CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1Malgré sa contribution importante, tant à l’emploi qu’à la valeur ajoutée nationale, le grand commerce fait encore aujourd’hui figure de parent pauvre de la recherche en SHS. Plus encore, une analyse approfondie des travaux existants sur la question révèle une certaine méfiance des chercheurs vis-à-vis de ce secteur. Cette méfiance transparaît nettement au travers de la prévalence d’un certain nombre de mythes et d’images qui traversent l’essentiel des travaux en question. C’est à l’analyse de ces diverses images que nous consacrons ce court article. Au total, on peut relever cinq images ou mythes fondateurs : l’image du secteur résiduel et parasitaire ; l’image de la faible intensité capitalistique, l’image de la faible contribution à l’innovation, l’image des « petits boulots » et enfin, l’image du secteur prédateur.

L’image du secteur résiduel ou parasitaire

2L’économiste Patrick Messerlin (1982), dans son remarquable ouvrage La Révolution commerciale, note : « Si la place du commerce est aussi méconnue des Français, c’est que son rôle n’est pas compris. Les Français perçoivent le commerce comme une activité parasite de l’économie nationale. Pour eux, le commerçant ne produit rien. Il achète pour revendre, il fait des profits sans transformer les produits qui lui passent par les mains. »

3L’image ou le mythe du secteur résiduel ou parasitaire, mis en avant par Messerlin n’est pas nouveau. Il trouve ses origines dans les fondations même de l’économie politique. Déjà au XVIIIe siècle, Jean-François Melon, en qualifiant les commerçants de « vendeurs de tout et faiseurs de rien », s’inscrivait très nettement dans une image négative du commerce. Cette image continue cependant d’être d’actualité auprès de certains courants de pensée économique dits « néo-industrialistes » qui considèrent que les activités industrielles sont à la base de la dynamique économique (elles sont les seules activités motrices) et qu’elles permettent une certaine expansion du tertiaire. Ainsi, encore aujourd’hui, on peut lire sur le site du ministère de l’Économie, de l’Industrie et de l’Emploi [1] : « L’industrie est une composante importante et essentielle de l’économie française. Elle a un effet d’entraînement sur l’ensemble de l’activité économique, en particulier les services et le commerce. » Dans cette conception des choses, la distribution comme les services dans leur ensemble, pèseraient sur le fonctionnement de l’économie et ne se justifieraient que par leur capacité à maintenir l’emploi. Cette conception est régulièrement relayée par la classe politique (cf. encadré 1).

Encadré 1 : Deux exemples de conceptions néo-industrialistes

Dominique Strauss-Kahn, ministre de l’Économie, exprimait en 1998 les inquiétudes suivantes : « Personne ne peut penser qu’on puisse distribuer sans avoir produit. D’ailleurs, la gauche s’enracine dans une tradition qui est celle de la production. Notre effort doit se porter d’abord sur la production et, notamment, la production industrielle, sur la création de vrais emplois qui sont des emplois directement productifs… » (Le Monde, 1998)
Quelques années après, Nicolas Sarkozy, lui-même ministre de l’Économie, déclarait, en s’adressant aux employés d’Alstom : « Il faut une industrie française forte… (…) La France ne peut pas être qu’une économie de banques, d’assurances et de services…» (France Info, 16 avril 2004)

4Outre le fait que l’on peut émettre des doutes sur le caractère résiduel et parasitaire d’un secteur qui, en 2010, emploie plus de trois millions de personnes (en ETP), soit 21 % de l’emploi marchand (hors agriculture) et qui réalise plus de 20 % de la valeur ajoutée (207 milliards d’euros), il est clair que ce secteur est devenu aujourd’hui un des secteurs moteurs de l’économie nationale. On a ainsi assisté dans les années 1980 à un renversement des logiques de domination industrie-service/commerce qui prévalaient avant cette date (Djellal et Gallouj, 2007). Et, on peut dire que c’est bien le commerce qui, par ses achats, ses investissements technologiques (NTIC en particulier) et son implication dans l’innovation, fournit aujourd’hui des débouchés vitaux à l’industrie. Plus largement, et pour reprendre les propos de Lepage (1982 : 97), c’est aussi le commerce qui guide le producteur dans la recherche et la définition de ce qu’il faut produire.

L’image de la faible intensité capitalistique

5Dans un article à fort retentissement publié en 1983 (et qui est encore aujourd’hui régulièrement cité en référence par les spécialistes du commerce et des services), Ronald Kutscher et Jérome Mark classent 145 activités économiques par intensité capitalistique (stock de capital par heure de travail) décroissante et montrent que le commerce (de gros et de détail) figure en bas de tableau (7e décile), soit parmi les secteurs les moins intensifs en capital. Certes les données sur lesquelles s’appuient Kutscher et Mark datent de 1973 et l’on peut penser que ce qui était vrai dans les années 1970 n’est plus nécessairement vrai plus de 40 ans après. Mais les images et les mythes ont, comme toujours, la vie dure et la faible intensité capitalistique réelle ou supposée du commerce est toujours d’actualité dans certains travaux.

6Depuis la fin des années 1980, parallèlement à un renouvellement des réflexions autour de la société de l’information, certains auteurs (cf. Pavitt et al., 1989), constatent que le commerce figure désormais parmi les secteurs intensifs en information.

7Dans la taxonomie qu’ils proposent, Pavitt et al. (1989) placent ainsi le commerce au même niveau que les activités financières dans le groupe des firmes intensives en information (cf. tableau 1).

Tableau 1

La taxonomie de Pavitt revisitée

Tableau 1
Firmes de production à grande échelle Activités à processus continu (acier, verre) Production de masse (automobile, biens durables) Fournisseurs spécialisés Ingénierie mécanique, Instrumentation, chimie fine Software Firmes fondées sur la science Électronique Chimie Firmes intensives en information Activités financières Commerce

La taxonomie de Pavitt revisitée

Source : Pavitt, Robson et Townsend (1989 : 97).

8Néanmoins, là encore, le commerce présente l’image d’un secteur dépendant, dominé par les fournisseurs de TIC. Ainsi, les entreprises concernées sont considérées comme peu innovantes. Elles participent peu ou très peu à la production des technologies de process qu’elles utilisent, conformément à la vision traditionnelle des services (cf., sur ce point, Djellal et Gallouj, 2007). Elles sont donc totalement dépendantes des fournisseurs industriels en ce qui concerne leurs besoins en technologies de process.

9Nos propres investigations dans le secteur (Gallouj, 2007), nous ont permis de montrer que là encore, les mythes industrialistes ont la vie dure. L’intensité capitalistique du commerce a eu tendance à s’accroître nettement depuis les années 1980. Le commerce a investi lourdement dans les technologies liées par exemple à la logistique, au stockage-entreposage, à la maintenance, à la chaîne du froid, etc. Il a par ailleurs rejoint les banques, parmi les secteurs les plus intensifs en information et de ce fait, est devenu par exemple l’un des premiers secteurs clients des SSII. Dans le même temps, il a également fortement accru ses capacités propres (par le renforcement des départements internes dédiés aux systèmes d’information au sens large).

L’image de la faible contribution à l’innovation

10Le grand commerce est traditionnellement considéré comme un secteur peu innovateur et, ce n’est que très rarement, que les travaux d’économie ou de gestion associent commerce et innovation. Lorsque certaines études ou recherches font malgré tout, cette association (cf. § 2), c’est généralement pour tomber dans un biais de nature technologiste. Le commerce serait utilisateur de technologies ; il se contenterait dans ce cadre d’adopter des technologies (TIC dans l’essentiel des cas) produites par d’autres. En ce sens (comme nous l’avons vu précédemment), il relèverait en matière d’innovation des secteurs dominés par les fournisseurs de technologies.

11Pour notre part, nous avons montré (cf. Gallouj, 2007) que si le commerce apparaît au premier abord comme moins innovateur que certains autres secteurs, industriels en particulier, c’est tout simplement parce que nos outils de mesure de l’innovation ne sont pas adaptés à ce type de secteur.

12Nous avons également montré que le grand commerce est, dans beaucoup de cas, nettement plus innovant que la plupart des secteurs industriels traditionnels. Les formes d’innovation qui sont observées dans ce secteur sont multiples et variées (nouvelles méthodes de ventes, nouveaux concepts ou formats de magasins, nouveaux produits ou services, nouveaux process ou formes d’organisation…), à la fois technologiques et non technologiques. Au-delà, il est de plus en plus clair que non seulement le grand commerce participe activement à l’effort national d’innovation et de R&D, mais qu’il joue également, et de plus en plus, un rôle de premier plan comme déterminant de l’innovation industrielle.

L’image des « petits boulots » et des emplois faiblement qualifiés

13L’essentiel des travaux existants sur la question de l’emploi dans le commerce et la distribution mettent l’accent sur les petits boulots et la précarité accrue qui accompagnent le développement du grand commerce. L’idée centrale est que le développement de l’emploi dans le commerce s’accompagne nécessairement d’une dégradation qualitative de celui-ci. On assisterait ainsi nécessairement et irrémédiablement au renforcement d’une organisation taylorienne rigide et déqualifiante.

14Ce mythe des petits boulots et de la « maltraitance » salariale s’appuie certes sur certaines réalités objectives : prédominance de l’emploi féminin, du temps partiel et des formes particulières d’emploi, flexibilité importante… Il repose encore plus largement sur une série de pamphlets à large diffusion, publiés principalement en dehors du monde académique (Philonenko et Guienne, 1997 ; Blythman, 2005 ; Biassette et Baudu, 2008).

15Dans nos propres travaux (cf. Baret, Gadrey, Gallouj, 1998), nous avons adopté une position plus nuancée en montrant qu’il n’y avait pas de trajectoire déterminée et déterministe en matière d’emploi dans le commerce et que l’on peut, par exemple, opposer un modèle néo-taylorien de flexibilité quantitative et un modèle d’adaptabilité organisationnelle fondé sur la polyvalence (cf. tableau 2).

Tableau 2

Deux modèles de flexibilité et de GRH dans le grand commerce

Tableau 2
Modèle néo-taylorien de flexibilité quantitative Rationalité industrielle Modèle d’adaptabilité organisationnelle Rationalité professionnelle Caractéristiques Recours flexible au marché du travail. Aléas supportés par les individus. Accent sur la flexibilité temporelle quantitative et la réduction des coûts de main-d’œuvre Flexibilité quantitative très forte à court terme, adaptabilité modeste à long terme Adaptabilité sélective de l’organisation. Compromis entre flexibilité quantitative et adaptabilité fonctionnelle. Accent sur l’implication de la main-d’œuvre Flexibilité correcte à court terme, via la polyvalence et poly-activité. Forte adaptabilité à long terme Lien entreprise salariés Lien faible sauf pour une minorité (le noyau) Lien fort, fidélité. La majorité des employés se trouve dans le noyau Compétences Spécialisation néotaylorienne des employés de la zone flexible Compétences techniques. Autres compétences peu sollicitées On respecte les consignes Plus de polyvalence, multicompétence et d’autonomie professionnelle Mobilisation des compétences (relationnelle et organisationnelles) Clickable knowledge Compétences statiques Creative knowledge Compétences dynamiques

Deux modèles de flexibilité et de GRH dans le grand commerce

Source : Baret, Gadrey, Gallouj (1998)

16La plupart des travaux s’intéressant aux questions d’emploi et de conditions d’emploi dans le commerce restent paradoxalement crispés sur le premier modèle de GRH. Il n’en demeure pas moins qu’un modèle alternatif existe et que nous l’avons rencontré dans nombre de nos enquêtes de terrain. Autrement dit, le commerce n’est pas le monde fermé des petits boulots sans perspectives.

17Par ailleurs, on peut rappeler que le commerce a longtemps été, et reste encore dans une certaine mesure, l’un des rares secteurs économiques à offrir une réelle perméabilité sociale (permettant ainsi à des profils atypiques de « faire carrière »). Notons enfin que dans les années 2000, le commerce comme bouc émissaire de « l’emploi au rabais » ou encore du « mauvais emploi » a été très largement supplanté par les services à la personne, tout au moins dans certaines productions académiques (Jany et al., 2009).

L’image du secteur prédateur

18L’image du commerce comme secteur prédateur renvoie traditionnellement à deux « victimes désignées » : le groupe constitué par le petit commerce d’un côté, et le groupe constitué par les fournisseurs (producteurs) de l’autre. Depuis le milieu des années 1990, l’environnement apparaît comme une nouvelle (et donc troisième) victime de la prédation commerciale.

19Le grand commerce est souvent considéré comme étant à l’origine du déclin du petit commerce (et plus largement de la désertification des centres villes et des zones rurales) qui ne pourrait lutter contre des prix trop souvent prédateurs et des pratiques anticoncurrentielles largement douteuses (pressions du grand commerce sur les fournisseurs). Pour autant, on peut noter qu’aucune étude sérieuse n’a pu démontrer que le grand commerce était directement à l’origine du déclin du petit commerce. Plus encore, on constate que dans un certain nombre de pays comme le Japon ou encore le Maroc (cf., les contributions de Amine et de Sabri et Messeghem dans ce numéro), le petit commerce a continué de prospérer malgré la diffusion de la grande distribution. Dans la réalité, il semble que la grande distribution se soit rapidement développée en France parce qu’elle répondait à un certain nombre d’attentes qui étaient peu satisfaites par le petit commerce traditionnel. La fatalité de la disparition du petit commerce relèverait donc elle aussi du mythe. Autrement dit, le petit commerce peut assurer sa survie pour peu qu’il consente à certaines adaptations aux besoins du consommateur. Ces adaptations peuvent relever d’au moins quatre logiques : une logique de dépannage, une logique de proximité, une logique de spécialisation et surtout une logique de qualité de service. D’autres stratégies sont évidemment possibles qui peuvent être appuyées par la grande distribution elle-même (franchise, intégration dans les centres commerciaux…). On peut ainsi mettre en avant de très nombreux cas de re-génération du petit commerce à l’initiative de la grande distribution. Au final, on peut dire que la grande distribution et le petit commerce se caractérisent par des relations de co-existence, de cohabitation ou encore de complémentarité. Ces relations sont d’ailleurs sous-jacentes aux réflexions théoriques en termes d’écologie des populations (Hannan et Freeman, 1977). En effet, ces réflexions en termes d’écologie des populations ont pu montrer que les relations entre le grand et le petit commerce sont nettement plus complexes qu’il n’est généralement suggéré. En s’inscrivant dans ce cadre théorique, Markin et Duncan (1981) mettent ainsi en avant trois types de relations significatifs :

  • des relations de type parasitaires [2] (où une institution donnée dépend d’une autre pour sa survie). On peut ainsi estimer que dans les centres commerciaux de périphéries, un certain nombre de magasins spécialisés peuvent s’inscrire dans des relations de ce type ;
  • des relations de symbiose (où plusieurs institutions bénéficient mutuellement de leur interdépendance) ;
  • des relations de commensalisme (où différents formats ou espèces de magasins partagent le même environnement). C’est le cas notamment des boutiques spécialisées dans les galeries marchandes.
Pour Markin et Duncan, ces différents points tendent à montrer qu’au sein du système commercial, la tendance est plus à l’optimisation au travers de la coopération et de l’échange qu’à la concurrence sauvage.

20Concernant le versant fournisseurs, la plupart des recherches traditionnelles sur le canal de distribution mettent en avant, là encore, la prédominance de situations dominées par le rapport de force et le conflit (Etgar, 1976 ; Lynch, 1990 ; Lhermie, 1994 ; Rey et Tirole, 2000). En effet, les mouvements de concentration dans le grand commerce ont fait que les distributeurs ont gagné en pouvoir de négociation face aux industriels. Ainsi, la montée en puissance du grand commerce et sa volonté de jouer un rôle plus large dans la filière ou le canal de distribution a fait que les relations entre les industriels et les distributeurs seraient devenues conflictuelles. Les tensions existantes auraient même explosé depuis les années 1980 avec en particulier la création de « super centrales d’achat » qui regroupent des distributeurs concurrents dans le but de négocier en position de force face aux industriels [3]. Il n’en demeure pas moins que le cliché (souvent repris dans certains rapports officiels, voire dans des travaux académiques) des groupes industriels « asphyxiés financièrement » par les grandes surfaces ne résiste pas à l’analyse chiffrée. Par ailleurs, depuis quelques années (le mouvement est en particulier sensible depuis les années 1990), on assiste à une évolution progressive des relations industrie-commerce vers des formes souvent élaborées de coopération. L’objectif affiché dans ce cadre est d’augmenter l’efficacité globale du canal dans son ensemble. On passe ainsi d’un paradigme transactionnel classique à un paradigme relationnel qui vise à maintenir et à développer des relations de long terme (cf., sur ce point, la contribution de Sabri et Messeghem, dans ce numéro).

21Depuis le milieu des années 1990, et encore plus fortement dans les années 2000, l’image du grand commerce comme secteur prédateur a connu un net glissement vers les questions de cadre de vie, d’écologie et de développement durable, voire même de responsabilité sociale. Ainsi, certains travaux ont tenté de mettre en avant l’implication de la grande distribution dans la baisse de la qualité des produits et le développement de la « malbouffe », dans la dégradation des cadres de vie urbains et plus généralement dans le gaspillage et le pillage des ressources naturelles. Ainsi, l’avènement de la grande distribution se serait accompagné d’une standardisation importante induisant dans le domaine alimentaire des productions de masse sans goût ni originalité (Tinard et al., 2003). Force est pourtant de constater que, dans bien des cas, la grande distribution n’a fait que suivre un mouvement d’ensemble et que la baisse de qualité supposée est avant tout liée à un productivisme agricole qui s’est développé en même temps et parallèlement à la grande distribution. Concernant la dégradation du cadre de vie, il est vrai que le nombre jugé excessif de grandes surfaces à l’entrée des villes, mais également, et de plus ne plus, dans les centres-villes eux-mêmes, serait de nature à affecter durablement ce cadre de vie et ce, d’autant plus que ces établissements se caractériseraient généralement par « une esthétique douteuse » (Tinard et al., 2003). Cependant, outre le fait que là encore, on a des difficultés à cerner en quoi les établissements commerciaux seraient plus nocifs au cadre de vie, que les établissements industriels qui les ont précédés ; on ne peut pas nier que la grande distribution a souvent été une opportunité pour de nombreuses banlieues. Ainsi, par exemple, les centres commerciaux peuvent être vus avant tout comme des lieux de vie, des équipements structurants qui constituent souvent des éléments moteurs de la vie sociale de certains quartiers.

22Enfin, concernant le pillage des ressources naturelles, il nous semble que là aussi, aucune étude sérieuse n’a pu montrer que la grande distribution gaspillait plus de ressources naturelles que les autres secteurs de l’économie. Par contre, on observe que depuis les années 1990, cette même grande distribution s’est révélée plutôt proactive en matière d’investissements dans le développement durable. Les enseignes apparaissent en effet, plutôt volontaristes dans la gestion et la valorisation des déchets. Elles ont généralisé les économies d’énergie et lancé un certain nombre d’expérimentations en matière de logistique durable ou encore d’exploitation de magasins HQE (Georget et al., 2008).

Conclusion

23Dans cet article, nous avons mis en évidence et tenté de déconstruire un certain nombre de mythes concernant le commerce. Ces mythes, pour l’essentiel, trouvent leur origine dans des conceptions industrialistes qui continuent de perdurer dans les discours à la fois académiques et managériaux. Ils ne sont bien entendu pas exclusifs, et il en existe en effet bien d’autres que l’on aurait pu détailler ici : comme par exemple celui de la faible productivité ou de la faible performance supposée du commerce ou encore celui de sa faible capacité à maintenir l’emploi (voir de sa forte propension à le détruire). L’ensemble de ces mythes joue sans doute un rôle dans la faible attractivité, maintes fois invoquée, du secteur pour les jeunes diplômés. Nous pensons pour notre part qu’ils peuvent également être un facteur explicatif de la faiblesse (quantitative) relative des travaux académiques sur le champ de la distribution.

Notes

  • [1]
    Ministère de l’Économie, de l’Industrie et de l’Emploi (relatif aux États Généraux de l’Industrie), www.industrie.gouv.fr
  • [2]
    Dans la réalité plus que de relations parasitaires, il faudrait parler de phénomène de portage ou de « piggy back ».
  • [3]
    Dès le début des années 2000, six centrales d’achat (Carrefour, Leclerc-Système U, Casino, Cora, Intermarché et Auchan) contrôlent plus de 97 % du marché des produits de grande consommation.
Français

Résumé

Le grand commerce (ou la grande distribution) reste un secteur largement sous-investigué tant par les économistes que par les gestionnaires. Plus généralement, les travaux en SHS traitant spécifiquement de ce secteur sont encore trop rares et parcellaires. Selon nous, cette situation tient en partie à la prégnance dans la société civile, mais également parmi les chercheurs, d’un certain nombre de mythes concernant la grande distribution. Dans cet article, nous cherchons à revenir sur ces mythes en portant sur eux un regard largement critique.

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Camal Gallouj
Marie-Hélène Vigliano
Dernière publication diffusée sur Cairn.info ou sur un portail partenaire
Mis en ligne sur Cairn.info le 15/11/2012
https://doi.org/10.3917/maorg.015.0011
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