article – au delà d’une comparaison ponctuelle avec le cas français – est surtout d’analyser la façon dont le mode d’insularité urbaine propre aux quartiers refondés s’est décliné à Milan. Il procède ainsi d’abord par une description détaillée de la configuration de ces espaces, analyse ensuite le rôle central de l’agrégation affinitaire dans l’établissement et le maintien d’un entre-soi local particulier, pour enfin se pencher sur les effets de celui-ci quant aux représentations que les habitants – qui sont en grande partie des classes supérieures de promotion, ayant connu une mobilité sociale ascendante – ont d’eux-mêmes.

5Ce faisant, l’étude de la sociabilité locale très intégrée des résidents de M2 et SF, qui diffère fortement de ce que l’on observe pour les cadres milanais vivant dans la commune centrale de la métropole, circonscrit la portée des premières recherches réalisées sur ces derniers (Andreotti et Le Galès, 2007, 2008). Elle montre aussi que les comportements individuels d’exit partiel qui caractérisent le rapport à la ville d’une partie des classes supérieures milanaises (Andreotti et Le Galès, 2011) ne sauraient dans certains cas être envisagés indépendamment d’un repli collectif dans des quartiers plus homogènes, isolés et autonomes [4].

Les quartiers refondés de Milan : des gated communities à l’italienne ?

6Malgré des tons rouge-brique évoquant les édifices milanais de la période romane et de la Renaissance, le complexe résidentiel de Milano 2, avec ses postes de vigiles aux entrées principales, ses loges où veille un gardien-concierge au bas de chaque immeuble d’habitation, ses gardes assermentés et armés patrouillant les abords des bureaux, est ce qui – jusqu’à récemment – se rapprochait le plus en Lombardie des gated communities étasuniennes [5] (Blakely et Snyder, 1997) ou des condominiums fermés avec espaces de loisirs et services intégrés caractéristiques des grandes villes asiatiques post-industrielles ou latino-américaines. La conciergerie centrale, l’église locale, le centre civique municipal, la bibliothèque, l’amicale des retraités, les espaces de jeu pour enfants, les nombreux équipements sportifs et leur club house : tout est présent à l’intérieur du quartier et réservé de fait aux résidents. M2 possède par ailleurs ses propres écoles maternelles, élémentaire et son collège, également fréquenté par de nombreux enfants de l’autre quartier fermé de Segrate : Milano San Felice [6]. Tandis que ce dernier est doté depuis plus de vingt-cinq ans d’un lycée scientifique (public) : fort prisé par les familles de Milano 2, il a permis à bon nombre des jeunes des deux ensembles de faire toute leur scolarité secondaire entre eux. D’autant plus que ceux qui optent pour le lycée classique ont la possibilité d’être scolarisés dans l’établissement dépendant du centre hospitalier et universitaire San Raffaele, prestigieuse institution de santé, catholique, dont la contiguïté avec M2 constitue par ailleurs un atout de premier ordre aux yeux d’une population locale vieillissante.

7Néanmoins, à Milano 2, plutôt que les gated communities, la principale ressemblance qui vient à l’esprit, de l’observateur comme des habitants des lieux, est celle avec les villages de vacances (Réau, 2005) dont les touristes italiens sont si friands. Le système de chemins et de ponts piétonniers surplombant la route, comme les noms des vingt-huit barres d’immeubles rappelant vaguement l’histoire locale (Fontanile, Mestieri), évoquant un imaginaire bucolique ou renvoyant à un universel cosmo-mythologique (Idra, Acquario, Andromeda, etc.), se rapprochent de l’urbanistique et de la taxinomie des « villages » Club Med construits à la même époque ; d’où le sentiment d’être parfois chez soi en villégiature, évoqué par de nombreux interviewés :

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« Cet été, quand on avait 35° C à l’ombre, je me baladais tranquillement dans le quartier en sandales, maillot de bain et paréo. Mais pas de façon indécente, attention ! C’était un petit ensemble très décent, élégant même. Mais j’avais vraiment l’impression d’être en vacances : comme dans un village du Club Méditerranée. » (Lucia, femme au foyer mariée à un chef d’entreprise, 60 ans, habitant M2 depuis 2005.)

9Avec ses 6 200 habitants [7] répartis sur 71 hectares – dont 85 % d’espaces verts et d’équipements de loisirs – Milano 2 a une toute autre échelle et les visiteurs se perdent souvent parmi ses bâtiments identiques entre eux. Mais, dès la fin du printemps, l’air y est égayé par les plongeons dans la grande piscine, les matchs de football sur le terrain gazonné, et le claquement des balles sur les quinze courts de tennis que compte le complexe résidentiel.

10Les cubes de verre des quelques immeubles de bureaux au milieu du quartier hébergent les seuls autres usagers qui, durant la journée et en semaine, partagent une partie des espaces publics locaux avec les résidents : des cadres et autres salariés du tertiaire avancé, qui regrettent parfois de ne pouvoir habiter le quartier. À 5 000 €/m2, c’est-à-dire le double du prix de l’immobilier dans les zones voisines, Milano 2 est aujourd’hui difficilement abordable pour un jeune ménage des professions supérieures salariées qui voudrait s’y établir, même avec une aide financière parentale (comme c’est souvent le cas en Italie) ; d’autant plus que, malgré la variété des surfaces proposées, allant du studio à plus de six pièces habitables, la majorité des appartements du complexe résidentiel font environ 150 m2, et souvent bien davantage dans les tours de luxe que sont les garden houses[8]. Avec le quartier pavillonnaire du Villaggio Ambrosiano et la partie de San Felice [9] située à Segrate, Milano 2 fait ainsi de celle-ci la 7e commune italienne en termes de revenu moyen (déclaré) par habitant ; ce qui est d’autant plus significatif que le territoire segratais est très fractionné et contient également plusieurs espaces moyens-mélangés et quelques espaces populaires (Tableau 1).

Tableau 1

Les premières douze communes italiennes en termes de revenu moyen par habitant (2002)

Tableau 1
Classement national Revenu moyen Commune Province Population en 2001 Caractéristiques explicatives du classement 1er 25 721 € Basiglio Milan 8 336 Le quartier de refondation de Milano 3, bâti dans les années 1980, compte pour 70-80 % de la population de la commune. 2e 23 825 € Besate Milan 1 729 Cette commune encore partiellement rurale située à l’extrémité sud de la métropole milanaise (à 25 km du centre) connaît un phénomène récent de gentrification (passant par la réhabilitation du village et des cascine). 3e 23 537 € Portofino Gênes 529 Prestigieuse localité de villégiature maritime. 4e 23 054 € Campione d’Italia Côme 2 267 Enclave italienne en territoire tessinois, et dont de nombreux résidents travaillent à Lugano (3e place financière helvétique). 5e 22 747 € Saracinesco Rome 178 La population étant très peu nombreuse, il suffit de quelques résidents particulièrement aisés pour accroître le revenu moyen de cette commune (classée précédemment 505e). 6e 22 366 € Pino Torinese Turin 8 234 Ancienne localité de villégiature dans les collines au sud-est de Turin (à 7 km), qui s’est transformée en espace résidentiel péri-urbain habité par les classes supérieures de la ville. 7e 21 658 € Segrate Milan 33 199 Les quartiers de refondation de San Felice et Milano 2, ainsi que le quartier pavillonnaire du Villaggio Ambrosiano représentent 37 % (en 2006) de la population de la commune. 8e 21 653 € Cusago Milan 3 046 Le quartier de refondation Milano Visconti, bâti dans les années 1990, compte pour plus de 30 % de la population de la commune. 9e 21 495 € Pecetto Torinese Turin 3 690 Voir la commune adjacente de Pino Torinese… 10e 20 627 € Arese Milan 18 771 Commune pavillonnaire de la première couronne de Milan (nord-ouest), urbanisée durant les années 1970 autour du village historique et composée (en 1991) presque exclusivement d’espaces moyens-supérieurs. 11e 20 488 € Galliate Lombardo Varèse 844 Petite commune à 9 km de Varèse, à la fois sur les bords du lac et entre plusieurs districts industriels parmi les plus prospères du pays. 12e 20 457 € Milan Milan 1 256 211 Capitale économique du pays, concentration dans la commune centrale de la majorité des espaces supérieurs et moyens-supérieurs de la métropolemilanaise.

Les premières douze communes italiennes en termes de revenu moyen par habitant (2002)

(classement réalisé à partir de l’assiette moyenne imposable par l’irpef/impôt sur le revenu des personnes physiques)
(Source : données fiscales 2002 actualisées à l’aide de l’indice foi 2005 de l’istat, élaboration du Centro Studi Sintesi de Mestre)

11S’il est isolé et si l’accès en est surveillé, le complexe résidentiel n’est toutefois ni privatif ni hermétiquement clos. Comme l’attestent les gonds massifs que l’on voit aujourd’hui encore aux entrées principales, Edilnord vendit les premiers appartements avec la promesse d’un quartier fermé. Mais celle-ci dut être sacrifiée avec une autre, faite en parallèle, de réserver une fraction du nouveau parc immobilier à des logements sociaux. Lorsqu’au milieu des années 1970 la municipalité de Segrate – alors sous tutelle préfectorale suite à des affaires de corruption – se rendit compte que le promoteur-constructeur ne comptait aucunement honorer cet engagement, elle exigea la restitution des routes intérieures, voies publiques par lesquelles transitent aujourd’hui de nombreux habitants de la commune lorsqu’ils se rendent à Milan, ainsi que les promeneurs du weekend qui viennent profiter du vert et de la quiétude des lieux. La configuration du quartier est donc issue d’une décision de renoncer à sa fermeture totale pour préserver au mieux l’homogénéité sociale des résidents. Un choix qui fut ensuite ratifié par les copropriétaires eux-mêmes qui, touchés par les accusations de la presse et d’une partie de l’opinion publique de l’époque de vouloir vivre dans un « ghetto de riches », choisirent à la majorité de ne pas entreprendre de bataille juridique pour la fermeture totale du quartier (Figure 1).

Figure 1

Une barre de la résidence Trefili, à Milano 2

Figure 1

Une barre de la résidence Trefili, à Milano 2

(Source : Cousin, juillet 2007)

12C’est l’une des principales différences avec San Felice, à trois kilomètres de là. Malgré cette courte distance, lorsqu’on est dépourvu d’automobile, il faut plus de quarante minutes pour s’y rendre à bord d’une navette municipale portant l’étrange nom officiel de « Charon » (Caronte), le nocher des Enfers, comme s’il s’agissait de pointer le caractère autrement infranchissable des voies rapides séparant entre elles les différentes fractions de Segrate et isolant San Felice. Une seule entrée, en bordure de la route nationale, permet d’accéder à ce quartier cloisonné d’environ 4 500 habitants [10] : présidé par un corps de garde moderne, bâtiment panoptique permettant une surveillance à 360°, l’accès en est contrôlé par des caméras, des ralentisseurs au sol, et des barrières qui sont abaissées durant la nuit et le week-end. Comme l’indiquent clairement plusieurs panneaux, on entre là dans une propriété privée. Alors qu’à Milano 2, les vigiles locaux sont discrets et amicaux avec les visiteurs et les résidents, qui ont d’ailleurs adopté pour les désigner l’appellation enfantine de « Verdoni » (Gros Verts) [11] et s’adressent à eux par leurs prénoms, San Felice est constamment et ostensiblement patrouillé par les voitures de la société de sécurité privée Europol Guardie, dont les hommes quadrillent aussi les rues à pied ou à bicyclette.

13Par ailleurs, à San Felice, la différenciation socio-spatiale interne au quartier est plus marquée qu’à M2. Proches de l’entrée et adjacentes à la zone commerciale située dans le complexe, quatorze « tours » (torri) de neuf étages avec quatre appartements par étage [12], sont disposées en cercle le long de la Strada Anulare : elles entourent ainsi un vaste tertre herbeux recouvrant le parking collectif et, derrière cette colline artificielle, l’église locale. De là se déploient plusieurs rues curvilignes bordées d’immeubles collectifs plus petits (case a schiera) et de meilleur standing que les précédents, à l’arrière desquels s’étendent de grands parcs que les résidents ont rebaptisé golfi. Enfin, à l’extrémité du complexe la plus éloignée de l’entrée, où les bruits de circulation automobile se font inaudibles et à proximité du Malaspina Sporting Club, un côté des ruelles voit se succéder des villas jumelles constituant les logements les plus luxueux. À San Felice l’organisation hiérarchisée des différents types d’habitation facilite ainsi le (dé)marquage statutaire, alors qu’à Milan 2 la plus grande homogénéité de l’habitat incite davantage les résidents à se concevoir comme une agrégation d’égaux, partageant un même niveau social élevé.

Figure 2

Le case a chiera de la VIIa Strada de San Felice

Figure 2

Le case a chiera de la VIIa Strada de San Felice

(Source : Cousin, juillet 2007)

14Mais, au-delà de leurs particularités respectives et d’une architecture défensive de marquage liminal qui les rapproche des gated communities, San Felice et Milano 2 illustrent surtout notre définition critérielle des quartiers refondés. Comme les autres cas européens ayant permis d’élaborer cet idéal-type, il s’agit d’anciens espaces populaires et industriels désormais à proximité d’un nouveau centre d’affaires, essentiellement résidentiels, constitués d’un nouveau bâti très homogène d’immeubles collectifs, et majoritairement peuplés de catégories socioprofessionnelles supérieures et moyennes-supérieures à capital économique prédominant [13]. De plus, pour le dire notamment dans les termes de Richard Sennett (1992 [1990]), ces espaces neutres et standardisés, dont la mémoire des lieux antérieure à la reconstruction a été effacée, sont choisis par des habitants refusant d’être exposés à l’altérité sociale (entre autre parce qu’ils y voient une source d’interactions qui seraient pour eux des coûts purs), appréciant un voisinage qu’ils perçoivent comme une communauté concurrentielle de destinée (dont les membres partagent non seulement un même niveau social, mais aussi des aspirations en termes de mobilité ascendante), et réfractaires aux situations d’hybridité qui permettent de se défaire d’une assignation (ou auto-assignation) identitaire univoque. Les quartiers refondés sont aussi des espaces linéaires, dont la forme suit précisément la fonction prévue, établie antérieurement et dès lors imposée. Ils n’autorisent pas ce que Sennett qualifie de rapport narratif à la ville : cette attitude qui consiste à se réapproprier les espaces en leur inventant de nouveaux usages (et de nouveaux usagers). Ils sont censés ne rien offrir d’inattendu à ceux qui les habitent, car tout y est préalablement planifié selon les attentes de ces derniers. Ce faisant, ils participent d’un type de clarté particulière, celle des paysages urbains immédiatement lisibles (Lynch, 1960) : ces lieux qui n’expriment qu’une identité fixe et hégémonique relative au groupe ethnique, à la classe sociale qui l’habite et/ou à l’usage qu’on doit en faire. S’opposant ainsi à la forme urbanistique de l’agora (Sennett, 1994), les espaces refondés expriment une tendance de leurs habitants non seulement au désir de sécurité mais également à la sécurité du désir, qui se veut encadré et invariable, arrêté (Bégout, 2002).

15On s’attache dans la partie qui suit à montrer comment ce modèle se décline dans les pratiques, les représentations, les constructions de sens et les registres justificatifs des résidents de San Felice et Milano 2, dessinant des spécificités italiennes de l’articulation entre la hiérarchie sociale et son inscription territoriale.

Production et représentations de l’entre-soi

Segrate ou le choix du large : un séparatisme urbain délibéré

16La concentration historique de la plus grande partie des ménages milanais de catégorie supérieure ou moyenne-supérieure au sein de la commune centrale de la métropole fait que les quartiers refondés ont attiré une population – nécessairement pourvue du pouvoir d’achat pour se loger sur place – qui en était issue très majoritairement. La recherche d’un cadre « adapté à la vie de famille » et le souci de néanmoins minimiser la mobilité vers les lieux de travail et de services ressortent parmi les motivations des interviewés [14]. Contrairement à leurs homologues franciliens et londoniens, les habitants des quartiers de refondation de Segrate racontent avant tout un départ délibéré en proche banlieue, à la recherche d’une qualité de vie que les quartiers centraux n’étaient pas (ou plus) à même de leur offrir ou – mais plus rarement – le choix d’un quartier standardisé et proche du nouveau lieu de travail du père, de la part de familles arrivant en Lombardie sans connaissance fine de la métropole milanaise.

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« Ce qui était [dans les années 1970], ce qui est toujours particulier à Milano 2, c’est que venaient s’y établir de nombreuses familles qui ne venaient pas de Milan… mais de toute l’Italie, et même parfois de l’étranger, vu qu’il y a Segrate à proximité, avec tous les sièges sociaux de grandes entreprises. C’était le cas de mon père, qui était un dirigeant d’ibm, mais aussi des pères d’une bonne partie de mes copains. »
(Giovanni, médecin libéral, 41 ans, habitant M2 depuis 1978.)

18Emménager à San Felice ou à Milano 2 permettait d’éviter les rythmes du centre-ville – au début des années 1970 la commune de Milan atteint son record historique en termes de densité démographique, suscitant parfois un sentiment de saturation – mais aussi les « événements » de l’époque. En effet, la période durant laquelle furent peuplés les deux quartiers refondés (1969-1982) correspond quasi exactement aux Années de Plomb, porteuses d’un sentiment d’insécurité physique parmi les classes supérieures milanaises. Dans les entretiens, la ville d’alors est souvent décrite comme dangereuse : les manifestations de rue pouvaient dégénérer jusqu’à devenir meurtrières, les attentats poussaient à éviter les lieux publics, et la crainte des enlèvements politiques et des kidnappings crapuleux s’était diffusée parmi les classes supérieures économiques. Alors que plusieurs familles de la grande bourgeoisie envoyaient leurs enfants dans des internats à l’étranger ou partaient vers le Tessin voisin, les quartiers de refondation apparurent à de nombreux ménages aisés comme une stratégie de sécurisation qui leur était accessible. Leur configuration les coupait des violences urbaines et les faisait apparaître moins vulnérables qu’une maison individuelle face à une éventuelle tentative de rapt.

19La perspective d’un mode de vie alternatif, comportant la jouissance de vastes espaces verts privatifs et d’infrastructures sportives, revient aussi parmi les raisons du choix de SF et M2. Ces conditions sont unanimement évoquées dans les entretiens comme la promesse tenue d’une prime jeunesse épanouissante pour les enfants ; mais une fraction importante des habitants arrivés à Segrate à l’âge adulte – au-delà des nombreux sportifs professionnels que l’on compte parmi eux – raconte aussi leur propre jeunesse comme marquée par une intense activité physique, que ce choix résidentiel leur a permis de poursuivre en famille.

20Enfin, si les premiers résidents s’établirent souvent loin de leurs parents, contraints par des mutations professionnelles nationales ou internationales, ou poussés par le désir d’indépendance vers un quartier dont les services intégrés étaient conçus pour rendre autonome la famille nucléaire, la dernière décennie a vu Milano 2 et San Felice s’aligner sur le localisme intergénérationnel caractéristique de l’Italie, à la faveur de la multiplication des jeunes couples bi-actifs et de l’accès privilégié des résidents à l’information sur l’offre immobilière locale. Parmi les interviewés, presque tous ceux avec de jeunes enfants étaient des couples dont l’un des conjoints au moins avait grandi dans le quartier et qui – contraints par des services pour la petite enfance désormais mal ajustés et des journées scolaires se terminant vers 14 h 00, et malgré le recours massif au personnel de maison – s’y étaient installés pour être proches des grands-parents et souvent avec l’aide financière de ces derniers.

Un nouveau « style de vie »

21Aujourd’hui comme dans les années 1970, le choix d’habiter les quartiers refondés de Segrate paraît singulier à la plupart des Milanais des classes supérieures qui pourraient se le permettre : non seulement parce qu’il s’agit d’espaces semi-périphériques, dénués de mémoire historique, et coupés du tissu urbain dans lequel ils sont enclavés ; mais aussi parce qu’ils constituent une tentative atypique d’ingénierie sociale et de construction communautaire pour importer à Milan un mode de vie très intégré localement. Tous nos interviewés définissent de fait leur ensemble résidentiel en affirmant y vivre comme dans « un village » (paese, plus rarement villaggio ou borgo) : « une communauté » avec un très fort niveau d’interconnaissance qui s’est construite – pour une grande partie des habitants – en plus de trente ans de voisinage.

22À Milano 2 (comme à San Felice), le Sporting Club est systématiquement cité comme le premier lieu de renforcement du lien social entre les résidents. Durant la première décennie du quartier, le promoteur, alors propriétaire du club, offrait une année d’abonnement gratuit à toute nouvelle famille qui emménageait ; ainsi, même si elle ne s’y inscrivait finalement pas, cette période permettait une insertion initiale dans la vie locale et ses réseaux. Une fois le quartier terminé, le club s’est transformé en société par actions, qui ont été vendues aux membres. Aujourd’hui, ceux-ci sont environ deux mille (sans compter les membres dormants) : il y a un numerus clausus lié au nombre limité d’actions, mais chacune d’entre elles permet à un couple et à ses enfants de fréquenter les lieux (en payant des cotisations annuelles). Ainsi, même si la possibilité de devenir membre du Sporting n’est pas subordonnée au fait de résider à Milano 2 (quelques cadres travaillant dans le centre d’affaires voisin et plusieurs familles ayant déménagé à proximité le fréquentent), le club est le principal centre de sociabilité locale ; tout en étant pointé, par certains résidents n’en faisant pas partie mais aussi parfois par des membres appréciant ce dispositif additionnel de sélection, comme « un ghetto dans le ghetto ».

23Les écoles et la paroisse locales sont les autres principaux lieux de sociabilité. Chacun des deux quartiers est en effet constitué en paroisse. À Milano 2, l’assistance dominicale habituelle en 2007-2008 était de 1 200-1 300 personnes, c’est-à-dire environ 20 % de la population locale ; tandis qu’à San Felice, où un groupe de paroissiens organise de nombreuses activités culturelles et de loisir (dont un ciné-club très actif), la part de la population assistant régulièrement à la messe atteint les 35 % (30 % étant la moyenne nationale italienne). Dans les deux quartiers, la grande majorité des habitants envoient par ailleurs leurs enfants au catéchisme et fréquentent l’église pour les rites de passage (baptêmes, premières communions, mariages et enterrements). Les curés y sont des figures locales respectées. Ils sont choisis par l’évêché pour développer une religiosité collective et un argumentaire pastoral adéquats au profil socioprofessionnel des résidents : ainsi, le père Walter, à Milano 2 depuis septembre 2007, avait été pendant dix ans l’aumônier de l’Université Bocconi, la plus prestigieuse école de commerce du pays. Mais cette prégnance du catholicisme est aussi vécue par certains comme une norme oppressante, qui participe d’un contrôle social facilité par le niveau élevé d’interconnaissance et d’intégration des différentes dimensions de la sociabilité locale :

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« C’est quelque chose qui nous a un peu discriminés, parce que les parents des autres voyaient vraiment ça d’un mauvais œil, le fait que les nôtres ne nous obligent pas à fréquenter le catéchisme. On avait quelque chose comme 7-8-9-10 ans, et il y avait tous ces autres gamins qui fréquentaient l’après-midi le patronage paroissial, qui allaient y jouer, tandis que nous, on n’y allait jamais, parce qu’on préférait jouer ailleurs. Du coup, quand ma mère croisait une autre mère chez unes [supermarché local] en faisant ses courses, ou allait aux réunions de parents d’élèves, on lui demandait à chaque fois : ‘Mais madame, comment se fait-il que vous n’envoyez pas vos enfants à la messe, que vous ne les mettez pas au patronage ?!’ C’était une véritable inquisition. […] Et tous mes copains, qui à l’époque étaient surtout contents parce que, lors de leur confirmation, toute la famille les couvrait de cadeaux… continuent d’aller à la messe et mettent aujourd’hui leurs propres gamins au catéchisme. »
(Marco, technicien de télévision, 35 ans, habitant M2 depuis 1979.)

25Le « style de vie familial » de SF et M2 est néanmoins revendiqué et apprécié par la plupart des interviewés. Ceux qui ont passé leur enfance dans l’un des deux quartiers le définissent souvent comme « un immense terrain de jeu » : dès l’âge de 6-7 ans les enfants circulent seuls à pieds ou à bicyclette et se retrouvent pour jouer ensemble dans les espaces prédisposés à cet effet, où la sécurité est considérée comme assurée par l’absence d’anonymat : les passants et les parents éventuellement présents connaissent et surveillent aussi les enfants des autres. Mais tous les résidents s’accordent par ailleurs pour dire que, à l’adolescence (approximativement entre 14 et 18 ans), l’isolement est mal supporté par les jeunes qui n’ont pas encore de moyens de transport motorisé et qui ne peuvent se rendre le soir, ou difficilement (du fait de l’absence de bus après une certaine heure et de leur rareté tout au long de la journée), dans les quartiers de loisir du centre-ville. Les adolescents restent ainsi sur place et se réunissent le soir pour discuter, fumer, boire ou simplement se détendre en passant du temps ensemble [15] : à l’extérieur lorsque le temps le permet (ce qui ne manque pas de susciter des petites frictions avec les riverains immédiats de leurs lieux de rendez-vous) ou, à San Felice, dans l’un des rares bars ou pubs encore ouverts en début de soirée. Lycéens et étudiants se retrouvent aussi dans la salle d’étude du centre civique local qui leur est réservée.

Le communautarisme des classes supérieures de promotion

26Parce que ce mode de vie constitue un choix résidentiel irréductible à sa dimension économique, mais que celle-ci exerce néanmoins un important effet de sélectivité sociale et que les résidents le savent, ils perçoivent tous la forte homogénéité de la population locale. L’expression récurrente, qui revient souvent dans les entretiens, est que « évidemment, un ouvrier ne pourrait pas habiter ici ». Toutefois, ce sont surtout les interviewés exerçant des professions minoritaires localement (plus culturelles, plus moyennes que supérieures) qui insistent sur cette caractéristique :

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« Par rapport à un quartier de Milan, à un quartier de la ville, Milano 2 est certainement plus homogène, plus uniforme, surtout par rapport à la réalité sociale. Ici, les habitants sont habitués à voir des gens aisés, sans problème : des gens comme eux. Il n’y a personne à Milano 2 qui ne réussit pas à joindre les deux bouts, alors qu’à Milan on est amené à fréquenter des gens beaucoup plus divers… même dans les beaux quartiers. »
(Michela, enseignante d’anglais, 37 ans, a habité à M2 de 1982 à 1994 et depuis 1998.)

28Les classes supérieures économiques ont une représentation plus diversifiée de leur voisinage ; notamment une représentation plus détaillée et stratifiée d’elles-mêmes :

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« Au début, c’était un quartier habité par… – évidemment pas par des ouvriers, il faut être clair là-dessus – mais notamment par beaucoup de dirigeants et de cadres d’entreprise, c’est-à-dire des gens d’un niveau élevé, mais pas à en être pleins de morgue. Alors qu’après on en est arrivé à la morgue : des gens pleins d’argent, mais moins d’éducation, et moins de civisme, de civilité ; qui croient être quelqu’un juste parce qu’ils ont du fric. Du coup les rapports se sont faits moins aisés, moins heureux. »
(Elsa, ancienne directrice nationale des ventes pour une multinationale de produits cosmétiques, 75 ans, habitant M2 depuis 1975.)

30En effet, les résidents de San Felice et Milano 2 perçoivent leurs voisinages comme peuplés majoritairement de professions supérieures économiquement aisées mais ne les décrivent pas en les assimilant principalement à des cadres d’entreprise, comme c’est par exemple le cas dans les quartiers refondés franciliens de Courbevoie et Levallois-Perret que nous avons étudiés [16] (Cousin, 2008, p. 222-235). Par ailleurs, les cadres du privé eux-mêmes dénoncent souvent une partie de leurs voisins comme obsédés par une concurrence somptuaire (pour la possession d’accessoires griffés du dernier cri, de voitures de sport ou de résidences secondaires les plus luxueuses possible) exclusive de tout autre centre d’intérêt : un travers qu’ils considèrent symptomatique d’une pauvreté culturelle regrettable. Ils s’en démarquent donc en marquant à leur égard des frontières symboliques culturelles (Lamont, 1992), essayant de compenser l’objectivation de leur infériorité économique par de la distinction culturelle ; ce qu’ils ne font jamais dans les entretiens réalisés dans les quartiers de refondation franciliens, où ce type de critique est très rare et reste l’apanage de professions plus intellectuelles ou culturelles que commerciales ou techniques (Cousin, 2008, p. 235-239).

31Comment expliquer ces deux différences franco-italiennes ? À M2 et SF, les cadres et ingénieurs d’entreprise ne sont effectivement pas aussi nombreux qu’autour de La Défense. Même s’ils atteignent une concentration six fois supérieure à la moyenne milanaise, ils ne représentent qu’un cinquième de la population active locale. En effet, non seulement la part des professions supérieures dans la population active est deux fois moins élevée dans la métropole milanaise qu’en Île-de-France, mais – au sein de celles-ci – les cadres du privé sont proportionnellement encore moins nombreux (istat, 2005 ; Cousin et Préteceille, op. cit.). Comme dans le reste de l’Italie, de nombreux habitants parmi les plus fortunés du quartier sont des chefs de petites entreprises et des artisans-commerçants (dans la joaillerie, notamment) : ils n’ont presque jamais fait d’études supérieures [17] et ne partagent donc pas la culture générale légitime acquise par leurs voisins cadres au cours de leur scolarité (et parfois au sein de familles déjà diplômées depuis la génération antérieure). Ces riches entrepreneurs versent ainsi d’autant plus dans une consommation ostentatoire de biens et de services de luxe qu’elle leur permet d’exprimer un statut social qui n’est garanti par aucune autre convention (diplôme, position directoriale dans une grande organisation, ou inscription dans des réseaux de sociabilité de la bourgeoisie ancienne [18]). Inversement, la possession d’un diplôme universitaire reste assez rare [19] pour constituer un support de distinction culturelle au sein même des catégories socioprofessionnelles indépendantes et supérieures. La coprésence locale de ces différentes composantes des classes supérieures, et de classes moyennes partageant plutôt les valeurs de l’une ou de l’autre d’entre elles, induit ainsi des critiques croisées dénonçant « l’inculture » et « la superficialité », ou « la jalousie » envieuse et « le snobisme ». Des jugements critiques qui, à San Felice (davantage qu’à Milano 2), se combinent parfois avec le recours à des frontières symboliques morales : primauté des responsabilités envers sa famille, valorisation de la « simplicité », de « l’authenticité », et de « la moralité » mesurée à l’aune d’une éthique du travail ou d’un canon catholique ; c’est-à-dire des valeurs qui, selon la façon dont on s’y réfère, peuvent venir renforcer la légitimité des marquages culturels ou, inversement, économiques.

32Cette diversité des registres critiques et des grandeurs légitimes – même si elle crée des prises de distance et des tensions au sein de la population locale (qui s’apaisent souvent par le recours au ragot de dissension) – est moins anxiogène et contraignante que la représentation finement hiérarchisée du monde, marchande et projectuelle (Boltanski et Chiapello, 1999), hégémonique dans les quartiers de refondation franciliens. La pluralité des registres d’évaluation atténue l’intensité de la domination dont chacun d’entre eux participe, ainsi que l’assignation statutaire qu’en ressentent les interviewés. En outre, la grande diversité en termes de classes d’âges des populations de M2 et SF rend plus difficile une compétition statutaire généralisée ; entre autres parce que les niveaux socioprofessionnels et les patrimoines locaux sont difficilement individualisables lorsque plusieurs générations d’une même famille cohabitent dans le quartier, comme c’est maintenant souvent le cas à Segrate, voire travaillent ensemble.

33Par ailleurs, les épreuves de grandeur sociale telles qu’elles sont conçues en Italie érigent beaucoup moins la ville elle-même et la division de l’espace urbain en dispositif d’évaluation ; et l’accès à plusieurs ressources et opportunités apparaît aussi moins attaché à la dimension territoriale (et scolaire). Certes, de nombreux interviewés soulignent que « Milano 2 » ou « San Felice » est « un nom, une étiquette » dont chacun à Milan sait qu’il renvoie à un niveau socio-économique élevé. Mais la tendance moindre à hiérarchiser les espaces dans la métropole milanaise, la faible compétition scolaire et l’absence de carte scolaire (et donc de stratégies par rapport à celle-ci) induisent une stratification sociale – objective et subjective – des quartiers nettement moins fine qu’en Île-de-France : par exemple, il est rare que les interviewés relèvent la légère supériorité socioprofessionnelle de M2 par rapport à SF. Ainsi, les écarts culturels ou économiques entre voisins, même lorsqu’ils augmentent sensiblement, débouchent peu sur des déménagements motivés par une volonté de mise à niveau : les ménages, même les plus riches ou les plus concernés par l’avenir scolaire de leurs enfants, n’envisagent pas de partir vers d’autres quartiers plus bourgeois, mais préfèrent rester dans un endroit dont ils apprécient la singularité à l’échelle métropolitaine.

34L’enracinement durable et la vie de quartier ne sont pas uniquement prisés des interviewés par goût et par confort. Ils sont cadrés (Goffman, 1974) dans les entretiens comme une ressource spécifique à la société italienne. Il s’agit, tout d’abord, d’une ressource en capital social : en liens d’interconnaissance établis dans le quartier, consolidés au fil des années voire des décennies, et que le voisinage et les rencontres dans les nombreux lieux de sociabilité locale rendent aisément mobilisables. Or, en Italie, le capital social est un atout irremplaçable sur un marché du travail très fermé, segmenté et pratiquant une forte sélection à l’entrée afin de protéger les professionnels et salariés déjà établis. La grande majorité des Italiens trouvent leur emploi grâce à leur entourage : surtout lors de la première embauche, la force et la prééminence des liens forts (famille, amis proches) sur les liens faibles s’observe dans tous les milieux sociaux. Leur rôle étant moins de faciliter la prospection par la circulation d’informations, que de constituer des leviers d’influence activables pour infléchir la décision d’attribution d’un emploi (Pisati et Schizzerotto, 2004 ; Cousin, 2009).

35De fait, la vie collective à San Felice et Milano 2, où les voisins deviennent souvent « amis » et pas seulement des « connaissances », rend la stabilité résidentielle plus rentable qu’ailleurs ; non seulement pour les jeunes qui grandissent dans un milieu riche en role models et gatekeepers prestigieux, mais également pour leurs parents. Entre petits entrepreneurs, consultants indépendants et – par exemple – les nombreux enseignants-chercheurs en ingénierie du Politecnico qui habitent sur place, les occasions de collaborations professionnelles ponctuelles, et parfois suivies, sont multiples et souvent formalisées. Entre autre parce que, pour les tâches d’expertise nécessaires à leur activité, les chefs d’entreprise (ou les dirigeants) concernés recherchent autant la fiabilité professionnelle que la confiance interpersonnelle. Quant aux cadres travaillant dans de grandes entreprises, certains apprécient de partager l’intense sociabilité du quartier avec des collègues et supérieurs hiérarchiques, dont la fréquentation informelle en dehors des heures de bureau serait susceptible d’accélérer leur carrière. Il est même des cas où cette quête d’amitiés ou de connaissances haut placées semble avoir été l’une des raisons du choix du quartier.

36

« Il est clair, ça c’est sûr, qu’il y en a quelques-uns ici qui ont fait carrière chez ibm ou dans d’autres grandes boîtes parce qu’ils jouaient les ramasseurs de balles durant les matchs de tennis des dirigeants au [club multisports] Malaspina : ‘Ingénieur Untel, allez nous chercher les balles !’, et le gars allait les ramasser… Ou alors c’était : ‘J’aurais besoin d’effectuer un petit déménagement. Vous me donneriez un coup de main ?’ Franchement, moi aussi j’ai eu ce genre d’opportunités – appelons-les comme ça – et il m’est arrivé de ‘donner un coup de main’ à l’occasion, mais sans plus, parce que ce n’est pas vraiment mon caractère d’être servile. […] Il y en avait même un qui venait exprès de San Bovio pour croiser Catania [le pdg d’ibm Italie] lorsqu’il achetait son journal, et d’autres qui allaient au supermarché à la même heure que lui pour créer des occasions de rencontre. »
(Ruggero, cadre dirigeant commercial d’ibm Italie, 62 ans, habitant sf depuis 1980.)

37Par ailleurs, concernant la représentation de soi, la coprésence dans les quartiers refondés de Segrate de résidents très riches (dont plusieurs multimillionnaires) et d’autres – rarement les mêmes – très diplômés, ou occupant des postes élevés, permet aux interviewés de compenser leurs lacunes individuelles en un certain type de capital par le sentiment d’appartenance à une collectivité qui, dans son ensemble, ne manque de rien, et n’a donc rien à envier aux espaces et aux milieux d’interconnaissance de la bourgeoisie traditionnelle plus ancienne, celle des beaux quartiers du centre historique. Ainsi, Milano 2 et San Felice doivent aussi être vus comme des tentatives, de la part de familles ayant connu une ascension sociale récente, de réinventer localement et collectivement une nouvelle façon d’être bourgeois (c’est-à-dire une nouvelle bourgeoisie qui ne soit pas seulement une bourgeoisie nouvelle) : une stratégie de groupe qui représente une alternative à l’assimilation individuelle et progressive – qui prend souvent plusieurs générations – de chaque famille aux élites anciennes.

38Ce choix participe donc d’un modernisme proclamé, mais également du récit (Somers et Gibson, 1994) – partagé et quelque peu paradoxal par rapport à ce qui précède – d’une ascension sociale de chaque habitant du quartier (ou presque) par ses propres mérites : de « s’être fait tout seul », pour reprendre les termes de nombreux interviewés. C’est exprimé tout particulièrement à Milano 2 dans le lien privilégié que la population revendique avec le « fondateur » du quartier, Silvio Berlusconi, et dans l’homologie emblématique qu’une partie des résidents perçoivent entre sa carrière entrepreneuriale et publique et leur propre trajectoire ascendante. De fait, plusieurs personnages symboliques du berlusconisme, comme son frère Paolo, le milliardaire Ennio Doris (son associé historique dans plusieurs affaires), le journaliste-présentateur Emilio Fede et d’autres figures des chaînes télévisées du groupe Mediaset, certains footballeurs du Milan ac, ainsi que de nombreux cadres des autres entreprises du président du Conseil italien, habitent à M2 [20]. Depuis sa création, Forza Italia est donc évidemment arrivée en tête de chaque élection au niveau local [21] :

39

« Ils sont tous absolument de droite, résolument engagés et le revendiquent : c’est Berlusconi et Forza Italia [22]. D’autant plus que plusieurs fondateurs du quartier ont emménagé ici, et ça a fait boule de neige. Ça, c’est sûr et certain : ici [à M2], si tu vas au Sporting Club et tu joues le gars de gauche… Je ne te dis pas ! Tu te fais traiter de fou ! C’est vu comme quelque chose de scandaleux, presque d’inadmissible ; d’ailleurs ceux qui ont ce genre d’idées se gardent bien de les manifester au club. Ils se feraient allumer par les autres membres… et c’est d’ailleurs aussi pour ça que certains ne fréquentent pas le club. Parce qu’il y a certains sujets qui ne sont même pas ouverts au débat. »
(Riccardo, cadre technique dans une pme industrielle, 41 ans, habitant M2 depuis 1998.)

40Cette fidélité politique de Milano 2 – qui a permis à ses habitants d’élire en 2005 un des leurs à la Mairie de Segrate – et son origine berlusconienne étayent souvent l’accusation récurrente portée contre les quartiers refondés d’être des « ghettos de riches » ; les rendant ainsi encore plus détestables aux yeux de leurs détracteurs, notamment parmi les autres habitants de Segrate. Néanmoins, ainsi reformulée dans les termes de la politique partisane (i.e. du champ politique), cette dénonciation du communautarisme des classes supérieures de promotion, et du quartier refondé comme dispositif de sa mise en œuvre, perd sa dimension critique immédiate en termes de justice et affaiblit son caractère incisif auprès de ceux qu’elle vise. Elle est perçue comme une tentative de stigmatisation politique, aisément retournée par la réappropriation possible du stigmate.

Conclusion

41Les cas de San Felice et Milano 2 montrent combien les modalités de production et de maintien par les habitants eux-mêmes d’une forme spécifique d’entre-soi résidentiel sont liées aux représentations que ceux-ci en ont. L’analyse de l’auto-ségrégation urbaine (d’une partie) des classes supérieures et moyennes-supérieures et des différentes façons dont elle se décline ne saurait, par conséquent, faire abstraction de cette dimension pragmatique et, encore moins, imputer aux individus des motivations et des formes de rationalité indépendamment de toute vérification empirique directe (comme le font régulièrement les essais de popularisation dérivés d’analyses statistiques). Il s’agit au contraire de mobiliser l’ensemble du répertoire analytique qu’offre aujourd’hui la sociologie compréhensive (ou cultural sociology) pour rendre compte au mieux du sens subjectif des choix et des pratiques résidentiels d’entre-soi.

42C’est ce qui a été fait ici en insistant principalement sur l’agrégation affinitaire constitutive des cas étudiés. Le texte qui s’achève demande donc à être complété par une analyse approfondie des conceptions que les habitants de San Felice et Milano 2 ont de l’extériorité (urbaine et sociale) altérisée dont ces quartiers sont censés les protéger [23]. Il apparaît en effet que, dans les espaces refondés étudiés jusqu’à maintenant, les processus d’agrégation affinitaire et de ségrégation discriminante ou – en d’autres termes – les facteurs d’attraction (pull) et de répulsion (push) à l’origine de l’entre-soi correspondent à des logiques et des systèmes de représentations qui ne se recoupent que partiellement.

Notes

  • [*]
    Bruno Cousin, maître de conférences en sociologie, Université de Lille 1 et chercheur au Centre lillois d’études et de recherches sociologiques et économiques (umr 8019)
    bruno.cousin@univ-lille1.fr
  • [1]
    Je tiens à remercier Enzo Mingione, Marco Oberti, Edmond Préteceille, Luc Boltanski, Arnaldo Bagnasco, Anne Raulin, Tommaso Vitale et Sébastien Chauvin pour leurs généreux commentaires aux versions antérieures de ce texte, issu d’une thèse de doctorat soutenue en 2008 à Sciences Po et à l’Université de Milan-Bicocca (Italie).
  • [2]
    Le reste de Milano 2 correspond au type bb (espaces supérieurs à connotation bourgeoise), c’est-à-dire au deuxième type le plus sélectif quant aux catégories socioprofessionnelles des résidents (bc étant le troisième, sur dix-neuf).
  • [3]
    San Felice est en fait à cheval entre les communes de Segrate, Peschiera Borromeo (limitrophes de Milan) et Pioltello.
  • [4]
    Les données analysées sont le produit d’une enquête ethnographique effectuée entre 2004 et 2008, de 34 entretiens approfondis réalisés avec des habitants de M2 et SF durant la même période, ainsi que du dépouillement de plusieurs archives et de la presse locales.
  • [5]
    Depuis 2011, la Cascina Vione (140 logements dans la commune de Basiglio, au sud de Milan) constitue la première véritable gated community de la métropole : elle est entourée de murs défensifs, gardée 24 h/24, et l’entrée en est interdite sans invitation préalable d’un résident. Auparavant, il n’existait à Milan que des exemples plus circonscrits de copropriétés complètement closes, comme par exemple la Viscontina (à Buccinasco, dans la banlieue sud-ouest), composée de 70 logements individuels et collectifs bâtis dans les années 1990. Par contre, à Rome, le quartier de l’Olgiata, construit à partir de la fin des années 1950 autour d’un terrain de golf et d’un country club, constitue un cas plus précoce d’espace résidentiel fermé.
  • [6]
    En 2007, outre Milano 2 et San Felice, il existait dans la métropole lombarde deux autres complexes résidentiels fermés, également construit (comme et sur le modèle de M2) par l’Edilnord de Silvio et Paolo Berlusconi : Milano 3 (à Basiglio) et Milano Visconti (à Cusago, dans la banlieue ouest).
  • [7]
    Le registre municipal de la population de Segrate dénombrait 6 249 résidents à Milano 2 au 31 décembre 2006. Les 2 600 appartements du complexe furent néanmoins conçus pour accueillir jusqu’à 10 000 habitants, et la population du quartier atteignait encore ce chiffre au début des années 1990, avant le progressif éclatement intergénérationnel des familles qui, majoritairement, avaient emménagé à M2 entre 1972 et 1980.
  • [8]
    22,8 % des appartements du complexe sont des logements de cinq pièces habitables d’une surface comprise entre 160 et 240 m2, 8,2 % sont des six pièces de 200 à 280 m2.
  • [9]
    Où les prix à l’achat vont de 3 000 à 5 000 €/m2, du fait d’une offre de logements plus diversifiée qualitativement.
  • [10]
    Au 31 décembre 2006 le registre municipal de Segrate dénombrait 2 848 résidents à San Felice, auxquels il faut y ajouter un millier habitant la partie du complexe située à Peschiera Borromeo, et environ 600 à Pioltello. À l’origine, l’ensemble fut conçu pour accueillir 8 000 habitants, ce qui était encore le cas au début des années 1990. Il se déploie sur 60 hectares dont 42 de parcs et jardins, 3½ d’espaces de jeu et de loisir, 5 de parkings à ciel ouvert.
  • [11]
    Le terme a d’abord été adopté par la première génération d’enfants de Milano 2, dont ces vigiles surveillaient notamment les espaces de jeu, puis repris par leurs parents et l’ensemble des résidents.
  • [12]
    Jusqu’en 2002, ces tours appartenaient à des compagnies d’assurance qui en louaient les 504 appartements à un prix fixé par la loi à 3,85 % de la valeur indexée du logement (equo canone). Ces appartements ont tous été vendus depuis : souvent à des jeunes couples de Sanfelicini de seconde génération qui cherchaient à s’établir sur place.
  • [13]
    Lors du recensement de 1991, le plus récent qui permette de connaître la répartition socioprofessionnelle au sein des secteurs censitaires qui correspondent approximativement à Milano 2, la population active du quartier comptait au moins : 6,0 % de chefs d’entreprise (contre 1,1 % dans l’ensemble de la métropole milanaise) ; 6,7 % de professions libérales (contre 1,8 %) ; 17,6 % (contre 2,9) de cadres administratifs et commerciaux d’entreprise ; 3,4 % (contre 1,0) d’ingénieurs et cadres techniques d’entreprise ; 2,4 % (contre 0,6) de cadres de la fonction publique ; 4,8 % (contre 1,6) de professeurs et professions scientifiques ; 1,1 % (contre 0,2) de professions de l’information, des arts et des spectacles ; 19,3 % (contre 11,3) de professions intermédiaires administratives et commerciales des entreprises ; ainsi que 3,4 % (contre 1,1) d’actifs impossibles à ventiler parmi les pcs ci-dessus à partir de la nomenclature italienne mais relevant de celles-ci. En revanche, il n’existe pas, compte tenu du découpage des secteurs censitaires, de données relatives à San Felice.
  • [14]
    Sur les 34 individus ou couples interviewés : 28 étaient propriétaires, 1 locataire, 2 bénéficiaient d’un logement de fonction, 3 vivaient chez leurs parents ; 5 étaient célibataires, 2 divorcés, 4 couples vivaient en union libre et 28 étaient mariés ; 7 étaient d’âge (moyen, pour les couples) compris entre 20 et 39 ans, 12 entre 40 et 49 ans, 13 entre 50 et 69 ans, et 2 de 70 ans ou plus. Parmi les hommes (et respectivement parmi les femmes), 2(0) étaient – ou avaient été juste avant la retraite – artisans ou commerçants, 2(0) chefs d’entreprise, 6(4) d’une profession libérale, 3(3) professeurs ou d’une profession scientifique, 1(3) d’une profession de l’information, des arts ou des spectacles, 13(2) cadres ou ingénieurs d’entreprise, 5(1) d’une profession intermédiaire, 0(1) employé, 1(0) étudiant, 0(13) au foyer.
  • [15]
    De nombreux parents organisent par ailleurs les fêtes de leurs adolescents dans les salons du club house local ; ce qui permet d’en assurer la supervision eu sein du quartier tout en accordant aux jeunes une marge d’autonomie.
  • [16]
    Le Faubourg de l’Arche et les résidences entourant le Jardin des Tournelles à Courbevoie, et la partie levalloisienne de l’Île de la Jatte.
  • [17]
    À l’échelle nationale, parmi les ménages très aisés, gagnant au moins 70 000 € nets par an en cas de revenu unique ou plus de 100 000 € si au moins deux personnes y participent, à peine un quart sont diplômés du supérieur (données Banque d’Italie et GfK Eurisko, 2008).
  • [18]
    En 2002, aucun des 629 membres du Clubino – le cercle milanais le plus prestigieux – n’habitait à Milano 2 ou à San Felice. On trouve en revanche dans les deux quartiers de nombreux membres du Rotary Club (Cousin et Chauvin, 2010).
  • [19]
    Moins de 10 % de la population italienne âgée de 25 ans ou plus est diplômée du supérieur (c’est l’un des pourcentages les plus bas de l’ue).
  • [20]
    Par ailleurs, plusieurs showgirls et prostituées, impliquées en 2011 dans le Rubygate et identifiées comme participantes régulières aux fêtes privées de S. Berlusconi, étaient logées par ce dernier dans un immeuble de M2.
  • [21]
    FI a été fondée en janvier 1994 par S. Berlusconi, et s’est immédiatement imposée comme le premier parti politique du pays et le pivot des coalitions de droite qu’il a conduites au cours des quinze années suivantes. En mars 2009, elle a fusionné avec le parti postfasciste Alleanza Nazionale, ainsi qu’avec plusieurs petites formations, pour constituer Il Popolo della Libertà (PdL).
  • [22]
    Durant les années 2000, an aussi réalisait dans le quartier un score supérieur à sa moyenne nationale.
  • [23]
    L’article correspondant est en cours de rédaction. Voir aussi : Cousin, 2008.
Français

Résumé

Issu d’une enquête de terrain réalisée en 2004-2008 dans les quartiers résidentiels de San Felice et Milano 2, cet article contribue à l’analyse différenciée des dynamiques d’auto-ségrégation des classes (moyennes-)supérieures milanaises. Dans une première partie, il décrit la configuration urbaine et l’organisation interne de ces quartiers d’immeubles collectifs de haut standing bâtis durant les années 1970 et issus de vastes opérations immobilières d’arasement, reconstruction, repeuplement et enclosure. Il analyse ensuite les représentations, les univers symboliques, les constructions de sens et les registres justificatifs au travers desquels les résidents développent leur refus de la mixité – dessinant ainsi des spécificités italiennes quant à l’articulation entre la hiérarchie sociale et son inscription territoriale.

Mots-clés

  • classes supérieures
  • entre-soi
  • ségrégation
  • gated communities
  • Milan
Español

Clases superiores de promoción y entre-soi residencial: la agregación por afinidad en los barrios refundados de Milán (Italia)

Resumen

A partir de una investigación realizada entre 2004 y 2008 en los barrios residenciales de San Felice y Milano 2, este artículo contribuye al análisis diferenciado de las dinámicas de auto-segregación de las clases (medias-)altas milanesas. En la primera parte, el artículo describe la configuración urbana y la organización interna de estos barrios de edificios multifamiliares de alto standing construidos durante la década de 1970 como parte de vastas operaciones de demolición, reconstrucción, repoblamiento y clausura. En una segunda parte, el texto analiza las representaciones, los universos simbólicos, las construcciones de sentido y los registros justificativos a través de los cuales los residentes desarrollan su rechazo de la mezcla social, describiendo así especificidades italianas en cuanto a la articulación entre la jerarquía social y su inscripción territorial.

Palabras claves

  • clases altas
  • entre-soi
  • segregación
  • refundación
  • gated communities
  • Milán

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Bruno Cousin [*]
  • [*]
    Bruno Cousin, maître de conférences en sociologie, Université de Lille 1 et chercheur au Centre lillois d’études et de recherches sociologiques et économiques (umr 8019)
    bruno.cousin@univ-lille1.fr
Mis en ligne sur Cairn.info le 05/09/2012
https://doi.org/10.3917/esp.150.0085
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