1L’article restitue l’expérience sénégalaise en matière de contrat de performance hospitalière. Il présente successivement le contexte de mise en œuvre des contrats, la méthodologie utilisée pour leur évaluation, l’analyse des résultats et enfin les leçons à en tirer dans la perspective des futurs contrats de deuxième génération.
La réforme hospitalière et la contractualisation au Sénégal
Le contexte : la réforme hospitalière au Sénégal
2Au milieu des années 90, de nombreuses études et rapports (Banque Mondiale, Coopération Française) avaient établi un diagnostic sans complaisance des maux dont souffrait le système hospitalier : un plateau technique dégradé, un hôpital géré selon une logique administrative hasardeuse sans référence à la notion de performance, des comités de santé aux pratiques controversées, des soins chers et de faible qualité.
3Ces constats ont inspiré aux autorités politiques la thérapeutique à administrer aux hôpitaux, consistant à réformer profondément le système hospitalier de façon progressive et dans sa globalité en passant de « l’hôpital administration » à « l’hôpital entreprise » tout en réaffirmant la mission de service public que l’État confiait aux établissements.
4La loi portant réforme hospitalière et celle relative à l’organisation et au fonctionnement des établissements publics de santé (2 mars 1998) ainsi que les décrets d’application (26 août 1998) avaient pour ambition de créer les conditions et l’environnement favorables à l’évolution souhaitée en traduisant dans les textes les objectifs de la réforme à savoir :
- la transformation des hôpitaux publics en établissements publics de santé (EPS) dotés de la personnalité morale et de l’autonomie de gestion au sein desquels la notion de performance devait se substituer à la logique administrative ;
- la création d’organes délibérant (le conseil d’administration dans lequel siégeaient dorénavant des représentants du personnel et des usagers) et consultatifs (commission médicale d’établissement et comité technique d’établissement) destinés à favoriser la concertation interne et à mieux associer le personnel et le corps médical à la gestion de l’hôpital et aux orientations stratégiques du projet d’établissement. Le renforcement du rôle et des pouvoirs de la direction de l’hôpital devait contribuer à cette évolution ;
- le recentrage du rôle de l’État sur ses missions de service public et sur l’exercice de la tutelle, en utilisant les outils de contrôle et de régulation à sa disposition ou en les créant ;
- la prééminence de la qualité des soins au moindre coût en tenant compte des diverses expressions de la demande.
Un exemple d’application de la contractualisation : les contrats de performance hospitalière
5Au cours des années qui ont suivi la publication des premiers textes relatifs à la réforme, des mesures d’accompagnement ont été prises par le niveau central aux plans technique, réglementaire et financier. Celles-ci s’étant révélées insuffisantes à modifier fondamentalement l’image de l’hôpital public en termes de gestion et de qualité des soins, les autorités conclurent à la nécessité d’introduire des mesures plus incitatives et de lier au moins une partie des ressources que l’État versait aux établissements sous forme de subventions à l’atteinte de certains objectifs définis d’un commun accord avec les responsables hospitaliers. C’est ainsi que naissait l’idée de contractualisation qui découlait d’une volonté politique traduite par le document de politique nationale de contractualisation dans le secteur de la santé en 2004 [1] mais aussi de l’engagement de l’État du Sénégal auprès de la Banque Mondiale en particulier dans le cadre de l’appui budgétaire.
6Cette première tentative de contractualisation de la performance a emprunté les étapes suivantes :
- l’élaboration par la Direction des Établissements de santé (DES) en étroite collaboration avec les acteurs de terrain d’un modèle type de contrat de performance [3] qui définissait en particulier les domaines à contractualiser, les critères et les indicateurs retenus (voir synthèse en annexe 1) pour évaluer à l’issue du contrat le niveau d’atteinte des objectifs, les engagements respectifs des établissements et du département ministériel ;
- la signature de contrats au cours du premier semestre 2006 avec quinze établissements [4] après approbation par leurs conseils d’administration. Précisons que ces premiers contrats ne mentionnaient pas les modalités selon lesquelles les résultats obtenus par les établissements seraient quantifiés (« les scores ») et ensuite valorisés sous forme de subvention à la performance. Ces informations ont été communiquées aux EPSH dans un deuxième temps et la procédure a pu ainsi se dérouler en toute transparence ;
- l’évaluation des contrats de performance hospitalière en juillet 2007 et la présentation des résultats aux responsables hospitaliers le mois suivant au cours d’une restitution officielle présidée par le Ministre de la Santé et de la Prévention Médicale ;
- le calcul à la fin de l’année 2007 des dotations au titre des subventions à la performance (voir en annexe 2 la grille de correspondance entre les groupes de scores et les niveaux de récompense ou bonus et le tableau de calcul de la subvention à la performance) dès que le département ministériel a eu connaissance de son budget pour 2008 et la notification aux établissements bénéficiaires début 2008 ;
- la validation de la « marche à suivre » pour l’utilisation de la subvention à la performance par les établissements bénéficiaires et son contrôle a posteriori : la réalisation d’un plan d’action soumis au conseil d’administration et validé par la tutelle, la définition précise des dépenses réalisables à l’aide de cette subvention à savoir des dépenses susceptibles de participer à l’amélioration de la performance (formation continue, amélioration de la qualité des services au bénéfice des patients, amélioration des conditions de travail du personnel), le suivi de l’utilisation des ressources et l’évaluation finale par la tutelle.
La méthodologie d’évaluation des contrats de performance hospitalière
La population cible
7Étaient concernés les 15 EPSH ayant signé un contrat de performance hospitalière avec le Ministère de la Santé et de la Prévention Médicale (MSPM).
La méthode d’évaluation des contrats de performance hospitalière
8La méthode utilisée était celle de l’audit sur place conduit par deux équipes de deux auditeurs à partir d’une fiche standardisée de recueil des informations et d’une grille d’évaluation permettant de traduire les résultats obtenus pour chacun des indicateurs en un score 0 ou 1. Si le résultat obtenu était conforme au résultat attendu, on attribuait 1, dans le cas contraire c’était 0. A l’issue de l’évaluation, les points étaient additionnés (chaque critère ayant le même poids dans le score final) et le score ramené à un total sur 20. Cette approche pouvait paraître un peu simpliste, mais dans la mesure où les indicateurs retenus pour ces premiers contrats étaient davantage orientés vers les processus que vers les résultats, l’usage a montré qu’il était finalement assez aisé de les renseigner. Cette façon de procéder résultait également de la difficulté de disposer de données fiables du fait d’un système d’information des hôpitaux déficient et avait pour avantage de rendre les résultats peu contestables car facilement vérifiables, ce qui était très important s’agissant d’une première expérience.
9Par ailleurs, il y a lieu de préciser que les fiches standardisées et les grilles d’évaluation étaient connues des audités suffisamment tôt pour qu’ils puissent procéder à leur propre auto-évaluation et qu’il avait été demandé à chaque établissement de préparer et de tenir à la disposition des auditeurs les documents ou tout élément justificatif prouvant la bonne réalisation des objectifs du contrat de performance hospitalière.
Les résultats de l’évaluation
Les scores obtenus par les établissements
10Ils sont retracés dans le tableau I ci-après :
Scores obtenus par les EPSH à l’issue de l’évaluation des contrats

Scores obtenus par les EPSH à l’issue de l’évaluation des contrats
11Le seuil minimal d’éligibilité à la subvention à la performance ayant été fixé à 12, sept EPSH sur les quinze ont été retenus comme bénéficiaires d’une dotation de l’État au titre de la performance.
Le montant de la dotation à la performance par établissement éligible
12En application des barèmes de calcul retenus pour convertir les scores en valeur financière et compte tenu du montant total alloué pour le budget 2008 du MSPM à la subvention à la performance soit 375 millions de FCFA, les sept établissements éligibles ont été bénéficiaires comme suit :
Montant de la dotation à la performance par établissement éligible [5]

Montant de la dotation à la performance par établissement éligible [5]
Le bilan et les perspectives
L’analyse des résultats et commentaires
13Le tableau I montre des résultats fortement contrastés, sept établissements sur quinze réussissant finalement à passer le seuil leur ouvrant droit à l’obtention d’un bonus.
14Une analyse plus fine des résultats par critère (tableau III) permet de souligner que dans les domaines de la qualité des soins et des services (démarche qualité, hygiène hospitalière, protocoles thérapeutiques, confort hôtelier) la plupart des établissements sauf exceptions notables n’ont pas atteint les objectifs fixés. Cette même remarque vaut pour la mesure de la satisfaction des usagers et à un degré moindre pour l’information hospitalière.
Score des établissements hospitaliers sur des critères spécifiques, selon qu’ils répondaient ou non au critère

Score des établissements hospitaliers sur des critères spécifiques, selon qu’ils répondaient ou non au critère
15On notera que ces thèmes renvoient pour l’essentiel à des problématiques qui influent fortement sur la qualité du service rendu aux patients.
16On peut dès lors s’interroger sur les raisons qui peuvent expliquer les difficultés rencontrées. Elles sont certainement multiples et les audits ont permis d’en dévoiler quelques-unes :
- une implication insuffisante des responsables hospitaliers. Ce type de démarche requiert une totale adhésion des directeurs et une impulsion forte de leur part, capable de fédérer les énergies en interne. Force est de constater que certains n’y ont pas cru probablement parce que cette démarche était innovante, qu’elle bousculait les habitudes et qu’elle introduisait un nouveau mode relationnel avec la tutelle. La présentation des résultats en assemblée plénière de tous les directeurs d’hôpitaux en présence du ministre a été pour certains responsables un véritable électrochoc et une forte incitation à améliorer les performances futures mais personne n’a contesté ni les résultats ni la qualité du travail des auditeurs ;
- des conditions de réussite non satisfaites : les domaines concernés par les contrats de performance nécessitent pour la plupart des approches transversales, une bonne collaboration entre direction et corps médical, un fonctionnement correct des instances consultatives (CME, CLIN par exemple), des relations suivies avec les représentants des usagers, autant d’éléments qui font encore trop souvent défaut. Ils requièrent également une bonne connaissance des outils et des pratiques de la qualité ce qui a manqué dans un certain nombre d’établissements ;
- une tutelle en retrait : peut être la tutelle elle-même ne s’était-elle pas suffisamment investie en cours d’exécution des contrats notamment en matière de suivi, en dépit d’une procédure de reporting à mi-parcours, ce qui a laissé éventuellement croire à l’idée (fausse) que la démarche n’irait pas à son terme.
- au plan opérationnel, les directeurs d’hôpitaux l’ont d’ailleurs confirmé, le contrat de performance fait désormais partie de leur quotidien. Il a été dans certains cas un puissant levier pour mieux faire travailler ensemble des équipes, partager des objectifs communs. Les établissements les plus « performants » bénéficient ainsi de 75 millions de FCFA en 2008 ce qui est d’un apport non négligeable dans un contexte de rareté des ressources. Cet apport financier supplémentaire constitue à l’évidence une reconnaissance du travail effectué et renforce la crédibilité du management auprès des personnels. Par contre, dans les établissements où les résultats n’ont pas été satisfaisants, les responsables sont prêts aujourd’hui à relever le défi et à reconsidérer leur position par rapport à cette nouvelle approche qui favorise aussi l’émulation par le benchmarking ;
- au plan de la Direction des Établissements de Santé, où cette démarche en dépit des réserves émises ci-dessus a incontestablement conduit à s’interroger sur la meilleure manière d’exercer à l’avenir son rôle de tutelle des hôpitaux et de conduire ses missions de suivi, d’appui et de conseil ;
- plus largement enfin au plan institutionnel, en apportant une nouvelle modalité d’appui aux établissements différente de celle en vigueur pour les subventions classiques de fonctionnement par son caractère non automatique et conditionnel même si elle s’applique à la marge.
Quelles leçons tirées de cette expérience pour l’élaboration des futurs contrats ?
17Comme indiqué précédemment, cette première expérience de contrat de performance a montré un certain nombre de faiblesses et de limites quant à son contenu et dans ses modalités de mise en œuvre. Il aurait été certainement possible de faire plus ambitieux notamment sur les critères retenus pour définir le contenu de la performance attendue des hôpitaux ou bien sur la technique d’attribution des scores en introduisant par exemple des éléments de pondération des critères et des degrés d’atteinte de résultats pour les indicateurs.
18Cependant la démarche engagée a véritablement marqué les esprits des hospitaliers et compte tenu de ses effets positifs déjà signalés, elle sera reconduite en 2008 en y intégrant un certain nombre de nouveautés :
- l’introduction d’un critère déclencheur : compte tenu des difficultés que rencontrent les autorités de tutelle pour obtenir régulièrement des EPSH des rapports trimestriels d’activités exhaustifs, les nouveaux contrats prévoient de faire des critères de promptitude et de complétude des éléments « déclencheurs ». C’est-à-dire que si l’établissement ne satisfait pas ces critères, il ne pourra en aucun cas prétendre à une subvention à la performance quels que soient par ailleurs les résultats qu’il aura obtenus pour les autres critères du contrat ;
- l’ouverture des nouveaux contrats à des indicateurs de résultats, en ce qui concerne en particulier le système d’information médicalisée (SIM) où on demandera aux établissements de s’engager sur l’atteinte de taux d’exhaustivité dans le recueil des résumés d’unités médicales (RUM) par exemple, domaine dans lequel nous disposons de données de départ fiables. Cette insertion encore modeste pour 2008 devra s’amplifier ultérieurement en phase avec l’amélioration attendue du système d’information hospitalier ;
- le développement du suivi par la tutelle de l’exécution des contrats qui passera aussi par des supervisions sur place et des conseils à la demande.
19Une attention particulière devra être apportée pour minimiser les effets pervers des contrats. Pour réduire ces risques, les critères et les audits devraient mettre suffisamment l’emphase sur la qualité pour éviter la possibilité d’obtenir un bon score (et la subvention) sans répondre aux objectifs fondamentaux d’amélioration de l’implication du personnel et de la qualité des soins.
20En conclusion, la pratique sénégalaise des contrats de performance est intéressante à plus d’un titre. Elle met en exergue les contraintes qui peuvent hypothéquer toute démarche innovante même dans un contexte de réforme théoriquement propice aux changements. Elle favorise de nouvelles dynamiques allant dans le sens de l’amélioration des relations entre des établissements de santé en pleine mutation et les autorités de tutelle. Elle aura avantage à évoluer en fonction des résultats de sa mise en œuvre pour en maximiser les effets pour la santé de la population.
Synthèse des domaines, critères et indicateurs retenus dans les contrats de performance hospitalière

Correspondance entre les groupes de scores et les niveaux de récompense (ou bonus)

Tableau de calcul de la subvention à la performance

Tableau de calcul de la subvention à la performance
Notes
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[1]
Administrateur de services de santé, actuellement expert auprès de RTI International à Kigali (Rwanda). Directeur des Établissements de Santé au Ministère de la Santé et de la Prévention du Sénégal (2000 à 2008).
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[2]
Directeur d’hôpital – Centre Hospitalier de Hyères. Conseiller Technique (Coopération Française) auprès du Directeur des Établissements de Santé (2004-2008).
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[3]
Le modèle type de contrat et son annexe portant sur les indicateurs sont disponibles auprès des auteurs.
-
[4]
Tous les établissements publics de santé hospitaliers (EPSH) n’étaient pas concernés, certains du fait de leur statut particulier (hôpital principal de Dakar), d’autres parce qu’ils n’étaient pas encore érigés en établissement public de santé.
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[5]
Pour les modalités de calcul voir annexe 2.