Introduction
1 D’après la plupart des études de prévalence réalisées dans les pays occidentaux, il apparaît qu’entre 42 et 90 % de la population adulte joue au minimum à un type de jeu de hasard et d’argent (JHA) au cours d’une année (Azmier, 2000 ; Abbott et al., 2004 ; Lund, 2006 ; Wardle et al., 2007 ; Canadian Partnership for Responsible Gambling, 2012 ; Williams et al., 2012). Tandis qu’une large part de la population joue aux JHA, seulement une partie restreinte de celle-ci développera un comportement de jeu problématique, qui est estimé entre 0,4 et 11 % de la population générale (Williams et al., 2012). En France, cela représenterait 1,3 % de la population, dont 0,9 % de joueurs à risque modéré et 0,4 % de joueurs pathologiques (Étude INPES-OFDT, 2010).
2 Au fil du temps, diverses conceptualisations du trouble du jeu pathologique ont fait leur apparition. Depuis son introduction officielle, dans la troisième version du Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders, DSM-III (American Psychiatric Association, 1980), le diagnostic du jeu pathologique a connu certains remaniements dans les versions qui ont suivi comme celle du DSM-IV (American Psychiatric Association, 1994) et celle du DSM-IV-TR (American Psychiatric Association, 2000). Ainsi, le jeu pathologique figure dans la catégorie des « troubles du contrôle des impulsions » dans le DSM-IV-TR tandis que dans la nouvelle version du DSM-5 (American Psychiatric Association, 2013), il entre désormais dans celle des « Substance-Related and Addictive Disorders », soit des « troubles addictifs liés aux substances ». En outre, le jeu problématique est la seule addiction sans substance à avoir été incluse dans cette section et est défini comme « un comportement de jeu problématique persistant et récurrent conduisant à une altération ou une souffrance cliniquement significative ». Les pratiques de jeu y sont présentées dans un ensemble pouvant aller du jeu à faible risque au comportement de jeu modéré à sévère.
3 Dans un premier temps, l’objectif d’abstinence et/ou de jeu contrôlé dans les interventions thérapeutiques sera questionné au regard des particularités typologiques des joueurs pathologiques. Un second temps sera consacré à l’étude du cas clinique d’une joueuse pathologique.
Abstinence ou jeu contrôlé : quel objectif pour quel patient ?
4 L’objectif quant à la finalité d’un soin et d’un accompagnement thérapeutique, dans le cadre du jeu pathologique, à savoir l’abstinence ou le jeu contrôlé ne fait pas consensus et est encore en questionnement.
De l’abstinence…
5 L’abstinence reste l’unique objectif dans la majorité des interventions thérapeutiques pour le jeu pathologique. Cela peut s’expliquer en partie par l’influence du mouvement des Gamblers Anonymous (GA) soit les joueurs anonymes dont la philosophie soutient ce modèle, mouvement parallèle aux Alcooliques Anonymes (AA). Ces derniers ont longtemps été très influents pour les personnes ayant des problèmes d’alcool, leur famille, la législation, le paramédical et les professions médicales. Leur noyau central est l’abstinence, notion partagée par les GA concernant le jeu pathologique (Ladouceur, 2005).
6 En accord avec la littérature sur la consommation contrôlée d’alcool, l’abstinence semble être l’objectif le plus adapté pour certains joueurs. Même avec l’aide et le soutien de professionnels, ces personnes ne seront pas à même de réussir à maintenir leur objectif de jeu contrôlé (Sobell et Sobell, 1995).
Pour quels types de joueurs ?
7 Toutes les personnes qui s’adonnent aux JHA ne font pas partie d’un groupe d’individus homogène. En effet, depuis une vingtaine d’années, plusieurs études sur les différentes typologies de joueurs pathologiques ont été proposées sans toutefois permettre d’établir un modèle conceptuel typologique consensuel (McCormick, 1987 ; Blaszczynski et Nower, 2002 ; Stewart et al., 2008). Toutefois, l’analyse des convergences de ces modèles a permis d’identifier des sous-groupes de joueurs pathologiques ayant des traits spécifiques.
8 Un sous-type serait composé de joueurs qui pourraient être très émotifs et jouer pour réguler leurs affects tant positifs que négatifs (Stewart et al., 2008). Celui-ci s’accorderait aux « joueurs déprimés de manière répétitive » de McCormick (1987) ainsi qu’aux « joueurs émotionnellement vulnérables » de Blaszczynski et Nower (2002). Ces derniers considèrent qu’il est difficile pour ces joueurs de retrouver un niveau de contrôle suffisant sur leur fonctionnement de jeu.
9 Un autre sous-groupe présenterait des joueurs ayant des traits antisociaux et qui seraient plus impulsifs. Pour Blaszczynski et Nower (2002), ces joueurs seraient dans une impossibilité de revenir à un niveau de jeu contrôlé.
…au jeu contrôlé ?
10 Certaines études permettent d’observer que l’accompagnement thérapeutique pour le jeu pathologique fondé sur l’objectif exclusif d’abstinence peut conduire à un arrêt du comportement de jeu, au moins temporairement, chez certains joueurs. Néanmoins, pour d’autres, le retour au jeu serait fréquent (Robson et al., 2002 ; Ladouceur, 2005 ; Ladouceur et al., 2009). Les rechutes à répétition amènent ces auteurs à penser que le but unique de l’abstinence est, pour certains joueurs, irréaliste.
11 L’étude de deux cas cliniques réalisée à la même époque a permis de remarquer que pour des joueurs problématiques et pathologiques, l’objectif de regagner du contrôle sur leurs usages de jeu était réalisable (Dickerson et Weeks, 1979 ; Rankin, 1982). Quelques années plus tard, l’analyse d’un autre cas clinique, orienté également vers un objectif de jeu contrôlé a aussi montré une réussite concernant la réappropriation du joueur de ses capacités de contrôle sur ses habitudes de jeu (Toneatto et Sobell, 1990).
Pour quels types de joueurs ?
12 L’analyse des similitudes entre les typologies de joueurs apporterait un appui quant à la présence d’un troisième sous-groupe distinct de joueurs pathologiques. Soit un dernier sous-type où les joueurs auraient moins de troubles que dans les deux premiers évoqués précédemment (Blaszczynski et Nower, 2002 ; Stewart et al., 2008). Blaszczynski et Nower (2002) décrivent pour ces joueurs la possibilité de revenir à un usage contrôlé du jeu.
L’intérêt du jeu contrôlé comme objectif initial
13 Ladouceur (2005) explique que la réussite de l’utilisation du jeu contrôlé durant les premières étapes du soin peut entraîner une augmentation de la perception de l’efficacité personnelle du joueur, ce qui pourrait augmenter la probabilité que le joueur accepte ensuite l’abstinence comme objectif de soin.
14 De plus, dans une autre recherche réalisée par Ladouceur et son équipe (2009), il est signifié que l’objectif du jeu contrôlé était considéré par les joueurs de leur étude comme plus attrayant que l’abstinence. En effet, les joueurs qui ont terminé ce soin ont révélé à leur thérapeute qu’ils n’auraient pas accepté cet accompagnement si l’objectif initial avait été l’abstinence. Pour Hodgins (2005), certains joueurs pourraient être incités à se saisir des lieux spécialisés de soins si le jeu contrôlé faisait également partie des objectifs proposés. Les données actuelles sont favorables à l’idée que l’objectif d’abstinence est limité, qu’il n’est pas pour tous les joueurs et qu’il peut aussi freiner certaines personnes pour entamer une démarche de soins (Ladouceur, 2005). Ces informations sur l’attrait ne sont pas négligeables, au regard du nombre de joueurs pathologiques qui ne font pas de demande d’aide professionnelle. En effet, seulement 3 % des joueurs pathologiques aux États-Unis consulteraient pour leur problème de jeu (National Opinion Research Center, 1999).
15 Une synthèse d’études révèle que les taux d’abandons du soin concernant les joueurs pathologiques varieraient entre 14 et 50 % (Melville et al., 2007).
Discussion
16 Même si l’abstinence reste le but unique dans la plupart des interventions concernant les problèmes de jeu, un autre type de parcours de soins est désormais parfois présenté comme une solution alternative et viable pour certains joueurs pathologiques afin qu’ils puissent regagner du contrôle sur leurs habitudes de jeu, s’inscrivant ainsi dans un contexte de réduction des risques.
17 Par ailleurs, il paraît difficile de différencier les joueurs pathologiques qui pourraient utiliser le jeu contrôlé de ceux qui ne le pourraient pas, autrement dit, d’évaluer et de comparer leur degré de dépendance au jeu. Cette notion même de jeu contrôlé est encore floue et nécessite des éclairages autant théoriques, qu’empiriques (Ladouceur et al., 2009).
18 Ainsi, au vu de ces différentes études, il semblerait important de pouvoir développer des soins et un accompagnement thérapeutique qui prennent en considération le fait que les joueurs pathologiques constituent un groupe hétérogène. Toutefois, différents sous-groupes de joueurs ayant des traits spécifiques ont été identifiés. Il paraîtrait intéressant de pouvoir disposer d’une large gamme d’options d’interventions pour les joueurs liée à leurs troubles spécifiques. Ce modèle aurait pour visée d’éviter le clivage de l’abstinence ou du jeu contrôlé comme seul objectif, avec un seul type de soins possible, et plutôt de souligner la complémentarité des approches.
Étude du cas clinique d’une joueuse pathologique
Présentation
19 Ludivine, une femme proche de la quarantaine est mariée et mère de deux enfants : un garçon de vingt ans, issu d’une première union et une fille de douze ans née de son époux actuel. Ludivine est esthéticienne. La mère de la patiente est décédée, il y a un peu plus d’une dizaine d’années et était considérée par la patiente comme dépendante à l’alcool. Son père est décédé, par suicide, il y a quinze ans. Elle décrit ce dernier comme un homme fermé et dont elle ne connaît ni l’histoire, ni la famille. Ludivine parle d’un lien fort et privilégié avec lui. Ses parents ont divorcé quand elle était enfant. Ludivine est la quatrième d’une fratrie de cinq enfants. L’étude de ses antécédents familiaux révèle la présence d’une problématique addictive sur plusieurs générations.
20 Ludivine est une joueuse pathologique qui s’adonne principalement aux machines à sous et plus particulièrement aux machines à rouleaux. Elle utilise ce type de jeux dits « non stratégiques » et peu interactifs (Potenza et al., 2001 ; Potenza et al., 2006). Ludivine précise avoir commencé à jouer au casino en famille, il y a plus d’une dizaine d’années. Elle joue seule depuis un an et demi avec une perte de contrôle, en augmentant significativement les fréquences et les sommes. Les derniers mois, Ludivine jouait quotidiennement une centaine d’euros.
Origine de la prise en charge
21 Ludivine est arrivée aux urgences de l’hôpital suite à une tentative de suicide à son domicile puis elle a rapidement été orientée dans un service de médecine où elle est restée quelques jours. Au cours de cette hospitalisation, la patiente a rencontré un infirmier de psychiatrie de liaison qui a relevé une problématique liée à sa pratique de jeu au casino. Ainsi, l’Équipe de Liaison et de Soins en Addictologie (ELSA) a été contactée afin de réaliser une évaluation auprès de cette patiente. Ludivine décrivait être dans l’incapacité de surmonter les conséquences négatives liées à sa pratique excessive de jeu. La patiente nous a également fait part de sa culpabilité et de ses appréhensions quant aux réactions de son mari à qui elle essayait de cacher son addiction. Ludivine a ainsi été orientée vers le Centre de Soins d’Accompagnement et de Prévention en Addictologie (CSAPA). Cinq jours après sa sortie de l’hôpital, Ludivine a été reçue par une psychiatre addictologue du CSAPA où un suivi mensuel a été mis en place. Parallèlement, suite à la demande de Ludivine, nous avons également instauré un suivi psychologique hebdomadaire dans ce même lieu. Le suivi de la patiente au CSAPA s’est déroulé sur une année. Ludivine est venue à trente-quatre entretiens, pour lesquels elle a souvent demandé à déplacer l’heure ou le jour de ces derniers.
22 Plusieurs recherches établissent un lien entre le jeu pathologique, les idéations suicidaires et les tentatives de suicide (Frank et al., 1991 ; Schwarz et Lindner, 1992 ; Petry et Kiluk, 2002 ; Nichols et al., 2004). Il apparaît dans le DSM-IV (American Psychiatric Association, 1994) que 20 % des joueurs pathologiques en soins ont fait des tentatives de suicide. Ce rapport entre jeu pathologique et tentatives de suicide révèle la place de la pulsion de mort et de l’objet dans l’économie pulsionnelle du joueur pathologique. Par ailleurs, l’étude d’Evans et Delfabbro (2005) indique que la recherche d’aide professionnelle chez les joueurs pathologiques serait principalement provoquée par une « crise » plutôt que par une reconnaissance progressive des comportements problématiques.
La demande de Ludivine
23 La demande de Ludivine, lorsqu’elle commence son suivi psychologique, est de pouvoir retrouver un usage contrôlé de ses habitudes de jeu et non d’emblée l’abstinence. Elle précise même vouloir jouer : « une fois par mois avec mon mari et avec une somme prédéfinie ». C’est par l’accueil de cette demande manifeste, formulée par la patiente, que nous commencerons le travail thérapeutique. Celle-ci évoluera au cours de la thérapie levant le voile sur une demande plus latente.
Les premiers entretiens
24 Lors des entretiens, Ludivine est apprêtée ce qui détonne tant son regard paraît vide. Elle présente des difficultés de verbalisation et de communication, son discours est factuel. Toutefois, il semble ressortir dans la tonalité globale de son discours une symptomatologie dépressive.
25 Ludivine explique qu’elle n’arrivait plus à contrôler son comportement de jeu et que cela générait chez elle, beaucoup de souffrances. La patiente confie que le jeu occupait toutes ses pensées. La nuit son sommeil était perturbé avec des idéations suicidaires. Le jeu a progressivement envahi sa vie. Elle n’arrivait plus à organiser correctement ses journées de travail tant cette passion pour le jeu était devenue dévorante. La patiente décrit les nombreux dommages auxquels le jeu l’a conduite. En effet, au niveau familial, Ludivine décrit les mensonges auxquels elle a eu recours envers son mari et son entourage afin de poursuivre cette addiction. Ludivine énonce aussi le peu de temps passé avec ses enfants, surtout sa fille, durant cette période. Parallèlement, elle évoque également l’aspect financier et plus précisément ses dettes, en minimisant beaucoup ces dernières. Pour Ciarrocchi et Reinert (1993), le jeu pathologique peut avoir un impact important sur les proches du joueur. Les enfants des joueurs seraient également touchés. En effet, ils pourraient avoir l’impression de perdre le parent joueur, notamment, en raison de son imprévisibilité et de ses absences fréquentes et prolongées (Duvarci et Varan, 2000 ; Darbyshire et al., 2001).
26 Ludivine s’est fait interdire, à sa demande, pour six mois du casino où elle s’adonnait habituellement. Néanmoins, elle est rapidement allée plus loin pour continuer de jouer. La patiente a essayé de se poser elle-même, à plusieurs reprises, différentes limites mais constate que cela n’est pas suffisant.
27 La majorité des personnes qui sont interdites de jeux, 95 % selon le ministère, le sont à leur propre demande. Pour Trucy (2002) : « les demandes émanent donc de joueurs conscients de leur situation et de leur incapacité à s’éloigner des tables de jeux traditionnels (…) Aucun autre tiers ne peut mettre en œuvre cette procédure et en particulier pas les familles ».
28 Cette demande, de « se faire interdire » l’accès d’une salle de jeu, n’est pas anodine. Pour Bucher et Chassaing (2007), cette grammaire renvoie à la particularité du masochiste de se mettre dans la position spécifique de « se faire objet ». De plus, l’interdiction d’accès à une salle de jeux amène à la séparation d’un intérieur et d’un extérieur, avec une limite à ne pas franchir, comme une mise au défi, à la frontière de sa propre jouissance. Le tiers symbolique n’ayant pas fonctionné, celui-ci est remplacé par un tiers dans la réalité, laissant de la place pour la transgression et parallèlement la possibilité de la position de « se faire rejeter, se faire refuser » (Bucher, 2005). Freud (1924), évoque le « masochisme moral ».
29 Ainsi, il s’agit d’entendre le discours de Ludivine au-delà des caractéristiques opératoires qu’il présente, en s’intéressant à ce qu’il y a derrière celui-ci. Il paraît important de chercher à savoir ce que nous dit ce discours sur le sujet au-delà de cette addiction. « Seule la relance prudente permettra de le concevoir, dès lors que le patient se saisit de ce fil pour se confronter à autre chose » (Pedinielli et Bonnet, 2012).
L’évolution de la demande de Ludivine
30 Les entretiens réalisés avec Ludivine nous ont permis de tenter de donner du sens à son comportement de jeu. En effet, lorsque Ludivine évoque le suicide de son père, son visage ne laisse paraître aucune expression ce qui contraste avec le contenu de son discours. La patiente ne livre aucun affect quand elle aborde cet événement et n’utilise pas de mots pour exprimer ses émotions.
31 Il semble que le travail de deuil de Ludivine concernant le suicide de son père n’ait pas été assimilé. Ainsi, ne peut-on pas penser que le jeu lui permettait d’éviter de faire face à cette souffrance et de lutter contre la dépression liée à cet événement. Ludivine déclare lors d’un entretien « je ne pense à rien quand je joue ». Toutefois, elle commence à percevoir que cette défense n’est plus suffisante : « pendant le jeu, je ne pense à rien, mais ça ne me fait pas avancer sur ce qui me fait mal ». Ainsi, la demande de Ludivine ne se limite plus au seul objectif de pouvoir retrouver un usage contrôlé de ses habitudes de jeu, elle concerne désormais également sa souffrance liée aux différents traumatismes qu’elle a vécu et qui n’ont pu être élaborés. En effet, Ludivine présente une histoire de vie difficile avec un vécu abandonnique lié notamment au divorce de ses parents et le suicide de son père.
32 Nous pouvons penser que le jeu et sa répétition ont permis une forme de maintien du fonctionnement psychique de Ludivine pendant un certain temps. Le jeu lui permettait de s’apaiser et donc d’éviter des états émotionnels désagréables, qu’elle n’arrivait pas à traiter d’une autre manière. Toutefois, même si ce moyen de défense lui a permis temporairement de demeurer en dehors de la réalité, évitant ainsi un travail d’élaboration sur ses conflits psychiques, celui-ci n’était plus suffisant. Les difficultés d’élaborations de Ludivine se traduisaient probablement par « le corps » dans le jeu. Il paraît nécessaire qu’elle arrive à mentaliser et gérer ses mouvements pulsionnels internes pour dépasser ce clivage entre ses affects et ses représentations. Il semble que les fonctions du « Moi-peau » de Ludivine soient défaillantes.
33 Si l’on se réfère aux différents stades de changement définis par Proshaska et al. (1997), Ludivine serait ainsi dans la phase dite « d’action » lorsqu’elle commence le suivi, soit, dans une mise en route concrète du changement. En effet, rappelons qu’elle s’est fait interdire elle-même l’accès au casino. Dans cette démarche, les auteurs préconisent de valoriser la démarche du joueur, maintenir sa motivation et rappeler les effets négatifs du jeu pour aboutir à la consolidation du changement.
34 L’arrêt de ses habitudes de jeu a eu sur la patiente des répercussions qu’elle qualifie de négatives sur son quotidien. Ludivine dit devoir : « combler les trous quand mon mari et ma fille ne sont pas là sinon je m’ennuie ». Afin qu’elle puisse dépasser ses perceptions négatives de l’arrêt du jeu comme l’ennui nous avons travaillé dans un premier temps avec Ludivine sur une nouvelle structuration de son environnement. En effet, la patiente appréciait faire du cheval, toutefois elle ne pratiquait plus, tant son comportement de jeu avait envahi son existence ne laissant plus de place pour d’autres activités. Depuis peu, elle s’est à nouveau inscrite dans un centre équestre et exprime avoir retrouvé « le goût » de s’y rendre.
35 Dans un second temps, ce rapport au temps et à l’ennui chez Ludivine prend un autre sens. Comme si le temps dans les casinos permettait à Ludivine une échappée vers un univers hors du temps, évitant ainsi tant que possible celui de la réalité. Effectivement, se confronter au temps revient à se risquer à la confrontation avec soi-même et l’expérience de l’ennui peut s’apparenter à l’angoisse et à la mort. Pour David (2011) : « l’ennui demande non à être fui, chassé ou tué, mais converti, approfondi, creusé ».
36 D’autre part, la mise en évidence des dommages générés par son comportement de jeu a amené Ludivine à évoquer sa sphère familiale et notamment la relation avec son mari. Le conjoint de Ludivine a donc été reçu en entretien par un infirmier du service où il a pu exprimer sa détresse et son sentiment d’impuissance vis-à-vis de la situation. Effectivement, Ludivine et son conjoint échangent très peu. Rapidement lors des entretiens les difficultés de communications sont apparues comme l’une des sources de leurs conflits.
Perspectives thérapeutiques et conclusion
37 La prise en charge de Ludivine est pluridisciplinaire et complémentaire. Le suivi psychologique semble nécessiter encore du temps. L’alliance thérapeutique établie avec cette patiente laisse envisager de pouvoir continuer ce travail psychothérapeutique. Il s’agira d’approfondir la fonction du jeu dans sa dynamique psychique inconsciente et de dépasser ses conflits inconscients à l’origine de ses troubles.
38 Par ailleurs, si l’on se réfère aux différentes typologies des joueurs pathologiques qui ont été élaborées, Ludivine semblerait correspondre au sous-groupe composé de personnes qui jouent pour réguler leurs affects, afin d’éviter de ressentir des émotions désagréables (Stewart et al., 2008) et qui s’accorderait aux « joueurs déprimés de manière répétitive » de McCormick (1987), ainsi qu’aux « joueurs émotionnellement vulnérables » de Blaszczynski et Nower (2002).
39 Ainsi, à travers l’étude du cas de Ludivine nous avons pu repérer dans quelle catégorie de joueurs pathologiques elle se situait et ainsi nous apporter des repères quant à sa prise en charge. Nonobstant, les spécificités propres de Ludivine nécessitent un soin et un accompagnement thérapeutique adapté et unique.