Un certain nombre d’études ont été consacrées au rapport de Fichte à la tradition mystique. Je me propose de déterminer dans cette contribution quelles connaissances de la tradition mystique peuvent être attribuées à Fichte, de préciser quel sens il confère lui-même au terme de mystique, d’examiner les jugements des contemporains à l’égard de son rapport à la mystique, enfin de définir le cadre et de poser les limites d’un rapprochement de Fichte avec la pensée mystique. Pour finir, j’examinerai le texte qui semble le mieux se prêter pour traiter le sujet, L’Initiation à la vie bienheureuse, un texte dans lequel Fichte adopte un langage à forts relents mystiques, et nous chercherons à comprendre les raisons stratégiques qui amènent Fichte à mobiliser un tel registre.
En guise de préambule, je souhaiterais citer l’opinion d’un contemporain qui assista à un certain nombre de cours de Fichte à Berlin, le diplomate et écrivain suédois Carl Gustav von Brinkman. Dans une lettre à Jacobi datant d’août 1804, soit un an et demi avant la présentation de L’Initiation à la vie bienheureuse en cours, Brinkman dénonce la manipulation commise par ceux qui « mettent délibérément en vogue une quelconque non-philosophie à la mode (irgend eine modische Unfilosofie) » et illustre son propos par l’utilisation que Fichte fait de Jakob Böhme :
Fichte se met à présent lui-même à prendre le böhmisme (der Böhmismus) en protection. Ce n’est en réalité de sa part qu’une mauvaise blague ; mais la chose est prise très au sérieux par de jeunes chrétiens et de jeunes juifs à l’esprit embrouillé ainsi que par leurs compagnes respectives…