CAIRN.INFO : Matières à réflexion

1 Trois journalistes, deux Anglais et une Américaine, ont tout fait depuis l’entrée en vigueur de la loi sur la liberté d’information en 2005, pour qu’elle s’applique aux membres du Parlement et que la lumière soit faite sur les frais engendrés par leur mode de vie. C’est ainsi qu’ils ont été à l’origine du scandale des notes de frais qui a éclaboussé récemment de très nombreux parlementaires et une grande partie de la classe politique anglaise. L’histoire commence le 1er janvier 2005, cinq ans après avoir reçu l’assentiment royal le 30 novembre 2000, puisque la loi sur la liberté d’information entre enfin et intégralement [2] en vigueur à cette époque-là.

2 Or, tous les ans, le 5 novembre, les Anglais fêtent un échec, celui de Guy Fawkes, qui préméditait de faire exploser le Parlement. C’était au XVIIe siècle, en 1605 ; le militaire catholique voulait en finir avec l’intransigeance du roi protestant Jacques Ier. Arrêté, il fut condamné à être « pendu, étripé et coupé en morceaux ». À travers cet événement et à coup de feu d’artifice, les Anglais célèbrent par là même la résistance de Westminster, le temple d’une des plus vieilles démocraties du monde et le berceau du parlementarisme.

3 Quatre cents ans plus tard, la colère des Anglais qui s’exprime à travers l’affaire des notes de frais de leurs élus – et ce en pleine récession économique –, donne plutôt le sentiment qu’ils souhaitent désormais la chute du Parlement…

4 Pourtant, la loi sur la liberté d’information adoptée en 2000 devait rééquilibrer le système entre les pouvoirs exécutif et législatif, à l’avantage de ce dernier. Comme dans tout système politique d’Europe occidentale, le pouvoir exécutif a en effet gagné en importance sous l’effet de la Seconde Guerre mondiale. L’époque incitait les gouvernants à agir vite et l’institution parlementaire se prêtait mal à des prises de décision rapides. Les gouvernements profitèrent de cette situation et n’abdiquèrent pas cette conquête de compétences accrues dès la fin du conflit prononcée. Ainsi, l’emblématique Winston Churchill favorise, à cette époque-là, la doctrine d’un gouvernement tout puissant, grâce notamment au contrôle des informations officielles. En 1940, W. Churchill s’était retrouvé à la tête du gouvernement, avec pour mission de prendre les décisions essentielles engageant tout l’avenir d’un pays. Il eut l’occasion d’expérimenter les avantages d’une institution gouvernementale puissante et après la guerre, à nouveau devenu Premier ministre [3], il décida de prolonger ce caractère. W. Churchill contribua donc à renforcer la puissance gouvernementale britannique, très étroitement liée au contrôle des informations officielles. Par conséquent, le Parlement allait être désormais tenu informé de ce qui était strictement nécessaire et toute prise de décision, qu’elle soit minime ou relative au problème de la sécurité nationale, allait rester secrète et de la compétence exclusive du gouvernement.

5 Dans ce contexte, la loi de 2000 sur la liberté d’information s’impose comme une révolution à différents titres, à commencer par cette volonté affirmée de rendre l’institution gouvernementale transparente. En plus d’être ultra-puissant, le gouvernement britannique est encore aujourd’hui réputé être l’un des plus secrets d’Europe. Cette opacité est néanmoins voulue puisqu’elle lui assure la puissance. Dans ce contexte, l’observateur comprendra mieux en quoi la loi de 2000 a cherché à rééquilibrer les pouvoirs et à raffermir la position du Parlement face au gouvernement. Il semblerait bien néanmoins que la loi ait joué un effet boomerang sur le Parlement. Cette loi, désirée par la grande majorité des parlementaires à l’époque, s’est en réalité retournée contre l’institution tant considérée outre-Manche. Celle qui aurait dû revaloriser le Parlement face à un gouvernement ultra-puissant, secret et protégé, se retournera en réalité contre l’institution parlementaire à travers le scandale des notes de frais, la bridant encore plus sous l’effet de l’adoption de la loi du 21 juillet 2009. Cette loi vise en effet à réguler les frais parlementaires par la mise en place d’un comité de surveillance et la saisine possible d’un nouveau Commissaire en cas de doute sur les dépenses parlementaires.

6 Heather Brooke, Ben Leapman et Jonathan Ungoed-Thomas peuvent néanmoins dormir tranquilles. Ces trois journalistes ne seront pas condamnés à l’échafaud pour avoir fait trembler Westminster. Si les Anglais décident un jour de leur consacrer une fête, ce sera pour se souvenir de ces trois presque anonymes dont l’entêtement aura radicalement changé le paysage politique du royaume. Preuve s’il en est, la récente adoption de cette loi du 21 juillet 2009 créant une sorte de méta-comptable habilité à examiner et à autoriser, le cas échéant, les paiements versés aux élus.

7 Alors que la culture anglaise du secret était l’une des plus prégnantes en Europe, le principe de l’adoption d’une loi sur la liberté d’information en 2000 est apparu comme une véritable révolution pour le système. Néanmoins, à la lecture attentive des dispositions législatives, les différentes reculades du législateur par rapport au livre blanc (The White Paper) de 1997 apparaissent clairement. En ce sens, la loi marque davantage une évolution bien plus qu’une véritable révolution (I). Toutefois, dès l’entrée en vigueur de la loi, les citoyens ne vont pas hésiter à s’en emparer, et dans leur sillage, les trois journalistes à l’origine du scandale des notes de frais. Cette affaire provoquera en réalité une révolution inespérée du système, allant jusqu’à obliger les parlementaires à adopter la loi du 21 juillet 2009 et à se soumettre à un contrôle accru de leurs dépenses par rapport à ce que prévoyait la loi de 2000 (II).

I – DE LA RÉVOLUTION SOUHAITÉE PAR LE SYSTÈME À L’ÉVOLUTION ENTÉRINÉE PAR LA LOI

8 Le principe de l’adoption d’une loi sur la liberté d’information et de l’accès aux documents administratifs n’avait pas fait son chemin en Grande-Bretagne jusqu’à l’arrivée des travaillistes au pouvoir en 1997. Plusieurs causes endogènes au système semblaient constituer des obstacles insurmontables, jusqu’au jour où la loi sur la liberté d’information fut adoptée (A). Marquant des reculades par rapport au livre blanc de 1997, la loi de 2000 cristallisera finalement un certain nombre de mécontentements et n’apportera qu’une simple évolution au système (B).

A – LE PRINCIPE DE L’ADOPTION D’UNE LOI SUR LA LIBERTÉ DE L’INFORMATION OU LA RÉVOLUTION COPERNICIENNE

1 – La fin annoncée de la culture du secret

9 Le projet de loi du 18 novembre 1999 et la loi de 2000 marquent une rupture nette avec la tradition, dans un pays qui cultive « une culture de la déférence envers le pouvoir et où les gouvernements entretiennent une culture du secret » [4]. Le secret a habité pendant très longtemps le pouvoir exécutif, car ce dernier avait depuis longue date compris que « le savoir est le pouvoir » (« knowledge is power »). En effet, l’histoire constitutionnelle tend à montrer que l’institution gouvernementale est devenue puissante et s’est affirmée grâce au contrôle très étroit des informations, autrement dit grâce à ses secrets. Ainsi, l’idée même d’une transparence gouvernementale ou administrative ne peut s’accommoder du pouvoir exécutif britannique. Sir Humphrey Appleby résume ainsi, avec exactitude, la philosophie gouvernementale : « La transparence gouvernementale est une contradiction terminologique ; soit on est transparent, soit on gouverne » [5]. L’histoire constitutionnelle explique encore que le gouvernement britannique a gagné son indépendance vis-à-vis du Souverain au XVIIe siècle, en gardant secrètes ses informations. Par le moyen de la confidentialité, le gouvernement évita ainsi les intrusions royales dans son fonctionnement interne et garantit sa liberté vis-à-vis de lui.

10 Réminiscence de cette histoire constitutionnelle, le gouvernement britannique est aujourd’hui encore particulièrement bien protégé par des législations favorables à la confidentialité de ses informations [6], que celle-ci soit d’intérêt public ou d’intérêt plus contestable.

11 La déférence envers le gouvernement est enfin une autre caractéristique du système britannique et peut être généralisée à l’ensemble des institutions, y compris l’Eglise anglicane. L’immense respect dû aux institutions en général et au gouvernement en particulier a longtemps protégé le pouvoir exécutif de la transparence, sans que cela ne pose problème aux sujets de Sa Majesté.

2 – Une nouvelle façon de penser les libertés publiques en Grande-Bretagne

12 Pour la première fois, la loi de 2000 sur la liberté d’information donne aux citoyens le droit d’avoir accès aux documents et informations administratives. Elle instaure un véritable « droit de savoir » (« a right to know »), le droit des individus d’accéder légalement à des informations personnelles ou non, détenues par des organismes du secteur public. C’est une révolution pour la conception résiduelle des libertés publiques en Grande-Bretagne. Selon cette conception, en effet, exposée et défendue par Thomas Hobbes, il n’existe en Grande-Bretagne non pas des droits, mais seulement des libertés. En outre, ces dernières n’existent en principe que dans le silence de la loi. Autant dire que la loi de 2000 vient bousculer cette conception résiduelle des libertés en consacrant de façon très attendue un droit d’accès aux informations officielles. La loi renversera même le principe qui existait jusqu’alors suivant lequel aucune information détenue par le gouvernement ne devait être rendue publique, à moins que le gouvernement n’en disposât autrement.

13 La loi de 2000 remplacera finalement l’ancien Code déontologique de 1994 [7] – acquis par raison plus que par conviction par les conservateurs – et le recours à l’ombudsman britannique, le « Commissaire parlementaire pour l’administration » (« Parliamentary Commissionner for the Administration »). Ce Code édictait une liste de documents auxquels l’administration devait normalement accorder l’accès aux administrés. La violation de ce Code pouvait donner lieu à une plainte devant l’ombudsman britannique. Comme tout Code déontologique dont l’usage est fort répandu dans le système britannique, il restait néanmoins absolument dépourvu de toute vertu obligatoire…

14 Si la révolution réside dans l’esprit de la loi, les mesures législatives ne consacrent en réalité qu’une simple évolution. Cette évolution reste décevante et complexe, en outre. Décevante puisque la loi marque un net recul par rapport au livre blanc qui l’annonçait ; complexe puisque comme toute loi en Grande-Bretagne, elle reste une pièce étrangère au système juridique, largement gouverné par les décisions jurisprudentielles.

B – DES MESURES LÉGISLATIVES MODÉRÉES OU LA RÉALITÉ ANGLAISE

1 – Les reculades du projet de loi de 1999 par rapport au livre blanc de 1997

15 Ce texte, que le candidat travailliste avait promis à ses électeurs en 1997 (dans le programme travailliste tout d’abord, dans le livre blanc de décembre 1997 ensuite), oblige les autorités publiques à ne rien cacher de leurs dépenses. Moins ambitieux que prévu, le gouvernement ne manqua pas d’être accusé par les supporters de la loi de mettre à mal les recommandations du livre blanc de 1997. Le grand nombre d’exceptions ainsi que le droit de véto ministériel ont, selon eux, altéré l’esprit du livre blanc [8].

16 La loi de 2000 avait pourtant suivi un parcours inhabituel, ce qui incitait à croire qu’elle serait inédite : la consultation fut en effet double. Le gouvernement avait d’une part publié le fameux livre blanc « Your Right to Know » [9] qui présentait les grandes lignes de la réforme proposée. Le ministre libéral originellement responsable de ce projet, David Clark, avait reçu un grand nombre de réponses du public (550) aussi bien que des hommes politiques et des administrations. En mai 1999, le gouvernement avait d’autre part publié son avant-projet de loi en forme de documents à consultation [10], lequel fut soumis à un examen pré-législatif des commissions parlementaires des deux chambres. Le public, marquant tout son intérêt pour le sujet, a rendu un grand nombre de réponses à cette consultation, soit 2 248 en tout. Le public demandait un accès plus large et facilité aux documents administratifs, mais le gouvernement, en la personne de Jack Straw, venu remplacé le ministre démissionnaire David Clark, soutenait l’argument traditionnel de l’administration britannique, selon lequel le secret contribue à l’efficacité du gouvernement. Là devaient achopper les intentions libérales de l’avant-projet.

17 Le projet de loi fut, par conséquent, attaqué par six différents groupes – il fit ainsi l’objet de marchandages entre libéraux-démocrates et conservateurs –, l’attaque la plus conséquente étant venue du groupe travailliste, déçu par les reculades et par les promesses libérales non tenues. Trente-six travaillistes votèrent contre.

18 Beaucoup de parlementaires travaillistes, ainsi que ceux qui avaient mené la campagne depuis des années pour une telle loi, furent extrêmement déçus par le caractère limité du droit d’accès aux informations dans l’avant-projet et dans la loi.

19 Longtemps enfin, le gouvernement a mis en avant la difficulté technique de la mise en œuvre de ce texte de loi pour retarder l’entrée en vigueur définitive du texte. Il invoqua qu’il fallait du temps aux institutions pour mettre leurs services en conformité avec les nouvelles obligations législatives. Il a même été soupçonné d’avoir profité du retard pour détruire un certain nombre d’informations. Lorsque la loi entra enfin en vigueur le 1er janvier 2005, personne ne se douta qu’elle allait pourtant précipiter Westminster dans un des plus grands scandales de son histoire.

2 – Une loi décevante et complexe

20 La loi a accordé à l’administré un droit légal d’accès (a) avec un recours devant une instance indépendante, le « Commissaire à l’Information » (« The Information Commissionner ») (b).

a) Un droit légal d’accès

21 La loi a créé un droit d’accès aux informations détenues par les autorités administratives (« public authorities »). Les autorités soumises à cette loi comprennent le gouvernement central et les ministères, le gouvernement local et ses services, le Parlement britannique et les assemblées d’Irlande du Nord et du Pays de Galles [11], les forces armées, les collectivités locales, le service national de santé (NHS), les écoles, collèges et universités, la police, les cours, tribunaux et organismes para judiciaires [12].

22 La loi a prévu que l’administré adresse une demande assez précise à l’administration. L’administration a alors une obligation de répondre dans les vingt jours pour confirmer si elle détient cette information ou non et pour la lui communiquer moyennant un paiement éventuel pour les frais de copie. Dans la mesure du possible, les organismes doivent communiquer les informations sous la forme demandée par le requérant (copie ou résumé). Le requérant pourra également demander de consulter les informations sur place. Si l’organisme veut se donner un temps de réflexion pour décider si la divulgation des informations « exemptées » [13] est d’intérêt public, il peut bénéficier d’un délai pour donner une réponse finale. L’organisme doit alors faire la demande d’un test d’intérêt public et décider dans des « délais raisonnables ».

23 L’administration peut refuser de confirmer l’existence de deux types de documents, les documents exemptés d’accès de manière absolue et les autres, pour lesquels l’administration présente une justification d’intérêt général.

24 Dans la catégorie des exemptions ou exceptions absolues [14], l’administration bénéficie d’une protection automatique car elle ne doit pas fournir de motif d’intérêt général pour justifier le secret des informations visées. Il existe, à l’égard de ces informations, une présomption irréfragable. L’administration peut simplement refuser de confirmer ou de nier l’existence des informations en question. Les catégories principales d’informations exemptées de divulgation par la deuxième partie de la loi recouvrent la défense nationale et la sécurité interne, les relations diplomatiques entre États ou bien avec des organismes internationaux, les rapports entre les administrations britanniques, les privilèges parlementaires[15], les privilèges professionnels[16], la gestion de l’économie, les poursuites pénales, les inspections de finances, les documents concernant la formulation de la politique gouvernementale (les opinions et les conseils émis dans le cabinet du ministre), les honneurs et les documents concernant les informations individuelles, les secrets commerciaux ou bien les documents transmis avec un devoir de confidentialité. Certaines catégories évoquent les actes de gouvernement en France, mais alors que la conception retenue de ceux-ci tend à se restreindre dans l’hexagone, il n’en va pas de même en Grande-Bretagne.

25 En second lieu, la loi permet le refus de divulgation si, dans un cas particulier, l’intérêt général le justifie. Le test de l’intérêt public est alors appliqué. Dans ce cas, le refus doit être motivé en forme d’un bilan exposant les motifs d’intérêt général et l’importance du droit à l’information. L’article 36 de la Loi, par exemple, permet au ministre d’autoriser le refus de communiquer des informations en la possession de son ministère si la communication porte préjudice à l’échange complet et franc des opinions entre les ministères ou à l’intérieur de son ministère ou bien porte atteinte « à la gestion efficace de l’activité gouvernementale » [17]. L’organisme public devra, dans ce cas-là, informer le requérant de la procédure de réclamations et lui mentionner le droit de se plaindre auprès du « Commissaire à l’Information » [18].

26 D’une façon générale, si l’accès aux informations est refusé, l’organisme public doit expliquer quelle exception s’applique et, le cas échéant, pourquoi il n’est pas dans l’intérêt public de divulguer les informations. Il doit également faire savoir au requérant qu’il a le droit de se plaindre.

27 Au-delà de ces obligations légales de communication et conformément à la tradition britannique en la matière, la loi prévoit que le ministre de l’Intérieur édictera un Code de déontologie pour donner à l’administration des indications sur le bon comportement à adopter dans la réponse aux demandes d’information.

28 Le Lord Chancelier doit lui aussi publier un Code de déontologie sur la conservation et la gestion des archives de l’administration [19].

b) Un droit de recours

29 Si le requérant n’est pas satisfait de la décision de l’organisme public, il doit demander que l’organisme procède à une évaluation interne.

30 Si le requérant n’est toujours pas satisfait du résultat de l’évaluation, il peut se plaindre auprès du « Commissaire à l’Information ». Ce Commissaire, qui remplace l’ancien « Commissaire à la protection des données » (« Data Protection Registrar »), donne en effet des conseils à l’administration pour qu’elle se mette en conformité avec les exigences légales et les recommandations des codes déontologiques. Lorsqu’il estime qu’il existe des pratiques non conformes, il peut publier des recommandations pour encourager une meilleure observation de ces dernières. Au regard de son statut et de ses compétences, le Commissaire peut être assimilé, du point de vue du système français, à une autorité administrative indépendante.

31 L’administré qui se voit refuser la communication des documents peut aussi porter plainte devant le « Commissaire à l’Information ». Le commissaire peut alors demander à l’administration des informations pendant tout le temps de l’instruction du dossier. À la fin de son enquête, le commissaire peut ordonner à l’administration de communiquer des documents, ou bien peut rejeter la plainte. Dans le cas où le commissaire enjoint l’administration de communiquer un document, le ministre peut néanmoins lui opposer un arrêté qui justifie le refus par l’administration de se conformer à ses prescriptions. L’arrêté du ministre doit être dans ce cas déposé devant le Parlement (ou bien devant l’assemblée galloise ou nord irlandaise) dans un délai de vingt jours.

32 L’administré ou l’administration peuvent interjeter appel contre la décision du Commissaire devant une instance administrative spéciale, le « Tribunal de l’Information » (« The Information Tribunal », lequel remplace le « Tribunal à la Protection des Données » « Data Protection Tribunal »[20]). Il a vingt-huit jours pour le faire. La loi a enfin prévu un appel sur une question de droit devant la « Haute Cour de Justice », « The High Court of Justice ». Le recours peut donc être double, de type administratif devant le « Commissaire à l’Information » et/ou le « Tribunal à l’Information » et de type juridictionnel devant la « Haute Cour de Justice ».

33 La déception la plus grande des défenseurs du droit à l’information face à la loi de 2000 est venue de la présence des exemptions dont le champ d’application est vaste et extensible, ainsi que de l’existence d’un droit de véto ministériel. Pourtant, ils ne renoncèrent pas à exercer ce nouveau droit, même imparfait. Ce droit d’accès aux informations, exercé par les citoyens, ne tardera pas néanmoins à se retourner contre celui qui l’avait pourtant appelé de ses vœux, le Parlement.

II – DE L’ÉVOLUTION EXPÉRIMENTÉE PAR LES CITOYENS À LA RÉVOLUTION INESPÉRÉE DU SYSTÈME

34 L’utilisation de la Loi fut au départ plutôt anodine et tous azimuts, mais devant le succès grandissant, certains journalistes n’ont pas hésité à s’engouffrer dans la brèche. L’opacité qui entoure encore aujourd’hui le fonctionnement des institutions les a incités à maximaliser les potentialités de la loi. Westminster qui demeure jusqu’à présent en Europe un des parlements les plus secrets, fut ainsi ébranlé par l’un des plus grands scandales de son histoire (A). L’affaire fut telle que les parlementaires ont cédé en acceptant désormais de se soumettre aux prescriptions plus exigeantes d’une nouvelle loi qui vise le problème particulier de leurs dépenses. Si l’affaire des notes de frais a fait chanceler Westminster, la loi du 21 juillet 2009 finira peut-être par porter un nouveau coup à sa souveraineté. Voilà une limite supplémentaire imposée à la toute puissance du Parlement britannique qui ne manquera pas d’alimenter le débat sur les limites à la souveraineté parlementaire, sacro-saint principe de droit constitutionnel anglais (B).

A – WESTMINSTER PROVISOIREMENT ÉBRANLÉ PAR LE SCANDALE DES NOTES DE FRAIS

35 Malgré ses imperfections et sa grande complexité, la loi de 2000 a néanmoins marqué un tournant dans la vie publique : le principe du droit d’accès aux informations a été acquis. Ainsi, journalistes, particuliers, entreprises, hommes politiques, militants ont utilisé la loi pour demander toutes sortes d’informations. La diversité des informations passées dans le domaine public au cours de la première année qui a suivi l’entrée en vigueur de la loi est illustrée par les exemples suivants : concernant le gouvernement, le coût et l’utilisation des voitures officielles ; la compensation versée aux suspects de l’IRA ; les subventions européennes versées aux agriculteurs ; en matière de santé et de sécurité, les rapports sur les performances des chirurgiens ; l’utilisation des hôpitaux privés par le « Service National de Santé » (« NHS ») ; les essais de nouveaux médicaments ; les liens entre la maladie de Creutzfelt-Jakob et les repas scolaires ; en ce qui concerne les transports, le montant des amendes de parking recueilli par les collectivités locales ; les coûts des projets de transport (comme la 2e piste à l’aéroport de Stansted) ; l’emplacement des radars ; etc. L’observateur sera stupéfait de remarquer que jusqu’en 2005, date d’entrée en vigueur de la loi, ces informations, somme toute anodines, n’étaient pas, par principe, disponibles. Leur divulgation dépendait du bon vouloir des organismes publics.

1 – L’effet boomerang de loi de 2000 sur Westminster, ou le scandale des notes de frais

36 Heather Brooke, la journaliste américaine, est pigiste pour différentes publications. Ben Leapman travaille au Sunday Telegraph, Jonathan Ungoed-Thomas au Sunday Times. Sans eux, le scandale des notes de frais n’aurait jamais éclaté en mai 2009. Leur initiative traduit la puissance de la presse anglaise et sa pugnacité à transmettre au public des informations d’intérêt général. On en veut pour preuve l’affaire de la thalidomide portée à la connaissance du public par le Sunday Times et qui ira jusque devant la Cour européenne des droits de l’homme le 26 avril 1979. C’est à cette occasion que la Cour prononcera ces paroles célèbres concernant le rôle de « chien de garde » joué par la presse [21]. C’est aussi à cette occasion que la Cour rappellera le rôle tout à fait crucial que jouent les médias dans une société démocratique, caractérisée par le pluralisme des idées et par la transparence.

37 Heather Brooke connaît bien le sujet. Aux États-Unis, une loi sur la liberté d’information existe depuis 1967 et, avec le temps et l’affaire du Watergate, cette dernière est devenue un instrument puissant au service de la transparence. Les journalistes américains l’utilisent abondamment. Heather Brooke publie alors un livre (« Your Right to Know » [22]), une sorte de mode d’emploi de la loi. Elle décide d’en tester la pertinence, en demandant à Westminster de lui communiquer les dépenses d’une dizaine de parlementaires alors que le Parlement n’en a publié, en octobre 2004, que les grandes masses [23] (transport, logement, personnel…). La Chambre des Communes pensait que cela suffirait. Il se trouve qu’un député libéral-démocrate, Norman Baker, l’un des rares hôtes de Westminster à s’être battu pour la transparence de son institution, a engagé une procédure similaire, réclamant des détails sur la partie transports des notes de frais des députés.

38 À cette même époque – en 2005 –, le feu et emblématique Président de la Chambre des Communes (le « Speaker »), Michael Martin, luttait encore de toutes ses forces pour que la loi ne s’appliquât pas à son institution. Il avait soi disant trouvé dans la loi une faille qui aurait permis aux élus de se dispenser de toute obligation d’information sur le coût de leurs assistants parlementaires. La manœuvre était d’autant plus grossière que, dans un cas sur trois, les députés avaient l’habitude de faire travailler des membres de leur famille, parfois de manière fictive… En mai 2008, Michael Martin attise la braise en demandant à ce que les détails des dépenses des députés pour leurs résidences secondaires soient gardés secrets…

39 Heather Brooke décide alors de concentrer ses efforts sur l’allocation de résidence secondaire, qui doit permettre aux élus de se loger à Londres et dans leur circonscription. Ben Leapman et Jonathan Ungoed-Thomas qui, eux, ont fréquenté Westminster au cours de leur carrière de journalistes, orientent leurs recherches dans le même sens.

40 Les trois reporters qui, au départ, ne se connaissent pas, se voient opposer refus sur refus et décident chacun de leur côté, de porter l’affaire devant le « Commissaire à l’information », Richard Thomas. C’est comme cela que leur cause va devenir commune. M. Thomas rend une décision en demi-teinte en août 2007. Il estime que la Chambre des Communes doit publier plus de détails sur la manière dont les députés dépensent leur allocation de résidence secondaire, mais il ne satisfait pas à la demande des journalistes qui voudraient que l’intégralité des notes de frais soit divulguée. La Chambre des Communes et les journalistes vont donc faire appel. « Westminster est clairement l’un des Parlements les plus opaques. Il n’y a que la France et l’Allemagne qui fassent pire » estime à ce moment-là Hugh Tomlinson, l’avocat de Mme Brooke.

41 L’affaire ira jusque devant la « Haute Cour de justice », l’appel ayant aussi porté sur une question de droit. En mai 2008, cette juridiction – équivalente d’une première instance civile dans l’ordre français [24] – donne entièrement raison aux journalistes, arguant que le contribuable a le droit de savoir comment les parlementaires dépensent son argent. Westminster n’a plus en principe qu’à s’exécuter. Néanmoins, jusqu’au bout, les parlementaires vont résister et avec eux, le gouvernement…

42 En janvier 2009, ce dernier tenta en effet de faire adopter une loi qui exonérerait les parlementaires des obligations de la loi sur la liberté d’information. Les citoyens furent choqués et le firent savoir à leurs élus. David Cameron, le leader des conservateurs, annonçait déjà qu’il ne voterait pas cette loi. Gordon Brown décida alors de retirer ce texte. En mars 2009, un amendement fut néanmoins adopté, avec le soutien de l’exécutif, qui permettait à la Chambre des Communes de ne pas rendre publiques les adresses des députés, au nom du respect de la vie privée, et contrairement à ce qu’avait exigé la « Haute Cour de justice ».

43 Le stratagème visait à édulcorer le scandale potentiel des notes de frais des élus, qui avaient été scannées et enregistrées sur un CD-ROM en vue d’une publication durant l’été. Une fois les adresses effacées, nombre d’informations auraient disparu. « Nous savons que Westminster aurait censuré une grande part des informations », juge maître Tomlinson. Les autorités n’auraient pas non plus porté à la connaissance du public les demandes de remboursement qu’elles avaient refusées, comme cette petite maison pour canards, bâtie sur le modèle d’une villa de Stockholm au XVIIIe siècle, qu’un élu conservateur a fait construire… Westminster n’aurait pas non plus publié les lettres échangées avec certains élus quand leurs factures manquaient de précision. Ainsi du nettoyage des douves d’un manoir du XIIIe siècle qu’un député conservateur aurait qualifié d’« entretien de jardin » [25].

44 Il a fallu une fuite pour que la vérité éclate au grand jour : le fameux CD-ROM a été vendu pour plus de 75 000 livres (85 465 euros) au Daily Telegraph, où ne travaille aucun des trois journalistes. Nul besoin de rappeler dans ce contexte l’aspect tout à fait crucial de la confidentialité des sources des journalistes. Pourtant, les tentatives d’atteinte à ce principe demeurent, mais la Cour européenne, lorsqu’elle est saisie, ne manque jamais une occasion de rappeler son importance et de sanctionner, lorsqu’il en est besoin, les autorités étatiques concernées [26].

2 – Les ondes de choc du scandale : la classe politique décimée

45 Les travaillistes ont été les premières victimes du scandale des notes de frais et Gordon Brown en particulier, moins enclin que les leaders des autres partis à réagir rapidement dans cette affaire. Le Premier ministre a été pourtant obligé de remanier son gouvernement, l’hécatombe en terme de ministres démissionnaires étant tel.

46 Le 4 juin, le ministre du Travail de Gordon Brown, James Purnell, devenait le 5e membre démissionnaire du gouvernement et était le premier à réclamer la démission du Premier ministre. En trois jours, deux secrétaires d’État (Berverley Hugues et Tom Watson) et deux ministres (Jacqui Smith à l’Intérieur et Hazel Blears aux Collectivités locales) devaient en effet quitter le gouvernement. La démission de James Purnell est néanmoins d’une autre nature car celui-ci n’avait pas été concerné par le scandale des notes de frais. Gordon Brown comptait bien en outre garder ce ministre après son remaniement, mais la volonté de cet homme fut toute autre. Le 5 juin, c’est au tour de John Hutton, ministre de la Défense et de Geoff Hoon, ministre des Transports, d’en faire autant. Ce sont au final dix ministres et secrétaires d’État qui ont quitté le gouvernement, pris dans la tourmente du scandale. Alan Johnson passa quant à lui du ministère de la Santé à celui de l’Intérieur, ce qui fut perçu par tous les observateurs politiques comme une promotion.

47 Le Premier ministre, Gordon Brown, est lui-même en sursis, après avoir failli chuter en juin 2009. Le règlement du parti travailliste prévoit en effet que si 20 % de ses élus le souhaitent, ils peuvent demander qu’un nouveau leader soit élu. La demande est néanmoins périlleuse car si elle échoue, elle se retourne contre son ou ses initiateurs. En outre, comme l’a rappelé le nouveau numéro deux du gouvernement, Lord Mandelson, le renvoi du Premier ministre incite à une pression irrésistible pour l’organisation de nouvelles élections générales… et ces élections seraient aujourd’hui un désastre pour les travaillistes.

48 L’opposition n’est pas en reste. Le chef des conservateurs, David Cameron, a dû accepter la démission de son conseiller à la Chambre des Communes, Andrew MacKay, qui faisait lui aussi l’objet de révélations dérangeantes. Marié à la députée Julie Kirkbride, Andrew MacKay a obtenu le remboursement d’une partie d’un prêt immobilier pour leur résidence londonienne jusqu’en avril 2008, pendant que sa femme se faisait indemniser pour leur deuxième maison en province. « Inacceptable », a tranché David Cameron.

49 C’est plus d’une cinquantaine de députés qui quittera au final la vie politique, sous les coups portés par le scandale des notes de frais. Selon certains experts, au moins 300 députés (sur 646) ne retrouveront pas leur siège aux prochaines élections législatives, prévues d’ici à la mi-2010. Un taux de remplacement jamais vu depuis 1945…

50 Le 19 mai 2009 enfin, le président de la Chambre des Communes lui-même, Michael Martin, était contraint à démissionner, une première historique pour un Speaker depuis 1695... Il a été depuis remplacé par le conservateur John Bercow, élu grâce aux députés travaillistes, mais qui fait, comme son prédécesseur, déjà parler de lui. Faisant fi, semble-t-il de la loi de 2000, de celle de 2009 et du scandale des notes de frais qui obligea pourtant son prédécesseur à quitter ses fonctions, le Daily Telegraph[27] a annoncé que le président de la Chambre des Communes venait de réaménager, au frais du contribuable, le logement de fonction qui lui revient à Westminster pour la modique somme de 23 000 euros. Des dépenses justifiées, selon lui, par sa famille nombreuse. Après le départ de Michael Martin, John Bercow, deuxième plus jeune Speaker de l’histoire de la Grande-Bretagne à 46 ans, était pourtant devenu le symbole du renouveau de Westminster. Lors de son arrivée au perchoir, il s’était engagé à ne pas réclamer les frais afférents à sa résidence secondaire, ce qui représente près de 24 000 livres par an (28 300 euros). Il s’était aussi engagé à « mettre en œuvre un programme de réformes, pour le renouveau, la revitalisation et l’affirmation des valeurs au cœur de cette grande institution dans le contexte du XXIe siècle ». Il avait également promis de « tout faire » pour que le Parlement, éclaboussé par le scandale, retrouve la confiance des Britanniques. L’a retrouveront-ils grâce à l’adoption de la loi du 21 juillet 2009 visant à réguler les dépenses des députés ? C’est en tout cas ce qu’espère Gordon Brown.

B – WESTMINSTER DÉFINITIVEMENT BRIDÉ PAR LA LOI DU 21 JUILLET 2009 [28] ?

1 – Une loi de moralisation ?

51 À la demande du Premier ministre, la Chambre des Communes et la Chambre des Lords ont adopté le 21 juillet une loi visant à mettre fin aux pratiques à l’origine du scandale des notes de frais abusives de certains députés. On peut aussi penser que la loi de 2000 n’ayant fixé qu’un principe de libre accès aux informations, la loi de 2009 contribue à sa mise en œuvre effective dans le domaine sensible des dépenses parlementaires. C’était à prévoir et c’était souhaitable, pour une grande partie de la doctrine notamment [29], puisque si le droit d’accès était acquis en 2000, la loi sur la liberté d’information n’avait pas été assez loin.

52 Cette loi, que le Premier ministre souhaitait aussi que l’on adoptât rapidement avant l’été, prévoit notamment la mise en place d’une autorité indépendante destinée à examiner en détail, puis à autoriser ou non les paiements versés aux élus. La loi donne donc naissance à une nouvelle autorité [30] chargée de réguler les notes de frais des députés, un organisme désormais indépendant de Westminster. Jusqu’ici, les dépenses étaient examinées et remboursées par un organe interne à Westminster, selon des règles qui se sont avérées permissives. À côté de ce comité de régulation, la loi envisage en outre la création d’un nouveau Commissaire chargé des enquêtes parlementaires [31]. Il est à craindre néanmoins que, de la même façon que la loi de 2000, tout repose sur ce Commissaire et sur sa personnalité.

53 Conformément à la nouvelle loi, toute demande falsifiée de remboursement de frais sera jugée illégale, son auteur pouvant encourir une peine allant jusqu’à un an de prison.

54 Le Premier ministre Gordon Brown s’est réjoui lors d’une conférence de presse le 28 juillet 2009, de cette avancée : « Nous sommes le premier pays à avoir un régulateur indépendant. »

55 Certains reprochent néanmoins au gouvernement d’avoir été trop vite dans le travail pour des raisons de communication publique. Il lui est notamment fait grief de n’avoir pas attendu le rapport parlementaire sur les notes de frais, qui doit paraître en octobre. Certains paragraphes du texte initial ont aussi été supprimés afin que le projet soit adopté avant l’été. À l’origine, par exemple, l’autorité indépendante devait pouvoir se pencher sur les notes de frais des députés et des lords, mais ces derniers ne sont plus aujourd’hui concernés par la loi. Elle détenait aussi à l’origine des pouvoirs de sanction, mais cela a été bien vite retiré du projet, faute d’accord entre tous les partis politiques. Autre exemple, un acte initialement passible de prison – rendre un service contre rémunération – ne le sera plus. Au final, il est à craindre que la portée de la loi soit somme toute limitée et les pouvoirs de la nouvelle autorité non dissuasifs. Les nouvelles dépenses engagées par le Speaker pour rénover son logement de fonction le prouvent…

56 « Rien n’a vraiment été fait pour améliorer l’état calamiteux de la politique britannique », a critiqué Nick Clegg, le président du Parti libéral-démocrate, à juste titre comme l’indiquent les récents événements. Le conservateur Alan Duncan a, en revanche, approuvé le retrait de certaines mesures radicales : « Elles auraient eu un impact dévastateur sur la Chambre et auraient empêché les députés d’agir librement. » Mais, pour lui, la loi reste tout de même « une mesure de panique ».

57 Il n’empêche, le ministre britannique de la Justice, Jack Straw, s’était pourtant félicité de ces nouvelles mesures. « Je ne vais pas m’excuser parce que le texte a changé en cours de route alors que c’est l’essence même du processus parlementaire. J’aurais été bien plus critiqué si j’avais résisté aux changements ». Pour lui, l’essentiel était que, grâce à cette loi, les abus du passé ne puissent plus se reproduire. Le présent fait mentir cette loi.

2 – Un nouveau coup porté à la souveraineté de Westminster ?

58 La souveraineté parlementaire constitue toujours aujourd’hui un fondement constitutionnel essentiel du système britannique [32], aux côtés néanmoins d’un autre principe tout aussi cardinal, le principe de l’État de droit. Il s’exprime en Grande-Bretagne à travers le concept de « Rule of Law » – soit la soumission des autorités publiques à la règle de droit – dont la garantie revient aux juges et dont le regain de vigueur est en ce début de XXIe siècle notoire. Il aura fallu longtemps avant que l’idée n’émerge selon laquelle l’action du Parlement doit être soumise à des contraintes aussi bien de forme que de contenu et que le contrôle de leur respect doit être exercé par le juge [33]. Ceci est d’autant plus important que la règle majoritaire qui est à la base du système démocratique peut quelque fois être détournée et utilisée pour porter préjudice aux droits et libertés fondamentaux. Dans cette perspective, soumettre le législateur au respect des règles juridiques échappant à son emprise permettrait d’opérer la nécessaire conciliation entre démocratie et État de droit. En ce sens, la loi du 21 juillet 2009 y contribue, même modestement. Ceci est d’autant plus souhaitable qu’en Grande-Bretagne, le parti vainqueur aux élections générales et son leader contrôlent l’ensemble des fonctions législatives et exécutive, ce qui fit dire à certains à l’époque du règne de Mme Thatcher qu’il s’agissait de « dictature élue » [34].

59 Le progrès est d’autant plus remarquable que la souveraineté parlementaire a toujours été évoquée par les pères fondateurs de la théorie constitutionnelle britannique en de véritables termes de suprématie. Elle signifiait pour W. Blackstone que : « Le pouvoir et la juridiction du Parlement […] sont tellement transcendants et absolus qu’ils ne peuvent être contenus, pour quelque raison ou en présence de quelque personne que ce soit, dans quelconque limite […] Il dispose de l’autorité souveraine, et échappant à tout contrôle, d’édicter, de confirmer, d’étendre, de restreindre le champ d’application, de mettre fin, d’invalider, de ressusciter, d’interpréter des règles juridiques relatives à toutes sortes de matières […] Il est exact que ce que le Parlement a fait, nulle autorité sur terre ne saurait le défaire. » [35] La souveraineté était aussi affirmée en ces termes par A.V. Dicey : « Le Parlement […] dispose, dans le cadre de la constitution anglaise, du droit de faire et de défaire n’importe quelle règle de droit ; et en outre, qu’aucune personne, ni aucun organe ne se voient juridiquement reconnu le droit d’outrepasser ou d’ignorer une législation adoptée par le Parlement. » [36]

60 Puisse aujourd’hui le peuple britannique, à qui appartient en dernier ressort en démocratie la souveraineté, conserver le sens critique de l’exercice de cette dernière par le Parlement.

61 Novembre 2009

Notes

  • [1]
    The Freedom of Information Act, 2000 (http://www.opsi.gov.uk/Acts/acts2000/ukpga_ 20000036_en_1).
  • [2]
    Certaines parties de la loi sont en effet déjà entrées en vigueur, en 2002 par exemple.
  • [3]
    Son deuxième mandat courra de 1951 à 1955.
  • [4]
    Déclaration de Hugh Tomlinson, avocat qui a défendu gratuitement Heather Brooke devant les tribunaux. Propos recueillis dans Le Monde du 28 mai 2009.
  • [5]
    Sir H. Appleby, traduit de l’anglais : « Open government is a contradiction in terms. You can be open, or you can have government. » Cité dans l’ouvrage de G. Robertson, Freedom, the Individual and the Law, Londres, Penguin Books, 6e éd. 1989, p. 129.
  • [6]
    Cf. toutes les législations britanniques sur les secrets officiels (« Official Secrets Acts » (1911, 1920, 1989)) et sur la rupture de la confidentialité (« Breach of Confidence »). R. Stone, Civil Liberties ans Human Rights, 6e éd., Oxford University Press, 2006, p. 282 et s. ; D. Feldman, Civil Liberties and Human Rights in England and Wales, 2e éd., Oxford University Press, 2002, p. 863 et s.
  • [7]
    Code of Practice on Access to Government Information (entré en vigueur le 4 avril 1994, révisé en 1997 puis encore en 1998).
  • [8]
    Une exception peut par exemple aujourd’hui être justifiée dès qu’il existe un « préjudice à l’intérêt public » et plus, comme l’envisageait pourtant le Livre blanc, un « danger substantiel à l’intérêt public ».
  • [9]
    Cm. 3818, 1997. Voir plus généralement à ce sujet P. Birkinshaw, Freedom of Information, 2e éd., Londres, 1996.
  • [10]
    Cm. 4355, 1999.
  • [11]
    L’accès aux documents des administrations écossaises relève de la compétence du Parlement écossais et cette loi ne s’y applique pas.
  • [12]
    Schedule 1. La loi permet néanmoins au ministre de modifier cette liste par voie de décret (statutory instrument).
  • [13]
    Référence aux exceptions de divulgation prévues par la loi. Cf. Exemptions.
  • [14]
    Cf. « absolute exemptions »
  • [15]
    Cf. « Information which must be exempted in order to avoid an infringment of the privileges of Parliament » (section 34). « L’information qui doit être exemptée afin d’éviter un chevauchement sur les privilèges du Parlement. » Les privilèges parlementaires sont considérés comme nécessaires pour protéger le Parlement, à titre collectif, et ses membres, à titre individuel, de toute obstruction ou ingérence dans l’exercice de leurs fonctions. Ces privilèges comprennent notamment la liberté d’expression des parlementaires, qui protège les membres des plaintes pour diffamation, ainsi que le droit de chacune des deux chambres d’exercer un contrôle sur ses propres affaires.
  • [16]
    Cf. « Information subject to legal professional privilege » (section 42). « L’information assujettie au privilège professionnel légal ».
  • [17]
    Cf. « would otherwise préjudice… the effective conduct of public affairs ».
  • [18]
    Cf. « The Information Commissionner », ou « ICO ».
  • [19]
    Pour finir, les informations doivent également être publiées dans le cadre du programme de publication de l’organisme public. Avec ce programme, qui doit être approuvé par le « Commissaire à l’Information », l’organisme public s’engage à rendre publiques certaines informations et à publier un guide expliquant comment avoir accès à ces informations. Ce programme doit indiquer le type d’informations qu’ils rendent généralement publiques, la forme sous laquelle elles sont communiquées et si la publication est payante. Une fois le programme approuvé, l’organisme public devra le réviser de temps à autre et s’assurer qu’il publie les informations conformément à ce programme. Le « Commissaire à l’Information » pourra aussi approuver des programmes de publication modèle. Ces programmes conviendront aux groupes d’organismes similaires qui détiennent et publient des informations similaires.
  • [20]
    « Tribunal » est un faux ami dans le système juridique anglais car ces « tribunaux » n’exercent pas de compétence juridictionnelle à proprement parler. Ils s’apparentent bien plus à des autorités administratives indépendantes qu’à des cours de justice.
  • [21]
    CEDH, 26 avril 1979, Sunday Times c. RU, Série A, n° 30 ; « (…) Les médias ont un rôle de « chien de garde » ; « (…) The media have a role as “watchdog” » (§ 65).
  • [22]
    En référence probablement au fameux livre blanc de 1997 « Your Right to Know ».
  • [23]
    Comme l’exige la loi de 2000 désormais. Cf. les programmes de publication, note 17.
  • [24]
    Cette équivalence est très grossière car la distinction qui caractérise l’ordre juridictionnel britannique tient à la différence entre les juridictions inférieures (proches de l’arbitrage) et supérieures (assimilées à des cours). Une juridiction de l’ordre supérieur est en outre réputée être une juridiction omnipotente, pouvant donc tour à tour agir au civil comme au pénal, en première instance comme en appel.
  • [25]
    En 2009, les trois journalistes avaient commencé par révéler qu’un élu avait fait changer vingt cinq ampoules par un électricien aux frais du contribuable, qu’une autre s’était acheté avec l’argent public quatre lits en deux ans pour un studio, qu’un 3e s’était fait rembourser deux tapis persans, ou encore un écran de télé dernier cri, qu’un 4e avait fait réparer sa piscine, qu’une 5e s’était fait payer son maquillage, qu’un 6e se faisait rembourser la location de DVD pornographiques, etc.
  • [26]
    Cf. l’arrêt de principe Goodwin c. R.U. du 27 mars 1996 rendu par la Cour européenne des droits de l’homme à propos du secret des sources journalistiques. Cet arrêt concernait le journaliste anglais William Goodwin, qui avait publié des informations « sensibles » concernant de graves difficultés financières au sein de la firme britannique d’emballage Tetra Ltd. En dépit des demandes de l’entreprise et de la justice anglaise, W. Goodwin refusa de dévoiler le nom de son informateur, ce qui lui valut une amende pour « contempt of court » (qui peut être traduit très généralement par « offense à la cour »). Mais la Cour a jugé cette condamnation contraire à la Convention européenne des droits de l’homme. D’après la Cour, seul un impératif prépondérant d’intérêt public, qui n’existait pas en l’espèce, pouvait obliger le journaliste à divulguer ses sources. Depuis lors, la Cour a confirmé cette jurisprudence dans plusieurs autres arrêts. En 1999, la Cour a prononcé un autre arrêt de principe concernant cette fois-ci la France, l’arrêt Fressoz et Roire c. France du 21 janvier 1999. L’affaire portait sur la publication d’un document secret obtenu par des moyens confidentiels. Dix ans plus tôt, le journal Le Canard enchaîné avait reproduit la déclaration fiscale du PDG de Peugeot montrant que ce dernier s’était accordé une plantureuse augmentation de salaire au moment même où un effort salarial était demandé au personnel. À l’époque, Le Canard enchaîné avait été condamné pour recel de documents secrets. Mais, en 1999, la Cour a également jugé cette condamnation contraire à l’article 10 de la Convention qui protège la liberté d’expression et la liberté d’information.
  • [27]
    http://www.telegraph.co.uk/news/newstopics/mps-expenses/5974009/MPs-expenses-speaker-John-Bercows-20000-bill-for-apartment.html
  • [28]
    http://news.parliament.uk/2009/07/mps-debate-parliamentary-standards-bill/
    http://services.parliament.uk/bills/2008-09/parliamentarystandards.html –
    http://news.scotsman.com/politics/Standards-Bill-rushed-through-before.5480513.jp –
    http://news.parliament.uk/2009/07/parliamentary-standards-bill-remaining-stages/
  • [29]
    S. Palmer « Freedom of Information : Principles and Problems : A comparative Analysis of the Australian and Proposed UK Systems », in University of Cambridge Centre for Public Law (ed.), Constitutional Reform in the UK : Practice and Principles (Oxford, Hart Publishing, 1998), p 266 ; R. Austin « Freedom of Information : The Constitutional Impact », in J. Jowell and D. Oliver (eds), The Changing Constitution, 4e ed. 2000, Oxford University Press, p. 371.
  • [30]
    Il s’agit plus exactement de l’IPSA, Independent Parliamentary Standards Authority. C’est en réalité un comité chargé de la régulation des salaires des députés, de leurs dépenses et de leurs primes.
  • [31]
    Il s’agit cette fois-ci du « Commissioner for Parliamentary Investigations ».
  • [32]
    La souveraineté parlementaire est exposée par son plus grand défenseur, A.V. Dicey, comme la clé de voute de tout le système constitutionnel britannique ou la « pierre angulaire » (« cornerstone ») de ce dernier. Introduction to the Study of the Law of the Constitution, Macmillan, 1885, p. 70.
  • [33]
    Cela s’exprime notamment à travers l’existence de deux lois constitutionnelles (une révolution pour le système) adoptées par le Parlement britannique dans le contexte d’un système dualiste, la loi sur les communautés européennes de 1972 (The European Communities Act, ECA) d’une part, et la loi sur les droits de l’homme de 1998 (The Human Rights Act, HRA) d’autre part.
  • [34]
    Traduit de l’expression anglaise « elective dictatorship » de Lord Hailsham, tirée de son ouvrage The dilemma of Democracy, Collins, 1978, p. 126.
  • [35]
    « The power and jursidiction of Parliament […] is so transcendent and absolute, that it cannot be confined, either for causes or persons, within any bounds. […] It has sovereign and uncontrollable authority in the making, confirming, enlarging, restraining, abrogating, repealing, reviving, and expounding of laws, concerning matters of all possible dénominations […] True it is that what Parliment did, no authority upon earth can undo. » W. Blackstone, Commentaries on the Laws of England, Clarendon Press, 1765 à 1769, vol. I, p. 160 à 161.
  • [36]
    « Parliament […] has, under the English constitution, the right to make or unmake any law whatever ; and further, that no person or body is recognised by the law as having a right to override or set aside the législation of Parliament. » A.V. Dicey, Introduction to the Study of the Law of the Constitution, Macmillan, 1885, p. 39.
CÉLINE LAGEOT
maître de conférences en droit public à l’Université de Poitiers, CECOJIUMR 6224.
Dernière publication diffusée sur Cairn.info ou sur un portail partenaire
Mis en ligne sur Cairn.info le 07/11/2011
https://doi.org/10.3917/rfdc.087.0641
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